Bientôt, à partir du 21 mars 2007 dans les salles, mais déjà un peu partout en avant-première, le dernier film de Marion Hänsel sera accessible au public. Séduits par son engagement politique qu'elle traduit par ce "cadeau" pour la défense de la vie sur terre, nous avons rencontré la réalisatrice-voyageuse, qui aime filmer tous les coins de la planète, du ciel comme de la terre.
Marion Hänsel : Si le vent soulève les sables
Cinergie : Si le vent soulève les sables est tiré du roman de Marc Durin-Valois, "Chamelle". Pourquoi, en lisant ce livre, as-tu voulu en faire un film ?
Marion Hänsel : Il y a des romans qui sont écrits d’une manière déjà presque découpée en séquences, avec des images qui s’imposent tout de suite aux lecteurs. Pour moi, qui suis lectrice et cinéaste, c’est encore plus évident de voir les images. Il y a, dans ce livre, des descriptions extrêmement précises : des décors, des sons, peu de dialogues, bref des choses qui moi m’intéressent et qui sont très proches du travail que je fais d’habitude. En plus, il y avait le message de la problématique de l’eau en Afrique et sur notre planète, puisque le roman ne spécifie pas dans quelle région d’Afrique se passe l’histoire.
Depuis longtemps, je suis très concernée, sensible et même souvent angoissée par les problèmes écologiques. Dans Sur Terre comme au ciel, que j'ai réalisé en 1991, c’est l’histoire de foetus qui refusent de naître et laissent ainsi s'éteindre l'espèce humaine, par réaction à l’état dans lequel on laisse la leur planète. C’est une question qui me préoccupe beaucoup, et je pense que dans un film comme Nuages, qui était vraiment une ode à la beauté de notre planète, la question sous-jacente était : « c’est magnifique, mais qu’est-ce qu’on peut faire pour préserver ces beautés incroyables ? ». Je continue donc le travail ici mais avec un langage et un récit plus direct, totalement clair en disant « il n’y a plus d’eau et les gens meurent ». C’est effectivement un film plus militant que ce que j’avais fait auparavant.
C. : Ce film est empreint d'une générosité profonde, comme un cadeau que tu donnes à l'Afrique.
M. H. : Quand on a la chance d’obtenir les droits d’un roman aussi fort que "Chamelle" de Marc Durin-Valois, que je conseille d’ailleurs à tout le monde, quand on a la chance de pouvoir filmer une histoire aussi puissante, aussi forte, aussi belle... Parce qu’il y a toute la problématique de l’eau mais il y aussi tout le rapport d’une famille, l’amour et la construction du respect d’un père par rapport à sa fille, qui s’installe petit à petit, une relation de vrai amour, d’amour profond; tout ça fait partie de l’histoire, on a donc un film militant, mais on a aussi une très belle histoire de gens qui vivent, qui survivent et qui s’aiment, et ça je crois que c’est important et c’est pour ça que j’ai tellement aimé faire ce film.
C. : Les conditions du tournage ont dû être difficiles.
M. H. : Le tournage a pris 51 jours étalés sur trois mois. Nous nous sommes offerts le luxe de nous donner le temps pour faire ce film, d'y mettre les moyens nécessaires; on a tourné en 35mm malgré le fait d'être dans des régions extrêmes, parfois difficiles d’accès avec les camions et le matériel. On a pris le temps de monter des travellings, de faire des mouvements de grue, de construire des tours parce que je voulais que le film ait un visuel vraiment cinéma et se décale d’un style reportage. L’histoire est très proche d’une réalité, on peut voir fréquemment, dans les nouvelles à la télévision, les problèmes terribles des gens du Darfour, du Soudan qui doivent traverser des déserts à la recherche d’eau. C’est une réalité qu’on voit à la télévision, mais moi, je voulais clairement que ce soit un film de fiction avec un visuel de grand cinéma. Tout ça prend du temps. Ce n’était pas simple de filmer dans des régions aussi désolées où on n’avait jamais fait de films, sauf deux mais qui avaient été tournés plus près de la ville de Djibouti. Nous, nous étions au bord des frontières de la Somalie, de l’Ethiopie. On tournait souvent loin de la ville.
