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Pierre Mousquet, directeur de l'animation de Flow de Gints Zilbalodis

Publié le 05/03/2025 par Malko Douglas Tolley et Vinnie Ky-Maka / Catégorie: Entrevue

Pierre Mousquet, responsable de l’animation, dévoile les coulisses du film de Gints Zilbalodis, coproduit par la bruxelloise Take Five et sacré aux Oscars, Golden Globes et Césars.

Sacré meilleur film d’animation aux Oscars ainsi qu’aux Césars cette semaine, Flow s’est imposé face aux géants du cinéma mondial, confirmant l’excellence de l’animation européenne. Après un Golden Globe, cette odyssée poétique réalisée par Gints Zilbalodis et portée par une coproduction belgo-lettonne a su séduire par son approche audacieuse et son animation sans paroles.

Un tel succès est le fruit d’un travail de longue haleine pour toute l’équipe du film. Cinergie avait rencontré Grégory Zalcman, co-producteur belge du film, l’an dernier au Festival Anima de Bruxelles, où il nous dévoilait les prémisses de ce projet ainsi que les autres productions en cours au sein de sa société de production bruxelloise.

À l’occasion d’Anima 2024, Pierre Mousquet, responsable de l’animation sur le film, revient pour Cinergie.be sur les défis techniques, l’impact de ces distinctions et les coulisses d’un projet qui redéfinit les frontières de l’animation. Un entretien exclusif sur un film qui prouve que l’audace et le talent belge ont toute leur place au sommet du cinéma mondial.

Cinergie : Flow marque une étape importante pour l’animation européenne. En quoi cette double consécration d’un film coproduit en Belgique peut-elle impacter l’industrie de l’animation en Europe ? Et comment percevez-vous la place du cinéma d’animation européen face aux géants que sont le Japon et les États-Unis ?

Pierre Mousquet : Le succès de Flow aux Oscars, c'est une sorte d’ovni dans le paysage du cinéma d’animation. C’est un ovni dans le sens où on a l’habitude que ce soit Pixar et des films très codés qui sont retenus pour ce type de récompenses. Ce que j'aime avec Flow, c’est qu’un film avec des propos forts et un traitement plus poétique puisse avoir une telle portée. Une telle mise en vitrine, c’est unique. J'aimerais que ça puisse faire évoluer, pousser les studios à investir plus dans le cinéma d’animation. Mais également que ça donne envie d'avoir un peu plus d'audace et de faire des choses moins conventionnelles et moins codifiées comme l’est le cartoon. Ce film n’est pas vu comme un film pour enfant. Il est un peu pour les enfants et un peu pour les adultes. Il est très poétique. Il mérite d’être vu pour que l’industrie puisse développer un goût artistique différent.

 

C.: D'un point de vue technique, qu'est-ce qui, selon vous, a permis au film de se distinguer et d'atteindre une telle singularité ? Quel a été le plus grand défi technique à relever, et qu'est-ce qui constitue votre plus grande fierté personnelle sur ce projet ?

P. M. : Ce qui fait que le projet se démarque du reste des projets d’animation, selon moi, c’est qu’il n’y ait pas de dialogues dans ce film. L’animation a également été réalisée de manière naturaliste. Les animaux se déplacent de manière très réaliste tout en étant au service de la narration. Il faut quand même que les animaux fassent des choses dirigées par l’animateur. C’était un des premiers défis de ce projet. On a eu plusieurs défis qui se sont mis en place, et pour celui-là, on a dû chercher des références sur YouTube. On a dû étudier des animaux qu’on ne connaissait pas, comme les lémuriens et les capybaras. Il fallait se transposer, et ce sont des choses que l’on fait en animation. Mais comme on devait rester dans un esprit très réaliste, il fallait que l'on donne l'impression que les actions des animaux restent crédibles, même si ce sont des comportements que l’on n’a jamais vus dans la réalité et qui ne se produiront jamais. C’est cette volonté de réalisme qui constitue, pour moi, le premier grand défi technique du film.

 

C. : L’animation naturaliste des animaux est l’un des points forts du film et, à mon sens, une des raisons principales de son succès mondial. Quel a été le second grand défi que vous avez dû relever pour captiver le public de cette manière ?

P. M. : Le second défi technique auquel on a dû faire face était le fait d’avoir des plans assez longs. Le film est constitué de nombreux longs plans-séquences. En animation, on a souvent l'habitude que ce soit coupé très rapidement pour que l’animateur puisse respirer. Je ne veux pas dire que c’est fait pour les animateurs uniquement, mais en général, les plans sont très courts. Dans Flow, on pouvait avoir des plans qui faisaient plus d’une minute. Il fallait trouver des rythmes pour animer, même lorsqu’il ne se passe, entre guillemets, rien dans un coin de l’écran. C’était un vrai défi de trouver les bons rythmes et de savoir se reconcentrer sur certains éléments pour s’imprégner du rythme du film. C’était également un des défis principaux à mon sens.

