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Guy Luckx et la Cinémathèque de la Communauté française

Publié le 13/02/2007 par Katia Bayer / Catégorie: Entrevue

Rue A. Lavallée, à Bruxelles. Pas loin d’un garage, du métro et du boulevard Léopold, une bannière bordeaux annonce discrètement la Cinémathèque de la Communauté française de Belgique. En 60 ans d’existence, l’organisme a quelque peu rencontré le cinéma puisqu'elle a accueilli tous les supports de création (16 mm, 35 mm, VHS, DVD) et qu’elle s’est constituée un catalogue aujourd’hui riche de 6.400 titres. Etant donné que les archives supportent mal l’exposition au temps et à l’air, la Cinémathèque envisage de sauver et de pérenniser ses images via la numérisation (coûteuse, mais indispensable). Depuis peu, elle a également produit des portraits de cinéastes et de documentaristes qui ont compté dans notre cinématographie. Le point avec Guy Luckx, son responsable.

Guy Luyx ex directeur de la Cinémathèque de la Communauté française

Cinergie : Pouvez-vous me parler de ce qui était à la base un service cinématographique créé au sein du Ministère de l’Instruction publique et qui est devenu, au fur et à mesure, la Cinémathèque de la Communauté française de Belgique ?
Guy Luckx : En 1946, la Belgique a récupéré une série de 750 films qui avaient été mis sous séquestre pendant la guerre. Ils constituaient la première collection qui a été mise à la disposition des écoles. Pourquoi les écoles ? C’est une décision de l'époque : le ministère a commencé à leur prêter ces films pendant une dizaine d’années parce qu’ils ne savaient pas très bien ce qu’ils allaient en faire. Entre 1948 et 1960, ce service a été étoffé et a commencé à faire des commandes de films auprès de documentaristes plus spécifiques. On a eu notamment des films de Dekeukeleire, de Gérard De Boe, de Paul Haesaerts, de Jean Harlez, d’André Cauvin, etc. Tous ces films, on les possède encore actuellement. Pendant 60 ans, le personnel a fait en sorte que ces films puissent être toujours préservés comme doit le faire une cinémathèque.
Au départ, ce service n’était pas une cinémathèque mais un service de prêt. Celui-ci a remarquablement fonctionné pendant de très nombreuses années à l’époque où les films 16 mm étaient le média en vogue. Enormément d’écoles, de ciné-clubs, d’associations aimaient le cinéma, avaient des projecteurs de cinéma et présentaient les films dont disposait ce service. Près de 30.000 films par an étaient ainsi prêtés à ces différentes institutions. Mais il y a eu le déclin des projecteurs de cinéma en même temps que l'arrivée de la VHS dans les années 80. Il a donc fallu que les écoles se réadaptent au niveau des équipements, ce qui n’était pas simple parce qu'elles connaissaient déjà des difficultés financières. Donc, le service de prêt de films a ralenti parce qu’il y avait justement des difficultés à fournir évidemment le média adapté. Au départ, nous n’avions pas beaucoup de VHS, l’achat de droits était particulièrement élevé à l’époque et les crédits avaient sérieusement diminué entre les années 60 et les années 80. Dès lors, il y a eu une période de flottement qui a duré pendant une quinzaine d’années. Puis, la reprise s’est faite sur base d’autres projets et le prêt, lui, a repris tout doucement avec certaines écoles. Sauf que les professeurs ne savaient pas très bien où ils devaient s’adresser pour obtenir des prêts du service film dans la mesure où ce service a déménagé 6 ou 7 fois entre 1995 et 1998.
Et puis, en 1998, ce service de film est devenu la Cinémathèque de la Communauté française de Belgique. Pourquoi Cinémathèque ? Personne ne peut exactement dire pourquoi on a utilisé cette appellation parce qu'il est vrai qu’au départ, il n’y avait rien de prévu en matière de préservation des films.
C : Même si cette mission n’était pas prévue dès le départ, il y a quand même eu une volonté de conserver les films, surtout à partir du moment où les supports changeaient et le temps passait.