Mais en fait, ça a été plus facile que je ne l’imaginais, parce qu’on était très bien organisé, on avait pris beaucoup de temps de préparation : le temps d’avertir la population, d’avoir les autorisations du gouvernement mais aussi des chefs locaux, et il y en a beaucoup ! On devait expliquer ce qu’on allait faire, pourquoi on allait le faire, offrir des cadeaux aux villages dans lesquels on allait tourner. Cette préparation a pris énormément de temps, mais une fois que c’est fait, le tournage a été relativement facile.
C. : Dans ce film, ce n’est pas seulement le manque d’eau que tu dénonces, c’est aussi la réalité de l’Afrique prise entre ses guerres fratricides, ses déchirements dans lesquels elle se trouve actuellement.
M. H. : Oui, c’est sûr que ça touche plusieurs problématiques : dès lors qu’il n’y a plus d’eau dans les puits et que les populations doivent bouger, forcément, elles s’approchent des territoires appartenant à d’autres ethnies, traversent des frontières et sont confrontées à des seigneurs de guerre, à ceux qui défendent leur eau, à des armées incontrôlées. Il y a des armées rebelles et on ne sait pas très bien qui les alimente, qui les arme... Bien qu'on sache que c'est principalement les Etats-Unis et l’Europe qui les fournissent ! C’est encore pire de savoir que l’on est nous, Européens, responsables de ces guerres fratricides. Mon film touche toutes ces problématiques, il parle aussi d’une réalité quotidienne en Afrique, de ces enfants soldats qui sont comme des hordes de chiens fous dirigés par qui, par quoi ? Qui sont enlevés à leur famille pour être enrôlés dans une espèce de chaos incontrôlable. Je parle aussi de tout ce désordre.
C. : Tu as délibérément montré ce désordre sous un angle très pudique, sans aucune concession au voyeurisme... Même les moments douloureux sont suggérés. Tu as voulu une image épurée qui donne cette force particulière au film.
M.H. : J’ai essayé du moins. Le courage de ces gens qui marchent et qui continuent à marcher envers et contre tout, avec cette retenue, cette noblesse qu'ils ont. On se dit « mais comment est-ce qu’ils peuvent encore mettre un pas devant l’autre ? Comment peut-on continuer à marcher lorsqu'on a perdu un enfant ? ». Je pense que nous, gens riches et nantis, on se serait déjà complètement écroulé, on arriverait même plus à relever la tête. Eux, ils ont cette force de continuer, et c’est magnifique. Quand on voit ça, on se dit qu’ils sont tellement plus forts que nous, intérieurement aussi, peut-être ont-ils une autre foi, mais je crois qu’on a beaucoup de choses à apprendre d’eux.
C. : Tu n'as pas pensé à faire un documentaire ?
M. H. : Je ne suis pas une cinéaste qui sait faire des documentaires. Je n’en ai jamais fait, parce que je crois que je ne suis pas capable de filmer la douleur et la réalité, je suis trop pudique et je couperais trop souvent. Je respecte énormément les metteurs en scène qui savent faire ça.
C. : Comment vois-tu ton avenir?
M. H. : Je ne sais pas du tout quel sera mon prochain projet. Ce film-ci n’est pas encore sorti, donc il y a encore toute la promotion à faire, les festivals, faire en sorte que le film existe et espérer qu’il atteigne un public. Je pense qu’on va aussi essayer de faire un gros travail avec les écoles. C’est un film qui s’adresse vraiment aux enfants, même jeunes. J’ai eu une projection, il y a deux jours, en France. C’était la première tentative avec des écoles primaires et c’était incroyable de voir des enfants de 9 - 10 ans réagir au film, de voir comment ils comprennent l’histoire, posent les bonnes questions et sont émus… J'espère qu’on va pouvoir faire un travail avec les écoles, donc je n’ai pas vraiment le temps de penser à mon prochain projet.
C. : Mais il sera tout aussi militant ?
M. H. : Je ne le jurerai pas. Je tente de faire un cinéma qui a un sens pour moi et qui, éventuellement, sert à améliorer ce qu’il faut améliorer dans le monde mais je n’ose pas dire aujourd’hui que je ne ferai que du cinéma engagé. Peut-être que je tomberai amoureuse d’un roman, d’une histoire sur le désir, sur l’amour... Je n’ai jamais fait de film autour de l’amour, l’amour familial, l’amour parental et tout ça...