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Lever de drapeau papou filmé par un otage de Philippe Simon

Publié le 01/04/2002 par Marceau Verhaeghe / Catégorie: Critique

Lever de drapeau en papua... SOS peuple en danger


Lever de drapeau papou filmé par un otage

 

Dans les hautes terres de l'Irian Jaya, partie indonésienne de la Nouvelle Guinée et terre papoue, se déroule une étrange cérémonie clandestine. La population de plusieurs villages se réunit au pied d'une montagne sacrée. Chants et danses célèbrent les retrouvailles pendant que, sous la cendre, cuisent les patates douces. Après avoir bu et mangé, tous se mettent en route jusqu'au sommet de la montagne. Là, les hommes se mettent en rang, martèlent le sol de leurs pieds nus, rendent les honneurs, présentent les armes (de simples arcs, voire des bâtons), s'inspirant visiblement des rites militaires occidentaux. On amène alors un drapeau qui est pompeusement déplié et hissé au haut d'un mat dans un impressionnant silence recueilli, troublé ça et là par un sanglot d'émotion. Après le discours des chefs, tout le monde se disperse dans le calme. Quelle signification donner à ces étranges images? Au début du film, un long déroulant expose le contexte. Enlevés par des indépendantistes papous alors qu'ils étaient partis tourner un film sur la marche, le réalisateur Philippe Simon et son compagnon Johan Van Den Eynde se sont retrouvés pendant trois mois et demi otages d'une lutte de survie dont nous ignorons, ici, pratiquement tout. Les guérilleros souhaitent précisément rompre cet isolement et faire comprendre au monde qui ils sont et pourquoi ils se battent. Aussi, à la demande de ses ravisseurs, Philippe Simon enregistre-t-il cette cérémonie, comme un témoignage. La précision a son importance car la position du cinéaste est évidemment très différente de celle qu'il aurait eue s'il avait délibérément choisi de tourner cette scène. Certains personnages se la jouent un peu face à la caméra et le rapport de force de ces hommes aux cinéastes est, par moments, tangible. Un choix clair du réalisateur, par contre, est de ne rien changer au montage, se bornant à un simple nettoyage et conservant autant que possible la scène telle qu'elle a été mise en boîte. Ce qui aurait pu être un document ethnographique devient dès lors tout autre chose: un témoignage.

 

Une manière de laisser ces hommes et ces femmes nous dire qui ils sont, comment ils sont, petit à petit, happés dans un univers qui n'est pas le leur (il y a les bottes en caoutchouc, les fausses Ray-Ban, les bonnets rasta, les soutiens-gorge des femmes, et il faut voir la tronche des deux missionnaires que l'on aperçoit quelques secondes). Comment surtout cet univers risque de les broyer très vite, physiquement, à moins qu'ils n'adoptent, pour leur défense et leur survie, les codes et les comportements mêmes de ceux qui les colonisent. Et l'on sent que ce qui se déroule, là-bas, est fondamentalement relié à ce qui se passe chez nous: le conflit culturel entre un modèle social bâti sur le matérialisme brutal comme valeur dominante et un autre basé sur le respect du vivant, et l'intégration harmonieuse de sa diversité à la dimension de la planète. Vu sous cet angle, l'impact émotionnel de ces images prend une toute autre dimension. Leur authenticité vient justement de détails qu'un ethnologue aurait sans doute supprimé parce qu'ils ne faisaient pas authentiques, et le cœur du film, le lever du drapeau, s'en trouve éclairé d'une autre signification: l'affirmation d'un profond attachement à une culture, et le symbole, déjà, de la perversion de cette culture.

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