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Sur le tournage de Les Portes de la gloire

Publié le 01/04/2000 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Tournage

The Best years of our lives

Nous sommes à Grenay, près de Lens, dans la région Nord Pas de Calais. Aux frontières d'une cité ouvrière, un terrain vague sur lequel la déco du film a installé une sorte d'arrêt de bus. Quatre hommes dans le préau d'un bâtiment désaffecté, sous un ciel de printemps qu'une pluie battante réglée par la déco obscurcit quelque peu, se font des vannes. La sonnerie d'un portable interrompt les conversations. Sergent (Etienne Chicot) décroche : " Ah!, Bonjour ma bichette...quoi ? ". Coup de klaxon. La camionnette de Demanet (Benoît Poelvoorde) s'arrête au milieu de la rue. " Jérôme ! " crie Demanet. Jérôme (Yvon Bach) rejoint la voiture en essayant tant bien que mal de s'abriter de la pluie. Demanet : " Vous faisiez quoi là ? Oh! Rien...il m'expliquait un truc ", répond le jeune homme. La pluie artificielle le mouille entièrement. Toute l'équipe s'est mise à l'abri, sauf le cameraman qui filme de l'intérieur de la camionnette et le perchiste qui capte le dialogue en se faisant tremper stoïquement des pieds à la tête. Abrité par un toit de toile rouge, Christian Merret-Palmair, le réalisateur, observe la scène, la scripte à ses côtés, sur l'écran de contrôle de sa vidéo protégée par un ciré jaune. Cut. Benoît Poelvoorde descend de la camionnette visionne et commente la scène sur l'écran vidéo avec Pascal Lebrun et le réalisateur.
Action ! Abrité de la pluie, au volant de la camionnette, Demanet poursuit la conversation avec Jérôme dont les cheveux et le blouson vert olive dégoulinent d'eau. La sonnerie du portable retentit. Demanet, en décrochant : " Vous permettez deux secondes ", geste vers Jérôme, " Mais monsieur, vous aviez deux semaines pour faire opposition (un temps). Oui...Mais, ne vous énervez pas, haussant le ton de sa voix : " Est-ce que je m'énerve, moi ? " Impatient de se mettre à l'abri, Jérôme s'encourt vers le préau pour rejoindre ses camarades. Demanet klaxonne. Jérôme se retourne et revient sur ses pas. Demanet lui brandit une photo de femme sous le nez : " Dites, j'ai trouvé ça dans le bouquin... ". Il lui donne la photo et poursuit : " Allez dire aux autres de se bouger un peu ! ". Cut.
L'équipe fait silence pour permettre à Dominique Warnier d'opérer, grâce à son système DAT, de capter l'ambiance sonore.

Sur le tournage de Les Portes de la gloire

Pascal Lebrun

 

Les Portes de la gloire est un projet qui se situe dans le prolongement des Carnets de Monsieur Manatane pour Canal +, nous confie Pascal Lebrun. Je suis devenu co-scénariste mais tout en restant graphiste. Je suis un touche à tout. Le projet des Portes de la gloire a été initié par Christian Merret-Palmair, le réalisateur, il y a trois ans. Il est parti d'un documentaire américain sur des vendeurs qui font du porte à porte qui l'a inspiré et lui a donné l'envie de tourner un film. Il nous a demandé, à Ben et à moi, de collaborer au scénario. A partir de ce moment-là, on a porté le projet et maintenant on y est impliqué et on va le porter tous les trois jusqu'au bout, d'où ma présence sur le plateau.. Au générique, outre scénariste, on m'a baptisé conseiller artistique, mais ça ne veut rien dire. On s'en fout un peu !
Bien que les trois scénaristes soient sur le plateau, il y a assez peu de changements par rapport au texte de départ. Tout se tourne comme on l'a écrit. De temps en temps on adapte les situations en fonction des conditions météo.

