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Sur le tournage de Pleure pas Germaine d'Alain de Halleux

Publié le 01/02/2000 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Tournage

Au troisième étage, dans l'une des salle de montage du studio Lou Ease, 51-55, rue Gustave Huberti, à Schaerbeek, Michèle Macquet (chef-monteuse), vêtue d'un pull épais de couleur mauve, les cheveux courts, lunettes, fait face à deux écrans. Elle déplace la souris de l'écran de contrôle, en haut deux plans du film s'affichent comme deux petites fenêtres. Elle clique sur une icône, la flèche se transforme pendant quelques secondes en sablier, puis un gestionnaire de programme avec divers symboles s'affichant à la droite de l'écran. Autour de la monteuse, Alain de Halleux, le réalisateur de La Trace et de No pour dire oui,  (un film co-réalisé avec Peter Wooditsch et qui n'a pas pris une ride. La quarantaine, les cheveux à la Ronaldo, les yeux gris bleu attentifs, et Eric Van Beuren, co-scénariste et producteur du film, cheveux gris, lunettes cerclées, chemise bleue lignée. Sur l'écran de droite une séquence apparaît. Une salle de danse aux couleurs vives avec un éclairage saturé de rouge. Musique de cha cha cha. Germaine danse avec un mec. Cut. La mère et la fille se parlent, complices.

Sur le tournage de Pleure pas Germaine d'Alain de Halleux

Muriel montre le gars avec qui sa mère vient de danser et lui demande :
- Comment tu le trouves ?
- Trop bien pour toi.
- Et pour toi, avoue, tu ne trouves pas qu'il a de la classe ?
Germaine: Ecoute, il est drôle et il a l'air sympa.
- Tu vois, t'avoues !
- Je me suis bien amusée mais tu oublies une chose, je suis mariée avec ton père.

Muriel : Je me demande comment tu as bien pu tomber amoureuse de lui?
- C'était pas compliqué, toutes les femmes étaient amoureuses de lui, un vrai Casanova!
.
Muriel, surprise : Papa?
- Mais oui tu l'aurais vu avec ses jeans et ses longs cheveux.
Muriel, de plus en plus interloquée : Papa avait des cheveux longs?
- Oui! Il les a coupés, il a bien changé, moi aussi d'ailleurs."
Retour au campement sur Gilles, le père, qui s'occupe de Janine et Ronald, les jumeaux de six ans et d'Albert, 14 ans :
- Albert, viens un peu ici.
- Qu'est-ce que tu veux?,
demande Albert.
- Rien du tout, on peut compter sur toi, c' est chouette ça ! Albert si un jour je devais disparaître, ce serait toi, l'homme de la famille !
- Tu vas partir?
- Non, c'est juste au cas où, on ne sait jamais si un jour je viens à mourir, il faut un homme pour me remplacer.
- Mais je ne suis pas encore un homme.
- Pourquoi tu dis ça ?
- Tu me le fais bien sentir, tu dis toujours que je suis un bon à rien.
- J'ai jamais dit ça!
- De toute façon, je sais bien que c'est vrai, d'ailleurs je suis qu'un lâche!
murmure Albert.
- Un lâche, et pourquoi donc?
- Tu vas te fâcher!
- Mais non!
- Ça a rapport avec Rolande!

Gilles plus qu'intéressé : Avec Rolande ? Eh bien quoi parle!
- J'aurais pu savoir qui l'a tuée...Un soir je rentrais de l'école et un gars que je ne connaissais pas m'a dit : "
T'as un pétard ?"
-
Oui
-
Alors suis-moi, je te montrerai l'enfant de salaud qui a tué ta soeur !
- Et alors?
- J'ai pas osé le suivre!

D'une voix forte : "Tu n'as pas osé!; Il explose : C'est pas possible ça...Et pourquoi tu ne m'as rien dit, hein! Laisser passer une occasion comme ça! Dis moi que c'est pas vrai!
L'adolescent éclate en sanglots : Arrête de pleurer comme une bonne femme... Excuse -moi, c'est pas tes affaires de toute façon, j'ai appris qui a tué Rolande !
- C'est qui ?
 demande l'adolescent. Je vais régler son compte à cet enfant de chienne! T'en parles à personne ! Pas à maman, surtout pas à maman!

 


Eric Van Beuren : La collaboration avec Alain a débuté avant Pleure pas Germaine. Je lui avais confié un téléfilm et nous avions tenté un projet d'écriture qui tournait autour d'un portrait d'Hergé. Lorsque j'ai reçu une mouture du scénario de Germaine, j'ai été déçu car elle était très en deçà du livre de Claude Jasmin. Je souhaitais plus d'émotion. Je l'ai fait lire à Alain et il a partagé mon avis tout en émettant une série de critiques constructives. Je lui ai demandé s'il avait envie de l'écrire? Il m'a proposé une collaboration semblable à celle du projet Hergé. Ça s'est fait pendant deux petites années. J'ai demandé à Alain de le réaliser. On a choisi ensemble le casting, l'équipe technique, les décors mais à partir de la réalisation, je l'ai laissé faire sa mise en scène. Au montage j'ai voulu garder un regard extérieur, j'ai vu les différentes étapes et dit ce que j'en pensais et ce qui pouvait être modifié. 

