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Impressions de Clermont-Ferrand, 2002

Publié le 01/04/2002 par Thierry Zamparutti / Catégorie: Entrevue

À près de 700 km seulement de la Belgique, le Festival de Clermont-Ferrand est le plus grand festival mondial consacré aux courts métrages. En ne comptant pas les sélections annexes, les compétitions française et internationale regroupent 139 films soit environ 5% des films envoyés à la sélection. Quant au public, il s'est dirigé encore cette année 130.000 fois dans les salles !
À côté du Festival se déroule un Marché du Film qui grandit d'année en année et met en contact les professionnels expérimentés et ceux qui débutent. Le stand de la Communauté française était notamment tenu par Audrey Lekaene. Nous lui avons demandé son avis sur sa première participation. À ses propos, nous joignons trois autres témoignages de Belges qui ont pu découvrir l'importance d'un tel festival pour la reconnaissance de notre cinéma auprès des professionnels mais aussi du public. Nous sommes d'ailleurs un peu surpris que peu de Belges soient présents et nous espérons que ces entretiens en encourageront d'autres à s'y aventurer.

Impressions de Clermont-Ferrand, 2002

Cinergie : Et alors...cette première expérience ?
Audrey Lekaene : Je connaissais évidemment le festival mais c'était ma première visite. J'ai été engagée par la Communauté française de Belgique et par la SODEC (Québec) pour mettre en place leur stand commun au Marché et pour assurer une présence continue sur place. Au départ, j'ai eu un peu peur de ce festival car on le surnomme le " Cannes du court " mais j'ai rapidement remarqué que tout était tellement bien organisé qu'il n'y avait rien à craindre.


C. : Comment as-tu vécu le quotidien au Marché du Film ?
A. L. : Je dois avouer que j'ai été plutôt surprise. Il y avait du monde mais les gens demandaient plus des renseignements sur les festivals, sur les formations en cinéma ou d'autres renseignements plus précis. Il y avait également beaucoup de représentants de festivals qui cherchaient des films. Bien sûr, on s'intéressait à nos productions mais j'ai vu peu d'acheteurs. Je reste cependant persuadée que les producteurs présents ont dû bien travailler. A côté de cela, l'ambiance y est très sympathique et certains liens entre stands peuvent être durables, en tout cas pour ceux que j'ai établis.

C. : Comme le Marché t'informe-t-il sur ce qui vaut la peine d'être vu absolument ?
A. L. : D'abord, j'ai eu l'impression qu'il y avait deux groupes bien distincts : ceux qui sont en permanence dans les salles de cinéma et qui viennent au Marché voir dans les box ce qu'ils ont loupé et ceux qui ne restent pas longtemps et qui ne visionnent qu'au Marché. Sur les stands, les visions sont plus ponctuelles, surtout quand il n'y a plus de place en cabine. J'étais également présente à Clermont-Ferrand en tant que représentante du nouveau Festival International des Ecoles de Cinéma et puisque je n'avais pas l'occasion de voir toutes les projections, je demandais parfois conseil aux assidus pour guider mes choix mais le plus souvent, je me laissais guider par l'instinct. J'ai pour habitude dans les festivals où j'occupe plusieurs fonctions de choisir une salle de projection et d'y aller dès que j'ai un moment ; de cette façon, je n'ai pas de préjugés et je découvre pleins de choses différentes

C. : Tes permanences au stand ne t'ont donc pas trop contrainte ?
A. L. : Au contraire, c'est pratique d'être en permanence sur le stand, cela facilite la prise de contact et les gens vous reconnaissent ensuite où que l'on aille. Cette double fonction a été très bénéfique pour moi car le festival de Huy (FIDEC) est encore peu connu, et cela m'a permis d'agrandir énormément ma liste de contacts et de donner plus de crédit au FIDEC.

C. : Avec ces quelques semaines de recul, quelle conclusion portes-tu sur ton séjour ?
A. L. : Pour moi, dorénavant, Clermont est un rendez-vous incontournable. Autant pour les projections que pour le Marché ou pour les contacts, je pense que pour tous les responsables de festivals où on montre des courts métrages, il est utile y d'aller.

C. : Y a-t-il une autre vie après Clermont-Ferrand ?
A. L. : De manière plus précise, j'ai déjà des retombées à l'heure actuelle des contacts faits sur place. J'ai déjà reçu les premières VHS pour la sélection du prochain FIDEC et j'ai établi des contacts privilégiés avec des responsables des liaisons festivals/écoles. Parmi toutes les personnes que vous avez rencontrées, il y a surtout celles qui tiennent leur promesse de vous contacter et ça c'est le plus important.

Inès Rabadan avait connu le joie d'être primée en 1999 avec Surveiller les tortues. Cette année-ci, elle revient en sélection avec son film Maintenant, accompagnée de Martine Doyen pour Pâques au Tison.
Deux réalisatrices heureuses se confient.

