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Zaven Najjar : Allah n'est pas obligé

Publié le 23/07/2024 par Kevin Giraud / Catégorie: Entrevue

Après des études entre Paris et Chicago, l’animateur-illustrateur Zaven Najjar a déjà brillé en tant que directeur artistique de La Sirène, réalisé par Sepideh Farsi et sélectionné dans de nombreux festivals internationaux. C’est à Annecy que le cinéaste a levé le voile cette année sur son premier long métrage d’animation, Allah n’est pas obligé. Adaptation du roman éponyme d’Ahmadou Kourouma et prévu pour une livraison mi-2025, le film s’est révélé à une audience attentive. Avant cette présentation, nous avons eu l’opportunité de revenir avec Zaven Najjar sur son parcours, ses premières réalisations tant en illustration qu’en animation, ainsi que sa méthode de travail bien particulière mêlant les deux univers.

Zaven Najjar  : Allah n'est pas obligé

Cinergie : Quel serait votre premier souvenir en lien avec le cinéma d’animation?

Zaven Najjar : Je pense que mon tout premier souvenir doit dater de l’enfance. À l’époque, j’ai découvert avec ma mère, mon père et mon cousin (tous deux artistes peintres) le film Blanche Neige et les Sept Nains au cinéma. C’était la première fois que j’allais en salles, et voir ce film entouré de ces deux peintres incroyables qui m’ont beaucoup inspiré reste un souvenir très fort. Pour autant, je ne rêvais pas de travailler pour Disney. J’ai toujours dessiné depuis que je suis enfant, et je pense que secrètement, c’est toujours ce que j’ai voulu faire même si on ne me destinait pas forcément à une carrière artistique.

 

C. : Pouvez-vous nous parler de votre formation?

Z.N. : Elle a commencé aux Arts Décos à Paris. À l’époque, il fallait vraiment un gros travail pour pouvoir entrer dans cette école, mais la formation s’est révélée passionnante. J’ai appris énormément tout en étant en contact avec des gens très différents, et également sur les différentes manières dont on pouvait aborder un projet en termes de créativité, bien au-delà du cinéma d’animation. Dans ce cadre, j’ai pu faire un échange à la School of the Art Institute de Chicago, et c’est là que j’ai approfondi mes connaissances en cinéma et en prises de vue réelles, tout en découvrant un nouvel univers tout aussi passionnant.

 

C. : En 2015, vous réalisez votre premier court métrage d’animation Un Obus partout, mais avant ça, vous livrez une série de posters de grands artistes de rap. Quel est votre rapport entre d’une part l’illustration, et d’autre part l’animation?

Z.N. : Ce n’est pas forcément quelque chose que je conscientise. À l’époque où j’ai commencé à faire de l’illustration, je ne faisais que de l’animation, or je découvrais énormément de grands illustrateurs qui me passionnaient. De plus, c’est de cette manière que je construis n’importe lequel de mes courts métrages, au travers de visuels fixes. Le pas était donc envisageable, même si ce n’est pas identique. Et c’est ainsi que cela a commencé. Au départ, c’était très spontané, j’avais un peu moins de travail et je me suis mis au défi d’en produire un par jour. Et finalement, cela a fait le buzz, tout en étant un magnifique terrain de jeu pour moi qui ai besoin d’une forme de liberté dans ma création.

 

C. : Cette méthode de travail, partant d’images fixes pour arriver à l’animation, vous l’utilisez encore aujourd’hui dans vos projets?

Z.N. : Oui, même si à l’échelle d’un long métrage comme Allah n’est pas obligé ou La Sirène, c’est un peu différent. Les images restent clés dans mon travail, mais ce n’est pas le même mode de narration lorsqu’on travaille un storyboard, beaucoup plus rough. Au final, les deux doivent coexister dans ma méthode, et c’est comme cela que je travaille aujourd’hui. Par rapport à mon travail sur La Sirène, je venais de réaliser Un Obus partout et j’ai rencontré Sepideh Farsi via une amie commune. Le projet dont elle m’a parlé m’a énormément touché, je connaissais la guerre en Irak, mais la redécouvrir sous ce prisme et ces images était très fort. C’est un film qui a pris beaucoup de temps et d’énergie, mais qui a aussi beaucoup mûri au fil de sa réalisation. Et c’est au travers de celui-ci que j’ai rencontré Sébastien Otomo, avec qui je produis aujourd’hui Allah n’est pas obligé. Sébastien a toujours rêvé d’adapter ce roman d’Ahmadou Kourouma qu’il avait découvert pendant ses études à la Sorbonne. Dans ce livre, il y a de cette ironie que je retrouve également dans la famille et dans leur rapport à la guerre, et c’est là que nous nous sommes retrouvés avec Sébastien.

 

C. : Dans les images montrées à Annecy, on sent à la fois l’ironie, mais aussi la violence, très présente, comment cela va-t-il se traduire dans le film?

Z.N. : Un des enjeux pour nous était de retranscrire le ton et la voix de Birahima, protagoniste du roman, dans le film. En sachant que le texte est écrit à la première personne. On a donc choisi d’utiliser une voix off qui intègre régulièrement des phrases du roman, et qui viennent interagir avec l’image. Cela nous permettait de faire exister le personnage et le mettre au premier plan, là où à l’origine il est parfois témoin. Et pour réussir à intégrer tous les aspects politiques et historiques que Birahima dévoile par ailleurs, nous avons choisi de passer par le biais de quatre dictionnaires, qui sont quatre séquences animées insérées dans ce récit. Présenter ce work in progress à Annecy, c’est beaucoup d’émotions. Pour moi, l’animation me permet de faire passer des émotions et raconter des histoires qui me touchent, et m’interrogent sur le monde dans lequel on vit. C’est la raison pour laquelle je fais des films, et j’espère que celui-ci vous plaira.

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