 

C. : Y a-t-il un fil conducteur entre vos différents projets, de Touchdown of the Dead (2009) à Yuku et la fleur de l'Himalaya (2022), et en quoi votre expérience sur Flow influencera-t-elle vos futurs travaux ?

P. M.: Il y a beaucoup de choses à dire, et j’ai fait des choses très variées par le passé. Il y a des productions beaucoup plus académiques. J’ai réalisé des clips également, ainsi que plusieurs courts-métrages. Ce qui est commun à mes projets, c’est probablement la notion de rythme, qui est la base de l’animation. C’est sans doute ce qui me permet de passer d’un style à l’autre et de réaliser des projets très différents. J’essaie de garder cette notion de rythme et cette musicalité nécessaire dans l’animation. Ça peut sembler étrange, présenté de cette manière, mais c’est vraiment cela qui me vient à l’esprit.

Une fois qu'on a compris comment les choses doivent bouger et comment les rythmer, cela permet une grande adaptabilité selon le style des projets ou des films sur lesquels on travaille. C’est clairement la première fois que je travaillais sur un film aussi réaliste. C’est également la première fois que je travaillais sur un projet où il fallait animer autant de quadrupèdes. Ce n’est pas un type de projet qui se fait souvent, ce que nous avons fait pour Flow. Quand on doit animer des animaux à quatre pattes, il faut se poser beaucoup de questions. Déjà, avec deux pieds sur terre, il faut savoir comment les animer. Mais quand il y en a quatre qui bougent et que les animaux se déplacent, c’est un autre défi.

 

C. : L'apport de Gints Zibalodis, le réalisateur du film, a-t-il été déterminant dans la manière dont vous avez abordé ce travail d’animation ?

P. M. : Absolument. Il avait déjà un sens du rythme très marqué dans sa maquette de Flow. Nous n’avions plus qu'à accompagner cette dynamique qu’il avait instaurée. Nous avons utilisé plusieurs procédés, notamment sonores, pour donner le bon tempo aux mouvements des animaux. Le propos était clair dès le départ, et c’est cette compréhension des rythmes qui me permet de passer d'un projet à l'autre tout en respectant l'essence de chaque film. Mais Gints Zibalodis est une sorte de génie qui avait tout prévu. On ne peut pas exiger de faire ce qu’il a fait de tout le monde. Cette expérience est vraiment unique tant par sa forme que par sa mise en place.

 

C. : Pour finir, que ressent-on en remportant un César et un Oscar en tant que responsable de l'animation, et tout cela en moins d'une semaine ?

P. M. : Personnellement, ça ne me fait pas grand-chose. Pour être franc, je pensais que la cérémonie était ce soir et je me suis fait spoiler ce matin au réveil. En ce qui me concerne, la vraie victoire de ce film, c’est que tout s’est bien passé en interne. Je suis bien évidemment la carrière des projets et des films sur lesquels je travaille, mais le plus important, et ma première victoire, c’est que la création du film se déroule dans la bienveillance. Et là, il y a eu un propos très fort dans le film, une équipe soudée, c’est rare de voir que tout soit réuni. Pourtant, il y a eu des gens qui ont bossé depuis Marseille et que je n’ai pas vus dans la réalité, mais on se voit encore en ligne.

Maintenant, à propos du succès planétaire de Flow, c’est quand même gigantesque. Si on avait eu ce succès avec un film dirigé d’une main de fer dans de mauvaises conditions, ça n’aurait pas été une victoire pour moi. Et je pense que j’aurais beaucoup plus de mal à venir parler du projet comme je le fais aujourd’hui. Je suis vraiment content du succès du film et que tout se soit bien passé. C’est l’occasion de faire passer un message et de dire qu’on peut être bienveillant avec les équipes et obtenir un succès d’une telle ampleur. La qualité du film est reconnue, et ma mission, c’est de faire reconnaître que le film s’est bien déroulé en tant qu’animateur.

C. : Merci pour cet échange passionnant. Nous vous souhaitons une belle masterclass sur le Making of de Flow avec Jonathan Bottazi. Le festival nous a confié que la salle est comble, preuve de l'impact incroyable de votre travail auprès du public, mais également des jeunes étudiants venus pour vous écouter. Encore bravo pour cette incroyable réussite qui honore le cinéma d'animation belge et européen !

 


Pour en découvrir plus sur Flow, nous avons également réalisé une interview avec Jonathan Bottazi, animateur 3D du film.

 

https://www.cinergie.be/actualites/flow-de-gints-zilbalodis-2024

https://www.cinergie.be/actualites/take-five-gregory-zalcman

https://animafestival.be

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