G.L. : C’est ça. Et cette volonté-là a été manifestée par une étape clé : la mise à disposition d’une chambre froide, en 98, qui permettait de conserver les films dans des conditions meilleures que celles qu’ils connaissaient auparavant, que ce soit dans les greniers ou dans les caves. Par la suite, il y a eu d’autres étapes qui ont bien marqué la volonté du pouvoir politique de faire en sorte que tous les médias dont disposait la cinémathèque devaient à tout prix être préservés, sauvegardés et conservés. Et vers la fin des années 2003-début 2004, on a pu acquérir un télécinéma qui permettait la numérisation réelle dans un support bien défini.
C : Il serait peut-être utile de préciser que vos activités diffèrent de la Cinémathèque Royale de Belgique.
G.L. : Comme la Cinémathèque Royale, nous protégeons nos médias, nous les numérisons progressivement. Nous faisons certains métiers similaires en matière de préservation de patrimoine, mais pour le reste, évidemment, la Cinémathèque Royale a une aura que de toute façon nous n’avons pas. Parallèlement, nous avons établi un partenariat avec la Médiathèque qui assure maintenant le prêt de nos collections (sauf VHS). Autre différence : nous réalisons des vidéos pédagogiques et des portraits d’artistes.
C : Pouvez-vous nous renseigner sur ces fameux portraits de cinéastes ?
G.L. : Notre service a estimé qu’il serait intéressant de pouvoir disposer de portraits de différents documentaristes célèbres. C’est ainsi que nous avons commencé avec un portrait d’André Cauvin que nous avons mis à la disposition des écoles mais aussi des bibliothèques. Et depuis un an, nous réalisons le portrait de Jean Harlez qui a réalisé énormément de films de commande sur le monde professionnel. Il est surtout connu comme l’accompagnateur des équipes d’expéditions polaires au Groenland. La Cinémathèque dispose de plusieurs de ses films.
C : Pourquoi cette démarche de production ?
G.L. : Je crois qu’on ne peut vivre l’avenir que lorsqu’on sait ce qui s’est passé avant. Pourquoi le cinéma de maintenant existe, grâce à qui et pourquoi le documentaire belge est-il aussi renommé ? [Hormis Cauvin et Harlez], on a d'autres projets de portraits : Raoul Servais, Willy Kurant (chef op’ ayant travaillé avec Orson Welles, Pialat…). A côté de ça, on fait des vidéos pédagogiques à la demande des enseignants souhaitant accompagner leurs cours d’un élément audiovisuel : on met à leur disposition une équipe technique pour réaliser le film qu’ils souhaitent.
C : La Cinémathèque a constitué une collection de 6.400 titres, chiffre important mais compréhensible au vu de ses 60 ans d’existence. Hormis la nécessité de la préservation, votre tâche est de sortir ces films (perles ou non) de l’oubli.
G.L. : Dans toute cette collection, il y a évidemment des films qui sont devenus désuets mais qui restent intéressants au niveau ethnographique. Et à côté de ça, des perles assez extraordinaires pour lesquelles nous avons tout mis en œuvre afin de faire en sorte qu’elles puissent être vues par le plus grand nombre. Le problème évidemment [réside dans] les droits qui existent sur les films. La gestion des droits, dans une cinémathèque, est un élément fondamental. Et aujourd’hui, il faut prendre en compte les nouvelles technologies dans ce processus (Internet, le téléchargement, …). Ceci dit, je ne crois pas que la technologie empêchera les ayants droit de donner leur accord pour que leurs films soient vus.
C : Autre petit obstacle à la visibilité : nombre de ces titres sont des films flamme. Il faut donc concevoir un travail dans la minutie mais aussi dans l’urgence puisqu’ils supportent difficilement l’accumulation des années. Je voudrais donc que vous me parliez de la numérisation prévue pour ces films, notamment pour ceux qui recouvrent les années de guerre.