Alain de Halleux : On a soit des films de producteur, soit des films d'auteurs et ce film-ci est un mélange des deux. J'ai poussé Eric à développer ce projet parce qu'il me plaisait. Sur le film je suis auteur à cinquante pour cent parce qu'à la base c'est un film d'Eric et je tiens à ce qu'il s'y retrouve, c'est donc à cinquante pour cent un film de producteur. C'est un cas de figure intéressant. Pleure pas Germaine est l'histoire d'une famille. J'aime beaucoup raconter les relations psychologiques entre différentes personnes dans un groupe. Ce que j'avais fait avec La Trace. Le personnage de Gilles me passionnait, il est craquant, se refusant à voir les choses telles qu'elles sont. C'est quelqu'un qui refuse de voir la réalité et le fait de façon tellement bourrue que le personnage en devient attachant. D'autant que petit à petit il va être obligé de découvrir la réalité.

 

On a tous les deux l'impression que le conflit naît presque toujours de l'attitude masculine et que la femme a un regard différent sur la société. Peut-être parce qu'elle crée, elle met au monde et est obligée de regarder l'avenir. C'est bizarre, elle regarde à la fois l'avenir et le quotidien parce qu'elle doit gérer les deux alors que le mec est dans l'universel mais en n'ayant jamais une prise réelle sur cette Histoire en marche. Quand j'ai réalisé La Trace, j'avais plein de bonnes idées de plans qui ont sauté au montage. Dans Pleure pas Germaine, j'ai proposé d'enlever les deux séquences du film que je préférais sans aucun souci parce que seule la globalité du film est importante. C'est intéressant de vouloir faire disparaître son ego dans un film. Si on n'a pas de vedette, c'est pour la même raison : c'est l'histoire et les relations entre les personnages qui priment. C'est un film sur la chaleur humaine, sur la tendresse des relations et des conflits (ceux-ci sous-entendent souvent plein de tendresse). En fait, il se regarde lui-même. Ce qui m'a attiré, c'est d'avoir trouvé dans une oeuvre populaire un bon portrait de mec et l'amour inconditionnel de sa nana. Elle sait tout, connaît ses faiblesses mais envers et contre tout, cette femme a confiance dans son type. J'ai envie de le dire autrement, une de nos grandes motivations d'Eric et de moi c'est de montrer la différence de réaction entre les hommes et les femmes face à un problème. Gilles, comme la plupart des mecs lorsqu'ils ont un problème, cherche le responsable au lieu de le gérer. La femme, elle, quant il y a un problème, se fout du responsable, prend le problème en charge. On a montré cette différence d'attitude dans le film. Germaine vit à côté d'un type qui, est complètement à côté de la plaque et, contrairement à beaucoup de gens, elle ne cherche pas à le changer. Elle a compris qu'on ne change pas les gens mais essaie de lui donner confiance et il va donc changer naturellement. Lorsqu'on essaie de changer son conjoint, on ne fait qu'empirer les choses. Lorsqu'il y a un accident le père va gueuler au lieu de se pencher sur l'événement qui vient d'avoir lieu. Moi, j'ai vécu ça dans mon enfance tous les jours. Je me fais des blessures à vélo, je rentre à la maison, ma mère va sauter sur la boîte de secours, mon père va m'engueuler! C'est typique des gens qui ne peuvent pas assumer la situation au niveau émotionnel. Gilles est un grand émotif et face à l'événement il n'arrive pas à gérer ; la seule solution pour lui, est de garder l'honneur sauf. Tandis que la maman va prendre dans les bras. Elle fera une réprimande éventuellement après. L'histoire joue sur les couples père/fille, tous deux des révolutionnaires, des anarchistes, alors que le couple mére/fils a le même credo, le même bon sens.

 

Eric Van Beuren : Les grosses modifications sont venues au montage, et c'est là une des grandes qualités d'Alain de n'avoir aucun ego. Le problème vient de ce que pour financer un film, il faut partir d'un scénario et que 80% des gens à qui on soumet un scénario souhaitent voir une oeuvre plus littéraire qu'une oeuvre de travail. Je sais de quoi je parle - j'ai été trois ans à la commission de sélection - et un scénario écrit comme un document de travail n'est pas agréable à lire. Quand c'est gai à lire tu as l'impression d'être devant une oeuvre valable. Pleure pas Germaine a été remarqué comme scénario à ce niveau-là et nous voyons aujourd'hui nous-même les limites de cet aspect littéraire. Au niveau de la finalité cinématographique un certain nombre de scènes aurait dû être réexaminées. D'autant que dans les films à petit budget chaque heure de travail compte. J'adore la diversité de l'Europe. Dans le film il y a sept accents français différents. On a travaillé avec un acteur principal qui est flamand, Dirk Roothooft. On a réussi à créer des liens entre deux cultures différentes en Belgique, on a créé des liens avec des régions en France, comme la Gironde (on a travaillé avec des acteurs de la région), des liens avec la Catalogne. On a mélangé les régions en Europe et cette diversité offre des couleurs très différentes au film. Les acteurs ont été merveilleux sur le tournage particulièrement, Rosa Renom qui joue Germaine et est catalane. Elle est inouïe. Dans cette famille, il y a une catalane, un flamand, quatre Bruxellois francophones. C'est une famille à l'image de l'Europe, colorée.

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