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Le Chant des hommes de Benédicte Liénard et Mary Jimenez

Publié le 15/02/2016 par Fred Arends / Catégorie: Critique

Au coeur d'une église à Bruxelles, un groupe de réfugié-e-s sans papier se préparent à commencer une grève de la faim afin d'essayer de forcer les autorités à leur accorder un permis de séjour. Durant 28 jours, nous serons les témoins de leur combat, de leurs doutes et de leurs espoirs. Alors que la question des réfugié-e-s est aujourd'hui devenue centrale en Europe, les réalisatrices, Mary Jimenez et Bénédicte Liénard, offrent un film audacieux et complexe.

Le chant des hommes de Bénédicte Liénard et Mary JimenezLibrement inspiré par de nombreux récits de personnes migrantes sans papier, Rising Voices constitue un contrechamps nécessaire, indispensable aux images et aux récits complaisants et souvent cyniques dont les médias informatifs nous abreuvent. Le ou la réfugiée n'est plus ici une figure sur laquelle sont projetés les fantasmes et les peurs d'une société qui craint définitivement l'altérité, mais un être humain plongé dans un système et une communauté de personnes auxquels il n'appartient pas. Ce contrechamps est d'abord spatial. Nous sommes dans l'Eglise, directement aux côtés des personnages. La première scène qui montre l'installation des matelas nous plonge d'emblée dans un ensemble de gestes qui composent un quotidien inconnu auquel nous serons de plus en plus attentif au fil du récit. Cette occupation est également un détournement des lieux et des symboles : l'église, divisée par des tentures, devient à la fois refuge, dortoir, mosquée, gynécée; l'hostie n'est plus le corps du Christ, mais une nourriture pour un malade et l'armoire liturgique devient une cache pour l'argent.

Filmé en plans souvent serrés, le film refuse d'ouvrir l'espace. Ce dernier semble prendre la forme du couloir, évocation des couloirs d'attente ou matérialisation des listes de noms des réfugié-e-s : la division de l'église, l'escalier menant au parking souterrain, la pièce dérobée dans l'épicerie marocaine ou encore l'échafaudage devant le bâtiment. Le plan large, rare, peut apporter de la pudeur dans un univers où l'intimité est un luxe (le cri de désespoir déchirant la nuit) ou, à l'instar, du plan final, acter un échec collectif.

Le Chant des hommes Benédicte Liénard et Mary JimenezAyant fui la Syrie, l'Irak, le Congo ou encore l'Iran, Esma, Kader, Najat, Moktar et bien d'autres vont s'organiser et après avoir vécu des situations terribles, vont à nouveau se mettre en danger (la grève de la faim) pour obtenir une reconnaissance de leur situation. L'Eglise devient une véritable assemblée politique où se vivent les débats, les contestations, les négociations mais où apparaissent également les tensions. Porté par Esma et Kader sous la houlette du prêtre responsable de l'église (interprétés magnifiquement par Maryam Zaree, Assaâd Bouab et Sam Louwyck), ce mouvement démocratique sera aussi confronté aux agendas personnels de chacun, aux préjugés et aux trahisons.

La multiplicité des parcours et des personnages et l'absence d'explications sur le pourquoi de leur situation rend parfois le récit opaque et laisse dans l'ombre un grand pan de ces histoires individuelles. Mais ce parti pris fait sens, car comment peut-on expliquer qu'une personne en Belgique depuis 8 ans et qui a travaillé toutes ces années, ne soit pas considéré comme un citoyen de ce pays ? Qui peut l'expliquer d'ailleurs ?

Ce que l'on sait, c'est ce qui nous est montré, ce sont des personnes qui, par leur courage, leur humanité, présentées dans leur complexité et sans compassion naïve, auraient droit à tous les papiers du monde. Mais ce sont aussi des êtres humains travaillés par la colère, la lâcheté et l'avidité. Un migrant est un être humain. Ni plus, ni moins.

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