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Les perruques de Christel de Christophe Hermans

Publié le 15/01/2014 par Nastasja Caneve / Catégorie: Critique

On ne naît pas femme, on le devient

Dans Les perruques de Christel, Christophe Hermans s'attaque à l'autre, celui qu'il ne sera jamais : la Femme. Comment comprendre et appréhender la féminité en tant qu'homme ? Dans son dernier documentaire, le jeune réalisateur s'immisce dans la vie de quatre femmes, dont les parcours de vie sont diamétralement opposés, mais qui, pourtant, manifestent toutes le même désir : demeurer « femme ». 

Les perruques de Christel de Christophe Hermans

Manuela, Madeleine, Nicole et Stéphanie. Quatre femmes qui ne se regardent plus, qui ne s'aiment plus, qui ne sont plus. Leur point commun : la perte progressive ou brutale de leurs cheveux. Mère de famille ébranlée par le cancer qui la ravage à petit feu, veuve qui survit après la mort de son mari, jeune fille malade dont la vie est encore à construire, maman traumatisée après la naissance de son fils. Ces quatre personnages, électrons libres, évoluent autour de Christel, leur noyau, leur amie, leur psychologue, leur esthéticienne, leur référent qui s'est spécialisée dans l'art de la perruque.

Perdre ses cheveux, l'idée effraie. Les dictats de la mode s'imposent, les critères de la beauté soi-disant subjective se dessinent : les cheveux définissent un individu, son caractère, sa force. Samson, sans ses tresses, n'était plus Samson. Une fois qu'on en a, on a le choix. Mais quand ils disparaissent indépendamment de notre volonté, il faut trouver des subterfuges. C'est ici que Christel intervient, avec ses doigts de fée, elle module, elle façonne, elle transforme. Même si la filmographie de Christophe Hermans se caractérise par son éclectisme, tant d'un point de vue formel que thématique, il n'en demeure pas moins qu'il reste attaché à des êtres problématiques, des êtres esseulés, marginaux, exclus de la société. Ces quatre femmes, désemparées, ne peuvent plus se regarder dans un miroir de peur d'être défigurées. À jamais. Christel leur apporte la solution et c'est ainsi que le spectateur assiste à la métamorphose progressive de chacune d'elles. Métamorphose physique d'abord et psychologique, ensuite.

La métamorphose est déjà au cœur d'Étrangère (2010) et de Corps étranger (2011). Ce dernier met en scène Arnaud, un jeune obèse dont la silhouette s'émacie progressivement pour faire place à un homme aux contours mieux définis. Même si les sujets traités par le réalisateur sont durs, il ne tombe pas dans les travers d'un misérabilisme potentiel. Au contraire, le spectateur rit avec les personnages qui se définissent par cette légèreté sous-jacente.

Les gros plans abondent et reflètent l'image de femmes belles indépendamment de leur "manque", ces cheveux tant convoités qui rendent les femmes "féminines". « On ne naît pas femme, on le devient ». La société impose des règles esthétiques aux femmes qui doivent les suivre sous peine de n'être pas. Par le biais de la caméra du réalisateur, ces Jeanne d'Arc modernes défient les clichés.

Malgré cette proximité avec les sujets, Christophe Hermans parvient à conserver une distance raisonnable. Un phénomène de distanciation opère. Il rôde sans intervenir directement, laissant le champ libre à ses comédiennes, à leur sensibilité, à leurs différences, à leur acceptation progressive.

Documentaire brut, sans faux-semblants, qui pose la question de la métamorphose du corps corrélée à l'image reflétée, Les Perruques de Christel confirme le savoir-faire de l'artiste, sa faculté d'adaptation dans des milieux a priori hostiles, et pourtant. 

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