 
Cinergie : L'une et l'autre, vous avez maintenant votre propre expérience de Clermont-Ferrand. Comment la ressentez-vous ? Par rapport au public aussi ?
Martine : Ce festival était une première pour moi et j'ai tout d'abord été surprise par la foule de spectateurs qui se pressait dans les rues, devant et dans les salles de projection pour aller voir des courts métrages... L'épaisseur du catalogue était aussi assez impressionnante, donc on se dit qu'on ne gagnera jamais de prix. On est déjà très content d'être dans ce catalogue...
Inès : La première fois que j'ai eu un court métrage sélectionné à Clermont, j'ai découvert le plaisir de voir mon film dans une grande salle comble. C'était assez inouï pour moi. J'avais aussi trouvé plutôt réconfortant de rencontrer tant de courts-métragistes qui, à travers le monde, s'escriment eux aussi à faire des films. On entend souvent dire que Clermont est le Cannes du court métrage. Mais justement, il s'agit de court métrage et ça change tout : pas ou peu de pressions ni de tractations financières, pas de paillettes et beaucoup de cinéphilie.
M. : Jusque-là mon film n'avait été projeté que deux fois dans des salles minuscules pour un public d'amis et d'amis d'amis. Là, j'en attendais cinq en une semaine dans des salles pleines de spectateurs anonymes. Ce n'était pas stressant mais plutôt excitant. S'asseoir parmi eux incognito et " sentir " comment le film est reçu... Intéressant... Le film soudain existe et prend son indépendance. Je ne le regardais plus de la même façon.
I. : Moi, à vrai dire, j'était surtout soulagée, parce que la post-prod du film a été vraiment très compliquée, pour ne pas dire épique, et que cette première copie du film sortait tout juste de chez Meuter. Enfin cette chose était devenue un film à montrer ! L'accueil m'a semblé bon. J'était stressée mais, franchement, j'ai vu ce film 200 fois et j'ai été 200 fois stressée en le voyant, qu'il y ait 1500 ou 2 personnes avec moi. Revoir ce que j'ai fait, pour moi, est une souffrance. Peut-être qu'avec le temps ça ira mieux !

 

C. : Comment s'est organisé votre séjour à Clermont-Ferrand?
M. : Il y a tellement de réalisateurs et d'accrédités qu'on est un peu livré à soi-même, mais ce n'est pas dérangeant... On rencontre des gens assez vite, ne fût ce que les Belges présents au festival... Il y avait le bar des réalisateurs, les fêtes organisées le soir... Et puis le centre névralgique avec les casiers nominatifs qui permettent d'envoyer ou de recevoir des messages, de recevoir des invitations. C'est un peu là que " ça se passe " et qu'on récolte les retours des projections. Juste après celles-ci, il ne se passe jamais rien de spécial, puisque personne ne sait que c'est vous le réalisateur du film. Au Marché, j'ai aussi eu quelques bons contacts.
I. : J'ai vu quelques films qui m'intéressaient, j'ai passé du temps avec mon ami Gilles Colpart, j'ai retrouvé quelques réalisateurs croisés dans d'autres festivals quand je me baladais avec Surveiller les tortues. Et puis j'ai répondu aux messages de ma boîte aux lettres: une jeune fille de quinze ans qui avait vu mon film et voulait me parler; des producteurs de films ou de pub que mon travail intéressait; des réalisateurs qui proposaient d'échanger une cassette de mon film contre celle du leur. 

 

C. : Pour toi Inès, Maintenant est ton second film sélectionné ici. De plus Surveiller les tortues a reçu les honneurs du gala d'ouverture . C'est une vraie reconnaissance, non ? Cela facilite la vie d'un film également, il me semble ?
I. : Oui, cette reconnaissance facilite la diffusion du film dans les autres festivals et les télévisions. Clermont est unique par son ampleur. Cette reconnaissance, même si elle appartient au monde du court métrage (qui est tout de même très éloigné de celui du long et donc du cinéma au sens où on pourrait en faire son métier), est extrêmement gratifiante. D'une certaine manière, ça me désole que la Belgique, qui est mon pays, ne puisse rien m'apporter de semblable, et que tous les contacts professionnels qui découlent de Clermont entraînent inexorablement les réalisateurs belges qui ont été un peu remarqués à se tourner vers la France. Mais le problème, bien sûr, dépasse largement le cadre de l'évocation qui nous occupe.
Pour en revenir à Surveiller les tortues, elles ont commencé à vivre après Clermont : le film a été pris par l'Agence du Court métrage et sélectionné dans beaucoup de festivals français, projeté pour des soirées de courts dans les salles d'art et essai, choisi pour faire partie du programme bac cinéma 2000, montré et analysé sur Arte, acheté par sept ou huit autres télés... et aussi pré-sélectionné dès Clermont par les organisateurs de festivals à l'étranger. Autant dire que Clermont, ça change tout!

 

C. : On peut donc espérer, Martine, qu'avec le Prix spécial du Jury obtenu, Pâques au tison suive le même chemin ?
M. : J'espère, c'est clair que le prix gagné à Clermont m'ouvre des portes en France, plusieurs producteurs de longs m'ont contactée et sont intéressés par mes projets.