G.L. : Cette année, nous allons commencer un vaste projet de numérisation de ces films. En fait, nous disposons de plus ou moins 850 bobines d’archives de la période de guerre. Sur ces 850 bobines, il y en a 592 qui sont liés à la société INBEL (la société d’information de la Belgique installée à Londres). Tous ces films ont été conservés, pendant toute une époque, par la Cinémathèque de la Communauté française dans les conditions les plus honorables possibles avec les moyens qui étaient mis à sa disposition.  Ça n’a pas toujours été évident, mais depuis une quinzaine d’années, ces films ont été placés dans un dépôt de l’armée tout à fait adéquat pour leur conservation. Cela dit, leur conservation ne veut évidemment pas dire qu’ils seront préservés éternellement. Parce que, comme vous l’avez dit, il est clair qu’un film nitrate se dégrade : un champignon se forme à l’intérieur, ça provoque une réaction chimique qui dégrade le film. Sans compter qu’en ouvrant les boîtes, le film peut prendre la poussière (il n’y a plus rien) ou même exploser (la cas le plus grave).
[Pour envisager la numérisation], nous allons procéder par étape. D’abord, nous allons nous rendre à ce dépôt et vérifier l'inventaire de ces films pour constater s'ils sont endommagés ou non. Puis, on fera un tri dans tous ces films parce qu’évidemment 592 bobines, ça fait quand même 88.000 mètres de pellicule à numériser dans un format international reconnu, notamment par la Fédération Internationale des Archives du Film [FIAF]. [Selon cette Fédération,] il faut au minimum la norme 2K qui impose évidemment un coût particulièrement élevé. [Pour information], un seul mètre de film numérisé dans ce format-là va nous coûter 196 €. Donc, 88.000 mètres, c’est une fortune ! Il est clair que nous n’aurons pas autant à numériser mais on s’attend quand même à plus de 10.000 mètres. Malgré ça, le budget de 200.000 € alloué à la Cinémathèque ne nous permet pas d’assumer un coût élevé, donc nous allons en prélever 50 % quasi chaque année pour assurer la numérisation. Cela dit, si on fait comme ça, on en a pour 20 ans, donc il faut que nous trouvions des partenaires qui soient prêts à nous épauler, qu’ils soient institutionnels ou privés. Mais il est clair que ce que nous voulons faire à tout prix, c’est faire en sorte que cette mémoire qui appartient au peuple belge soit remise, en tout cas physiquement, à leur disposition. Pour ce faire, nous avons également demandé au CEGES (Centre d’étude de la Seconde Guerre Mondiale) d’en assurer la garantie scientifique et historique.
C : Au niveau pratique : les films sont hyper fragiles et il peut arriver, lors d’une numérisation, que les perforations sautent, que les couleurs bougent ou qu’il y ait une poussière sur l’image. Est-ce que vous avez déjà dû faire un choix entre l’image et le son d’un film, entre l’original et la copie ?
G.L. : Hélas oui, c’est déjà arrivé, parce que nous nettoyons d’abord le film, vérifions son état, éliminons toutes les impuretés, mais certains de nos films ont malheureusement « rougi » comme on dit. Là, comme on ne sait pas retravailler un film qui est passé au rouge, la seule possibilité qui reste est de le numériser en noir et blanc. Mais c’est un pis-aller, un choix à faire… Cela dit, pour toute une série de films, nous avons soit les négatifs, soit des copies. Si la copie est meilleure que le négatif, nous partons alors de la copie en bon état mais nous préférons toujours, au départ, travailler à partir du négatif.
C : Pourriez-vous me citer quelques raretés belges référencées par le fonds ?
G.L. : Il y a quelques films dont nous sommes, apparemment, les derniers détenteurs comme le tout premier Van Dormael. Dernièrement, nous avons reçu en dépôt tous les films qui ont été faits par les étudiants de l’IAD. Donc, nous bénéficions de toute une série de premiers films de réalisateurs belges qui sont maintenant connus sur la scène internationale comme Gérard Corbiau, Marc Lobet ou plus récemment, Joachim Lafosse.
C : 2006 marquait les 60 ans de la Cinémathèque. Est-ce que vous comptez organiser un anniversaire à destination du grand public ?
G.L. : Nous avons fêté cet anniversaire dans l’intimité et nous le referons publiquement d’ici quelques mois peut-être avec un projet ambitieux sur lequel nous travaillons actuellement, mais qui demande un délai très long pour pouvoir le mettre en place. Nous pensons notamment à une exposition de grande envergure…
Pour en savoir plus sur la Cinémathèque, consultez son site : http://www.cinematheque.cfwb.be/

 

 

 

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