Le collectif L’Enclume
Rémi Durin : C’est en référence au gag de l’enclume : un héros de cartoon se prend systématiquement un truc sur la tête et se relève à chaque fois. Nous, à chaque baffe, on se relève !
Paul Jadoul : Ah, bon ? C’est pas nous qui les donnons, les baffes ?!
C. : L’idée de collectif est née pendant vos études à La Cambre. Pourquoi ne vous êtes-vous pas intéressés aux voies traditionnelles de l’animation en rejoignant l’un ou l’autre studio par exemple ?
C.B. : On a remarqué que ça faisait 15 ans que des gens ne s’étaient pas associés après l’école, et que depuis cette période, la réalité du métier avait changé, que toute une génération d’animateurs s’en était bien sortie mais que ça n’avait plus lieu. Evidemment, c’est possible de faire des stages dans des boîtes professionnelles et d’être engagé par ce biais-là. On fait des petites choses, un peu d’animation et au bout d'un moment, on peut espérer gérer quelques responsabilités. À la fin, on devient animateur en chef. Mais pour y arriver, ça prend en général plusieurs années.
P.J. : Le travail en sudio, c’est contraignant. Nous, en restant libre, on a la possibilité de faire des trucs très différents. Ce n’est pas forcément ce qui se passe dans les autres boîtes où les animateurs ont un poste assigné et un travail bien déterminé, un personnage particulier à traiter par exemple.
R.D. : Dans les studios, les gens travaillent dans le calme. Ils sont assis à leur table de dessin, à un mètre de distance les uns des autres, mais chacun est concentré, dans son univers. Nous, nous avons besoin d’échanges.
C.B. : Ici, on crée dans une bonne ambiance et on apprend tout le temps des trucs. Dans les studios, le travail est plus formel.
P.J. : Si je ne sais pas comment on fait tel machin, un autre va prendre quelques minutes pour me l’expliquer. Il va m’apprendre quelque chose que je ne sais pas. Il y a ça entre nous.
C.B. : Pendant les études, on a pris l’habitude de se donner des coups de main mutuels et de s’apprendre des choses les uns les autres. On n’avait pas envie de perdre ce partage.
R.D. : Nos univers ne se répondent pas spécialement. Il n’y a pas de similitude; on crée des trucs très différents. Parfois, c’est dur de mettre tout le monde d’accord. Mais au moins, quand on fait des travaux entièrement à quatre, on développe quelque chose qu'aucun d'entre nous n’aurait créé indépendamment. Devant le résultat, on ne reconnaît pas vraiment un style. Ça devient un style collectif, et c'est différent à chaque fois. L’idée de l’un va prendre le dessus, mais c’est un autre qui va y faire un ajout. Par exemple, le générique d’Anima ne ressemble au style de personne en particulier, mais en même temps, tout le monde était indispensable pour sa réalisation.
R.D. : Cette année, oui. L’année passée, en 2007, on voulait se lancer, mais avant de dire « on est géniaux, embauchez-nous ! », on voulait se tester sur quelque chose de concret. On a proposé un générique à l’équipe du festival et comme ils n’avaient rien, ils ont accepté.
C.B. : Comme ils étaient contents, ils nous ont demandé d’en faire une version télé afin que le montage respecte les normes de la publicité. Et cette année, ils nous ont proposé de réitérer le travail mais cette fois-ci, c’est devenu une commande.
C. : Vous avez chacun plusieurs courts métrages à votre actif. Avez-vous envie de continuer à en faire?
R.D. : Il y a une réalité financière existante : il faut qu’on reste viable. Et à côté, il faut qu’on développe nos propres projets, ce qui prend du temps. Quand on travaille sur une pub, on n’a pas forcément le temps de faire tout ce qu’on veut. On sait très bien qu’on ne va pas pondre un court métrage par personne et par an. Mais on veut garder cette porte ouverte. Si on a créé L’Enclume, c’était pour faire aussi ce qu’on voulait.
C.B. : Rémi a beaucoup d’affection pour le court, intérêt qu’on partage tous. Mais on n’a pas tous envie de penser qu’à ce format. Paul est désireux de faire du clip et moi, je suis attiré par d’autres médias. Actuellement, on consacre énormément de temps et d’investissement aux commandes qu’on reçoit. Je crois que c’est important pour nous de faire d’autres choses et de voir ce qui se passe ailleurs avant de nourrir des projets personnels, parce qu’au final, ce ne sera peut-être pas un court pour chacun. On a des envies communes, mais aussi des centres d’intérêt très différents. Il faut qu’on prenne le temps de savoir ce dont on a envie.
R.D. : Quoi ? On ne fera pas de court métrage (rires) !
C. : Quoi ? Il y a dissension à L’Enclume (rires) ?!
R.D. : Non, Constantin a raison. Personnellement, je ne pense pas faire de clip, mais le jour où Paul monte un projet, j’aurai envie de travailler dessus parce que si ce n’est pas mon réflexe, je trouve le format et les contraintes très intéressants.
R.D. : Mine de rien, on recrée le schéma de l’atelier de l’école tout en ayant une façon de travailler propre. Il y a effectivement des éléments de là-bas.
P.J. : Mais à l'Enclume, on n'a pas le même genre de projets qu'à La Cambre. Quand on a une commande dans la pub, c’est complètement différent, parce que des gens nous encadrent. Par contre, pour le clip de Hooverphonic qu’on a fait, on a eu une période énorme de réflexion et puis, à la fin, des délais très serrés pendant lesquels il fallait faire toute la production en très peu de temps. Ça, c’est comme à La Cambre.
P.J. : On essaye d’avancer. Pour chaque projet, on essaye de faire quelque chose qu’on ne sait pas faire. Parfois, ça se révèle un peu casse-gueule et délicat (rires) !
R.D. : On est toujours au stade de l’apprentissage. Mais comme dit Paul, ce stade se heurte aux délais...
C.B. : … Et c’est là qu'on laisse de côté tout notre discours pédagogique et où on se refile les animations à gérer parce qu’on n’a plus le temps pour théoriser (rires) !