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Michel Collige pour Amours noires

Publié le 25/05/2023 par Malko Douglas Tolley et Vinnie Ky-Maka / Catégorie: Entrevue

Ce court-métrage réalisé par Michel Collige met en scène un huis clos dans la plus pure tradition du polar noir. Interprétés par Solal Boyer et lui-même, les deux gangsters qui auraient pu figurer dans une aventure de Dick Tracy ou être des fidèles d’Al Capone ont une discussion surréaliste et captivante.
Cinergie.be est allé à la rencontre du gagnant du prix jeunesse de la compétition 2023 du BIFFF de Bruxelles.

Cinergie : Comment avez-vous décidé de vous lancer dans la réalisation de votre premier court-métrage, Amours noires ? 

Michel Collige : Ce projet fait suite à plusieurs projets initiés durant la pandémie. C’est une période où les théâtres étaient fermés et je me suis mis à réaliser des clips vidéo. Des amis musiciens cherchaient quelqu’un et j’étais preneur. J’ai toujours eu ce besoin de raconter des histoires et, pour ceux qui ne le savent pas, je suis comédien et je viens du théâtre. 

J’ai tenté plusieurs mises en scène au théâtre qui n’ont pas abouti et le covid m’a donné le temps nécessaire pour m’y mettre dans le format vidéo. À la différence de la scène, ce sont des projets qui s’inscrivent plus dans la durée et ça reste, au contraire du théâtre où, si les programmateurs ne sont pas présents lorsqu’on présente un projet, c’est de l’énergie perdue. 

Après plusieurs déceptions, j’ai décidé de me concentrer plus sur la réalisation car cela me convient plus. La manière de travailler est plus fine et c’est de cette envie que le projet d’Amours noires est né.

 

C. : Une démarche similaire aurait-elle été envisageable il y a une dizaine d’années ? Voyez-vous la démocratisation des moyens technologiques et le fait qu’il soit plus abordable de créer des contenus de qualité comme un renouveau pour le secteur du cinéma, qui semblait beaucoup moins accessible par le passé ? 

M.C. : Carrément, il y a un boom à ce niveau. Personnellement, j’ai une petite station de montage, une caméra avec un Steady Cam, je peux faire seul tout le processus d’un clip de A à Z. Je peux écrire le scénario, discuter avec les artistes, organiser le plan de travail, prendre le son et faire le montage. On est beaucoup plus libre qu’avant et on ne dépend plus autant de certains corps de métiers. En ce qui concerne Amours noires, on était beaucoup plus dans le projet.

 

Cinergie : Comment avez-vous préparé ce tournage en tant que réalisateur et comédien ? 

M.C. : En ce qui concerne l’écriture d’Amours noires, le texte d’origine est issu d’une pièce intitulée Dans le noir de Régis Duqué, dans laquelle j’ai joué aux Riches-Claires avant la pandémie. Je jouais le flic central de l’histoire. À chaque fois que je voyais la scène retenue pour le court-métrage, je trouvais qu’elle fonctionnait super bien pour un projet vidéo, sans avoir spécialement besoin de retenir le reste de la pièce. 

Durant un tournage de clip un peu barré où l’on refaisait l’histoire d’Icare, on a passé une semaine géniale avec un groupe de jazz et le comédien Solal Boyer. Je me suis souvenu que j’avais parlé de reprendre cette scène de sa pièce à Régis Duqué et c’est comme ça que le projet a débuté. 

Au fur et à mesure, plusieurs personnes se sont agrégées au projet et on est aux alentours de 25 ou 26 personnes à avoir travaillé sur Amours noires, tous de manière bénévole. C’était fantastique. Le film n’a pas coûté si cher vu qu’il s’agit d’un huis clos. Il a été tourné dans la cave du Jam Atsukan à Bruxelles. Il y a eu trois jours de tournage intensif et pas mal de temps ensuite en postproduction. 

Quand on ne paie pas les gens, on ne peut pas être exigeant au niveau de l’agenda. J’étais au montage, mais l’étalonneur devait être disponible également. J’ai également un travail à assumer. On a mis presque six mois en postproduction pour atteindre le résultat final.

 

Cinergie : Comment s’est déroulée la collaboration avec Solal Boyer ? 

M.C. : Pour l’anecdote, Solal est un comédien issu des cours Florent que j’avais pris en stop pour aller dans le sud de la France. On a fait un road trip incroyable sans se connaître, ce qui était plutôt amusant comme rencontre. Directement, il m’a dit qu’il voulait prendre le rôle de Jerry. 

J’ai pris le rôle de Tom qui m’intéressait également, car j’apprécie la partie où il s’ouvre sur l’amour et ses sensations que le personnage n’a pas l’habitude d’appréhender. J’ai été touché par ces émotions et j’ai été très content de m’approprier ce personnage. 

J’avais un super assistant-réalisateur, Michael Dubois, qui m’a épaulé avec brio. Il s’est occupé de la direction d’acteur également. On a beaucoup travaillé ensemble en amont. Vu qu’il s’agit initialement d’une pièce de théâtre, qu’on n’avait pas d’argent et très peu de temps, on devait être prêt directement pour aller à l’essentiel. On voulait éprouver ces rôles très fortement avant le tournage pour avoir une liberté totale sur le plateau et être dans le présent et l’action directement. On a tenté beaucoup de choses sur le plateau malgré tout, mais le monologue, par exemple, il s’agit de deux prises uniquement. 