 

Benoît Poelvoorde

Ça se passe bien, mais on a quelques petits problèmes inhérents à tous les tournages, nous explique Benoît Poelvoorde, des couilles techniques : au développement on nous a pété une journée de rushes et hier on a bousillé une caméra, elle s'est vautrée dans un escalier. 
C'est un tournage ultra compliqué parce qu'on bouge tout le temps. On travaille six jours semaine. C'est épuisant. Et on ne tourne pas dans l'ordre. Pour les comédiens, ce n'est pas évident. Le deuxième jour de tournage, je jouais déjà une scène clé qui fait basculer l'histoire. C'est chiant ! J'ai eu la même aventure avec le rôle du père sur les Convoyeurs attendent : le deuxième jour je devais tourner la scène où il pleure. On n'est pas encore entré dans le film qu'il faut déjà être au climax de son personnage ! Ici non plus c'est pas évident puisque c'est l'apprentissage d'un gamin, de la découverte d'un métier et des autres vendeurs qui font connaissance avec lui. 
Mon personnage est un chef de service, le chef des vendeurs, c'est le mec qui les drive et cherche les secteurs pour eux. Lui, ne vend pas mais donne des ordres à tout le monde. C'est une sorte de petite teigne, imbu de lui-même et qui cherche dans l'autorité une manière d'exister par rapport aux autres. Une fois de plus un personnage antipathique mais qui fait rire à force d'être con. Ça m'amuse. On me demande souvent : " Pourquoi tu joues des rôles de crapule ? " Mais parce que j'aime bien, ça me fait rire ! Et puis on ne me propose que ce genre de rôle ! Si je joue le personnage d'un doux dingue, un peu gentil on ne me croira pas, Ben c'est une crapule ! Le principal c'est que je ne devienne pas crapuleux moi-même. C'est Bruno Gassio qui a dit : " De deux choses l'une, où il est vraiment con, ou alors il joue vraiment bien les cons. "
 

 

Les Albanais du cinéma

 

Une partie de l'équipe est belge. Je préfère travailler avec les belges. En Belgique les gens sont heureux de travailler. Comme c'est pas facile de faire du cinéma, les gens qui bossent sont heureux de le faire et il y a une espèce d'émulation, ils sont contents d'être sur le plateau. J'aime bien tourner chez nous parce qu'on se prend moins la tête, c'est plus convivial. Je trouve qu'on est moins casse-couilles. Le rapport hiérarchique est beaucoup moins installé. En France, l'habilleuse ne parle pas du boulot de la maquilleuse. Les belges s'en foutent un peu. On est pas obligé d'installer un rapport de hiérarchie pour que ça fonctionne. L'autorité n'existe pas de manière aussi radicale. On s'en fout et ça donne aux tournages une énergie positive, de la pèche. Je suis convaincu qu'on travaillera de plus en plus avec les belges. On est un peu les albanais du cinéma ! 0n France on fait des casting pour tout. Il y a un côté plus sauvage chez nous. Sur les Convoyeurs attendent, un moment on devait tourner avec Olivier Gourmet. Il appelle la veille pour dire qu'il était sur un autre tournage et que le réalisateur ne voulait pas le libérer. Benoît Mariage apprend ça et a cette phrase extraordinaire : " Pas de problème je rentre à Lustin et je fais un casting ". Le chef op lui dit : " Je me souviens d'un mec qu'on avait vu dans un café qui avait une bonne gueule ". Ils ont appelé le café et le mec était toujours là. Ils lui ont demandé de jouer dans le film. Il a dit : " Ouais ! Pourquoi pas ? " - "  Tu peux venir faire un essai cet après-midi ? " Il est venu. Il a dit ; " Ça veut dire quoi nonobstant ? Ça veut dire qu'il ne faut pas payer ça ? " On lui a dit vas-y peinard. En deux prises c'était fait. Aucun comédien ne pouvait être aussi vrai. C'est une scène qui frappe. Ça, c'est très propre à la Belgique ! 

  

La décade prodigieuse

Le fait que le cinéma belge a le vent en poupe, depuis quelques années, ne change rien économiquement C'est peau de balle ! Je ne pense pas que le budget de la Communauté française va augmenter pour que tout le monde puisse faire ses films. D'ailleurs il n'y a pas d'argent belge dans le film. Le projet a été refusé par la Commission de sélection, par la RTBF et on n'a pas eu Eurimages alors que la moitié de l'équipe est belge. Si on avait respecté les quotas il n'y aurait pas eu de belges.
On est mal barré parce qu'on a le cul entre deux chaises. Les chaînes de télé nous ont dit c'est trop noir, trop dur (il faut sans doute faire un carton au pré-générique avec écrit en grand : Rires ou Gags). Et d'autres on dit : " c'est une comédie, bof ! " D'autres encore nous ont dit : " mettez des femmes, ce serait plus sympa! ". Mais ça ne serait plus le même film ni le même esprit ! Et puis on fait du scope, pas du format standard! Pas bon pour la télé ça !"

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