 

C. : En quelques mots ou une anecdote, que retenez-vous de ce Festival ?
M.
 : Je me souviens surtout d'un repas improvisé bien arrosé pris entre Belges dans une crêperie clermontoise. On a beaucoup ri mais aussi râlé... et un prix " belge " m'a été remis en guise de félicitations : un schtroumph caméraman... ! !
I. : A vrai dire, j'ai vu tellement de courts métrages ces dernières années que, comme spectatrice, je me suis montrée moins vorace cette année. Et je dois dire aussi que mon projet de long m'absorbe plus que tout pour le moment. Ce qui me frappe, en voyant les films, c'est qu'on sent tout de même, en tous cas dans la compétition française, qui est moins variée que la compétition internationale, une tendance chez les jeunes réalisateurs que nous sommes à "prouver des choses", ou à "ressembler à". Cette exigence d'un savoir faire, d'une qualité technique très professionnelle, elle correspond à cette idée assez atroce de la "carte de visite". Tous les films n'y échappent pas mais le court métrage est tout de même un lieu de création infiniment plus libre que le long.

 

Pour terminer ces entretiens, nous avons convié Jacques-Henri Bronckart (Versus Productions), producteur heureux en général vu le succès en festivals de ses films... et pas qu'en festivals d'ailleurs.

Cinergie : Travellinckx, Muno : deux films de Bouli Lanners et deux fois une sélection. Est-ce que tu ressens une tendresse particulière de Clermont-Ferrand à l'égard d'un cinéma belge typé?

 

Jacques-Henri Bronckart : Oui, peut-être. Ce qui est amusant, ce sont les discussions notamment lors des conférences de presse où les journalistes français s'émerveillent toujours de cet esprit belge qui est constitué, selon eux, d'un sens aigu de l'autodérision et d'un humour piquant, corrosif. Peut-être que ça les aide de nous coller ce genre d'étiquette mais n'oublions surtout pas que le cinéma belge n'a pas d'identité particulière, si ce n'est la volonté inébranlable d'exister.

C. : As-tu ressenti une différence entre 2000 et 2002 ?
J-H B. :
En 2000, ce qui était très excitant, c'était le nombre de personnes qui venaient nous solliciter grâce au film. Cette année, on en a retrouvé certaines mais on a peut-être fait moins de (nouvelles) rencontres. J'ai surtout eu le sentiment, au Marché, de personnes très volatiles, débordées, ne respectant pas leurs rendez-vous... alors que ce n'est que du court métrage après tout. Il ne faut donc pas trop se la jouer... mais pour les Français, ça, c'est très difficile. Pour les contacts, beaucoup avaient déjà vu Travellinckx et appréciaient le chemin parcouru, donc ça ouvre des possibilités.


C.: Par rapport à ces deux sélections consécutives, peux-tu en mesurer les retombées ?
J-H B. : Certainement. Une sélection en compétition internationale à Clermont, c'est d'abord une sorte de label de qualité, ensuite c'est la certitude que ton film sera vu et pris en considération par beaucoup de monde : acheteurs télé, distributeurs, organisateurs de festivals, producteurs... C'est difficile de mesurer les retombées car, chaque semaine, on reçoit un appel, un mail qui montrent que le film intéresse certaines personnes. Ce qui m'importait aussi, c'était de nouer des contacts pour le développement du premier long métrage de Bouli qui est en cours d'écriture. C'est à ce moment que tu te rends compte, et c'est ce que j'ai toujours pensé, que le court est surtout un tremplin vers le long métrage. Avec Travellinckx et avec Muno, on a deux belles cartes de visite.

 

C. : As-tu tes festivals de prédilection ?
J-H B. : Travellinckx a dû faire près de 70 festivals, mais comme Bouli ne supporte pas prendre l'avion, il n'a pas été dans beaucoup de ces festivals. Muno est en passe de faire mieux mais Bouli a toujours peur... On peut certainement en épingler quelques-uns : Clermont, bien sûr, Uppsala, le festival Oh ce court à Bruxelles., Tout Écran à Genèves, Turin, Vendôme, le FIPA, Rotterdam...

 

C.: Ton métier de producteur t'amène à voir les films des autres pour y découvrir notamment de nouveaux talents. Mais le temps ne manque-t-il pas ?
J-H B.
: Paradoxalement, c'est très compliqué de voir des films à Clermont mais tu entends parler de certains films et donc tu essayes de te rattraper en les visionnant au Marché ou, parfois, tu te glisses à une projection. Rechercher des talents, c'est fondamental dans notre métier mais ça concerne plutôt les réalisateurs belges... Et à Clermont, ils ne sont pas très nombreux. Le plus intéressant, ce sont les contacts. Comme la coproduction en court métrage est assez compliquée, il s'agit plutôt de contacts pour d'autres projets.

C. : Il y a maintenant un petit mois d'écoulé : qu'est-ce que l'après-Clermont ?
J-H B. : Des ventes qui se font en répondant simplement au téléphone ou des contacts avec des partenaires potentiels pour le long métrage...

Illustrations Gwendoline Clossais

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