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Le Destin des Steenford

Publié le 01/10/1998 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Tournage

Un mince filet de fumée s'échappe des tuyaux. Un murmure rauque s'échappe de sa voix de baryton voilée par une grippe tenace. Mais tout le monde est attentif aux propos de Jean-Daniel Verhaeghe, le réalisateur des trois épisodes du Destin des Steenfort, la saga télévisée des Maîtres de l'Orge qu'il met en scène depuis le début et qui glisse : "N'oublie pas qu'on a tous vus Armaguédon !". Nous sommes dans les sous-sol des bains de Saint-Gilles. Christian Lebrun (Sébastien Tournay), revêtu d'un cache-poussière gris qui porte la griffe des années cinquante, se débat avec de multiples manettes et provoque des jets de fumée alarmant pour les bronches de l'équipe de tournage, laquelle - hormis le réalisateur - est munie de masques qui leur couvrent la bouche et filtrent l'air qu'ils respirent.

Le Destin des Steenford

L'accessoiriste règle le débit du jet de fumée qui envahit l'ensemble du sous-sol, aveuglant certains et faisant tousser d'autres. "L'image est très diffusée par rapport à ce qu'on avait tout à l'heure...1/3 de diaph en moins !", signale Jean-Claude Neckelbrouck, le chef op, à l'assistant image. "Le problème, c'est le volume de la pièce ! encore que ça, c'est pas mal" dit le réalisateur. "On fait le silence, 3/65 sur 4 deuxième." Derrière la caméra une voix féminine, celle de Marianne, crie : "Christian !", aussitôt noyée par une voix d'homme hurlant : "Germeau ! Nom de Dieu, arrêtez ça !"


Christian Lebrun, alias René Germeau, bâtard, né des amours coupables de Juliette Steenfort (la soeur aînée de Marianne) et de Léopold Garcin (fils de Léopold Garçin, le fasciste de l'épisode se déroulant dans les années 1930), vient d'être démasqué et va être arrêté par la police. Depuis le début du sixième épisode de la série - Jay, 1973 - sur le tournage duquel nous sommes, il sabote la production de la brasserie Steenfort pour venger son père détenu pendant quinze ans par Adrien Steenfort dans les caves de l'ancienne brasserie en ruine.

Producteur

"En 1969, Henri Xhonneux et moi avons monté Aligator Film, nous explique Eric Van Beuren, le producteur de la série. Comme on avait envie de faire de la fiction, on a proposé à la RTBF Chez Pauline, un programme basé sur la Commédia dell'arte qui a eu un très grand succès. Après 1979 on a eu l'idée de proposer à la RTBF, une nouvelle série de fictions. L'idée était une série sur la bière. David Lachterman a été emballé et nous a suivi. Henri et moi avions concocté un premier jet (un draft) qui puisait dans ce qui se faisait à l'époque : les bons devaient être des méchants et inversement les méchants pouvaient être des bons et on l'a proposé à des scénaristes français, des anglais et un belge. Celui qui nous a proposé quelques semaines plus tard le texte le plus intéressant c'est Jean Van Hamme. Les Maîtres de l'Orge étaient nés. Il a écrit six épisodes d'une heure et on a mis treize ans à trouver le financement pour la moitié de la série. Elle a été présentée plusieurs fois aux chaînes étrangères. Mais c'était un programme belge qui essayait d'aller chercher en France énormément d'argent. Après huit ans de vaines tractations, Van Hamme m'a appelé pour me demander de lui rendre ses droits littéraires. Avec l'accord de la RTBF on les lui a rendus. A partir de là il a remodifié son texte, il a trouvé Vallès, un dessinateur, un éditeur et il en a fait une bande dessinée en six volumes. Il est probable que la bédé a eu une influence sur l'acceptation du projet. La cote de Van Hamme avait monté, Largo Winch et XIII étaient des succès. Peut-être aussi que Didier Decoin, lorsqu'il est arrivé à France 2, a été un lecteur plus attentif que d'autres. En tout cas il y a un certain nombre de facteurs qui ont fait que treize ans après les trois premiers épisodes ont été tournés.

Pasteur

L'exactitude historique est une des qualités de Van Hamme. Il fait un très gros travail de documentation qui répondait d'ailleurs à notre demande. On voulait raconter le passage du siècle (de la fin du XIXe au début du XXe siècle) - avec la bière comme décor. Je me rappelle qu'Henri avait trouvé une formule : "Tu dois nous raconter une histoire avec comme héros la bière et où celle-ci passe de la bière-plaisir à la bière boisson". Avant les travaux de Pasteur la bière était une boisson qu'on dégustait comme le vin, c'était une matière toujours vivante (qu'on retrouve encore aujourd'hui avec les bières à fermentation haute, comme la Gueuze). A partir du moment où Pasteur a découvert la pasteurisation, c'est-à-dire la fermentation basse, on a assisté à la naissance de la Pils qu'on ne déguste pas, qu'on boit et qui donc peut enivrer. Ça, c'est toute l'évolution : au départ la bière se buvait dans des tavernes, se buvait chez les gens riches qui pouvait se payer un tonnelet, mais à partir du moment où elle est passée dans les cafés, puis dans le domaine privé avec la bouteille et la canette, son mode de production et de consommation a changé. C'est aussi ce qu'on voulait raconter. D'autant que tout ça s'est passé dans un lieu géographique qui est le nôtre (la Belgique et le Nord de la France) .

Au début on s'est battu pour que la réalisation soit confiée à un belge mais on ne peut pas se battre sur tous les fronts. On demandait des financements extérieurs très importants On tournait en Belgique, avec sur les 90 rôles, 85 rôles belges, avec une équipe technique quasi entièrement belge excepté le réalisateur et avec un auteur qui est belge ! Mais tout au début - à une époque où on ne pensait pas devoir recevoir autant d'argent de l'extérieur - on pensait Henri et moi à une réalisation belge. Ensuite France 2, devant le succès des trois premiers épisodes nous a proposé de continuer la série avec l'aide de Son et Lumière, notre partenaire français, et surtout de la RTBF où Yves Swennen a joué vraiment le rôle d'un coproducteur.
Les trois épisodes de la seconde série (Régine, 1934 - Marianne, 1950 - Jay, 1973) devraient être prêts pour la fin du printemps et la RTBF va les diffuser avant l'été 1999. France 2 les sortira sans doute à l'automne.

Après la réalisation de nombreuses séries (Téléchat, Cinéfollies, Zoo Cup, Les Jules-Chienne de vie), je vais coproduire Osveta, un long métrage de Jan Hintjes, et ensuite produire Pleure pas Germaine, un long métrage d'Alun de Halleux avec qui je viens de co-écrire le scénario. J'ai eu un coup de coeur pour Pleure pas Germaine, un bouquin que j'ai dévoré lors d'un voyage en avion, et pour Claude Jasmin, son auteur, que j'ai contacté aussitôt pour en faire une adaptation cinématographique. J'ai d'abord voulu le monter avec les Québécois mais ils m'ont proposé une adaptation qui ne me plaisait pas. J'ai donc contacté Alun de Halleux qui s'est intéressé au projet et va le réaliser. J'ai connu Alun de Halleux à l'époque de 1,2,3, j'ai vu, son court-métrage. L'adaptation de Pleure pas Germaine a été, pour moi, une sorte de thérapie. Je venais de perdre avec la mort d'Henri Xhonneux la connivence artistique que j'avais avec lui et avec Topor, décédé trois ans plus tard. Je m'aperçois que j'ai de plus en plus envie de réaliser un film et je crois qu'un jour je passerai derrière le caméra."

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