Vu que je jouais, je n’étais pas au combo et je ne pouvais pas le voir en direct. Et vu le retard qu’on avait pris, j’ai dû accepter de déléguer certaines tâches et le résultat a dépassé mes espérances. Ça a fonctionné grâce à la bonne volonté et l’énergie de tous.

 

Cinergie : Votre souhait est plutôt de poursuivre en tant que réalisateur ou d’avoir d’autres projets en tant que comédien pour le cinéma ? 

M.C. : Assumer les deux casquettes a été possible, car j’ai pu énormément travailler en amont avec tous les corps de métiers afin que je sois concentré sur mon rôle de comédien lors des prises de vues. J’ai donc délégué énormément pendant cette phase et j’ai laissé beaucoup de liberté aux équipes. J’ai travaillé en binôme avec Michael durant l’entièreté du tournage. 

Pour la suite, j’aimerais continuer de faire les deux. J’ai pensé stopper à une époque, mais je me rends compte que c’est quelque chose de vital pour moi. J’ai envie de tourner face caméra pour d’autres réalisateurs. Je pense également réaliser d’autres projets par la suite, car j’aime raconter des histoires et j’ai encore des idées à partager. J’ai une idée pour un prochain court-métrage, mais je préfère ne pas en dire plus à ce stade. 

 

Cinergie : Que racontez- vous dans Amours noires 

M.C. : Le propos principal n’est pas toujours évident à percevoir. Comme dans la pièce Dans le noir, dont le court-métrage est inspiré, il s’agit d’une confrontation entre deux gars qui sont les archétypes de gars virils. Mais aucun des deux ne sait comment gérer des émotions amoureuses. Ils sont confrontés à quelque chose qui les émeut. Dès lors, ils sont complètement perdus. Ce sont deux personnages enfermés dans leur condition de bonhommes froids et machos. Et ces deux tueurs redeviennent des enfants suite à l’entrée d’une femme dans leur vie. 

Actuellement, on vit une époque où la masculinité est en crise et les hommes se posent beaucoup de questions sur leur virilité. Amours noires, c’est l’histoire d’un mec qui se livre à un autre homme. Et même s’ils sont maladroits, il s’agit d’une prise de conscience nouvelle pour ces mecs enfermés dans un stéréotype qui leur colle à la peau. Ce récit comme l’écriture de Régis Duqué m’ont beaucoup touché. C’était important pour moi de montrer la détresse de ces hommes qui ne sont pas équipés face à l’amour, ce qui finalement les perdra.

 

Cinergie : L’ambiance est celle d’un polar noir assez sombre. C’est en noir et blanc. Quels sont vos sources d’inspiration ou ce qui vous a poussé vers ce parti pris ? 

M.C. : J’ai une quarantaine d’années et je suis un cinéphile assidu. On peut penser que j’ai essayé de prendre des choses à des films comme The Finisher, de Nils Tavernier ou même à du Tarantino pour les personnages très marqués et charismatiques. Ou encore à C’est arrivé près de chez vous. Mais, par rapport à l’esthétique du film, je voulais quelque chose de très tranché dès le départ. Je ne voulais pas de couleurs et marquer le coup avec du noir et blanc. Si je dois citer une inspiration principale à ce niveau, ce serait Sin City de Frank Miller et Robert Rodriguez. 

Je souhaitais intégrer des éléments de couleurs dans ce décor en noir et blanc afin de rendre le projet singulier du point de vue esthétique. Le rouge pour le sang et le rouge à lèvres. Le jaune pour le canard qui symbolise ce retour en enfance. Il faut rendre hommage à Gwen de ce point de vue. On voulait une ambiance glauque et froide qu’on est en droit d’attendre de ces bains japonais. Il fallait que ça pue un peu le cigare et le whisky pour accentuer encore l’aspect viril et pas très propre de ces gars.

 

Cinergie : Qu’est-ce que ça représente pour vous de voir votre premier court-métrage couronner par le prix jeunesse du BIFFF ? 

M.C. : Nous n’étions pas dans l’attente d’un prix. La sélection au BIFFF et la présentation d’Amours noires au public était déjà une belle récompense. Personnellement, j’ai travaillé deux ans sur ce film et le fait d’avoir été reconnu par des jeunes à l’unanimité, ça m’a touché énormément. Ce qui m’a également vraiment plu avec l’attribution de ce prix jeunesse, c’est que le jury était composé de 4 jeunes femmes et un jeune homme. J’avais un peu peur que le sujet soit trop masculin. 

Et puis, pour l’anecdote, le premier festival de cinéma où j’ai mis les pieds il y a 20 ans, c’était le BIFFF. À l’époque j’étais derrière le bar à servir des bières et j’ai découvert ce monde surréaliste et funky. J’ai découvert l’ambiance en salle et je me suis dit « Oh, My God, c’est ça l’ambiance en festival de cinéma ! ». Et puis non, en fait ça se passe comme ça uniquement au BIFFF. C’est mon premier festival en tant que spectateur et c’est le premier festival où j’ai projeté mon film. Symboliquement, ça représente quelque chose pour moi.

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