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La Plus Précieuse des Marchandises, de Michel Hazanavicius - 2024

Publié le 10/06/2024 par Kevin Giraud / Catégorie: Critique

Dieux de métal terrifiants, forêts mystérieuses qui abritent autant les pires atrocités que la bonté et la charité, personnages archétypaux et narrateur vénérable, tout dans La Plus Précieuse des Marchandises résonne comme un conte. À juste titre, car c’est ainsi que l’a souhaité son auteur Jean-Claude Grumberg, dont Hazanavicius porte l’écrit à l’écran. Et à ce jeu, l’animation permet au réalisateur de mettre en scène le merveilleux comme l’inconcevable.

La Plus Précieuse des Marchandises, de Michel Hazanavicius - 2024

Tout commence comme une fable dans ce récit encadré par Jean-Louis Trintignant, une histoire qui sonne comme un souvenir lointain d’un homme lui-même disparu il y a deux ans déjà. Au cœur de cette forêt sans nom, l’on découvre un couple brisé par la vie et la guerre, et par la perte de leur enfant. Jusqu’à ce qu’un matin enneigé, d’un train à la silhouette par trop reconnaissable, tombe une enfant, confiée à la Providence. C’est dans ce couple, et plus particulièrement chez cette “pauvre bûcheronne” comme se plaît à la nommer le conteur, qu’elle va se manifester. Et l’espoir d’apparaître ainsi au détour d’un sourire, de l’assistance d’un étranger ou du lait d’une chèvre miraculée.

Mis en images par Hazanavicius, La Plus Précieuse des Marchandises évoque les illustrations des contes d’antan, peuplé de personnages à la dérive dans un monde lui-même en perdition, malgré quelques sursauts d’humanité. Dans ces paysages enneigés et monotones, les dieux de métal qui parcourent cette forêt font trembler la Terre et le cœur des hommes. Un cœur qui, chez le bûcheron, ne pourra rester de glace face aux sourires et aux rires d’une enfant maudite qu’il abhorre pourtant dès le premier regard. Et tandis que l’hiver fait place au printemps et que le foyer du couple se réchauffe, la mort continue son œuvre au bout du chemin, proche et pourtant si loin.

La violence des images du camp, qui envahit toute la seconde moitié du film, contraste avec la beauté paisible des décors de la forêt nourricière et protectrice, même si la guerre et la cruauté des hommes ne sont jamais très loin. Dans cet univers visuellement riche et apaisant, les protagonistes s’entrechoquent pour le pire comme pour le meilleur, lorsque pointent la bonté et la charité au travers du brouillard de l’atrocité. Des paysages habités par un monde sonore rappelant le calme et la sérénité des contes d’hier, troublés par les vibrations lancinantes des rails, et le ronflement sinistre des mécaniques d’horreur du camp. Un ensemble où la musique, composée par Alexandre Desplat, vient renforcer le sentiment de malaise jusqu’à l’insupportable, l’inconcevable, l’innommable.

Dans ces envolées, La Plus Précieuse des Marchandises dépeint sans compromis la fin de l’humanité, au bout de cette ligne terrible et sans retour. Des dizaines de visages sans noms qui hantent l’écran, témoins silencieux de ces “familles dispersées en fumée”, comme nous le raconte Trintignant de sa voix calme.

“On dit que rien de tout cela n’est arrivé, que ce n’est qu’un conte”, conclut le narrateur.  Le récit de cette petite fille, de cette lueur d’espoir sauvée dans un geste désespéré par son père, et recueillie dans un sursaut de bonté, l’est en tout cas. Mais comment, sinon par le conte, pouvoir se sortir d’un tel abysse?

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