Entre le 14 et le 18 novembre 2007, il se faisait repérer, à la Maison de la Culture de la Province de Namur, par son pin’s Groucho Marx accroché à son veston. Rencontre avec Jean Boreux, coordinateur de Média 10-10.
Entre le 14 et le 18 novembre 2007, il se faisait repérer, à la Maison de la Culture de la Province de Namur, par son pin’s Groucho Marx accroché à son veston. Rencontre avec Jean Boreux, coordinateur de Média 10-10.
Cinergie : Pourrais-tu me présenter Média 10-10 ?
Jean Boreux : Le Festival Média 10-10 a 35 ans et fête, cette année, sa 29ème édition. Au départ, ce n’était même pas un festival mais des rencontres. À l’époque, en 72, certains jeunes réalisateurs qui sortent des écoles se rendent compte que leurs films ne seront pas vus en dehors des projections de fin d’étude. Comme il n’y a pas d’endroit pour les voir, ils tentent de négocier avec des exploitants de salles commerciales. À Namur, il y avait plusieurs cinémas, mais visiblement, les films étaient considérés comme osés ou trop engagés politiquement;on ne pouvait pas tout montrer. Un groupe de personnes s’est alors réuni et a pensé à la Maison de la Culture de la Province de Namur.
C. : Pourquoi Namur ?
J.B. : Les réalisateurs étaient principalement namurois. Il y avait Richard Sbille, l’ancien directeur et son fils Jean-Louis qui avaient fait tous deux des études de cinéma, Emile Cantillon, Thierry Zéno, Gaston Roch, ... C’est parti d’une initiative, d’une envie d'un petit bouleversement culturel. Ils ont décidé d’organiser une journée complète, de 10h à 22h. Et pour l’identification, ils ont pensé à une terminologie branchée pour l’époque : ils ont appelé ça Media.
C. : L’appellation est donc liée aux horaires ?
J.B. : Tout à fait. On l’a gardée. Après la première rencontre, ils se sont dit qu’ils recommenceraient bien chaque année. Puis c’est devenu un festival avec des projections dans toute la Maison de la Culture. Il y a eu une période aussi où Média 10-10, après avoir été compétitif puis annuel, est devenu international. Mais comment faire de l’international avec des moyens même pas nationaux puisqu’ils sont communautaires ? On a trouvé une solution déjà existante : à côté de la compétition nationale, on s’ouvre à l’extérieur avec des cartes blanches, des fenêtres sur des pays, des régions, des technologies ou des festivals. Comme ça, les gens sont confrontés à des choses différentes. Par exemple, il y a quelques années, j’ai décidé de faire une carte blanche à la Flandre : ça me paraissait indispensable de montrer un aperçu de leur production. C’est assez aberrant : il n’y a pas d’accord culturel entre la Communauté française et la Communauté flamande. Il y en a entre la Communauté française et le Québec ou le Burkina-Faso, mais pas avec la Communauté flamande ! Donc on n’a plus de chances de voir des films québécois ou burkinabés en Communauté française que des films flamands. Pendant la projection, les gens disaient : « ils font ça, les Flamands ? C’est incroyable ! ». J’ai aussi demandé, à plusieurs reprises, à Philippe Moins et Doris Cleven du festival Anima de nous proposer un programme d’1h30 sur la plupart des techniques utilisées en animation (marionnettes, plasticine, grattage de pellicule, ombres, 3D, 2D, …). Les gens réagissaient : « ça aussi, c’est de l’animation ? ». C’est génial de voir des spectateurs étonnés, interpellés par quelque chose qu’ils n’ont pas l’habitude de voir. Cette année encore, on avait 8 courts métrages d’animation concoctés aussi en partie par Anima. Les salles étaient remplies de gosses abreuvés de Disney et de n’importe quoi. On les entendait rire et réagir, même devant des films plus violents comme Food, ce film très beau dans lequel une vieille dame nourrit les canards et prend son fusil à la fin pour les tuer. Pendant une seconde, il y a eu un blanc dans la salle et puis, un grand éclat de rire. Notre boulot, c’est aussi de susciter des réflexions en proposant des films un peu plus compliqués, un peu plus difficiles.
C. : Pourquoi l’initiation est-elle âpre en matière de courts métrages ?
J.B. : La plupart des gens ne comprennent pas ce qu’est le court métrage. Ils s'imaginent que le court est obligatoirement quelque chose de réservé à une élite. C’est comme si le genre était perçu comme un monstre et que les films étaient considérés comme inintéressants : « on ne le comprendra pas, ça ne sert à rien ». Parfois, quand on propose un programme de quelques courts, on nous dit : « Ah… Et c’est amusant ? ». Alors, on explique que ce n’est pas forcément le cas, et qu’il y a plusieurs genres. Les animateurs de centres culturels nous interrogent aussi : « croyez-vous que ça va fonctionner chez nous, le court ? ». Si on n’essaye pas, on ne le saura pas. Si on ne donne pas les codes aux gens, forcément, ils ne comprendront pas et n’aimeront pas le court métrage.
C. : Quels critères interviennent dans la programmation de la compétition ?
J.B. : Pour la programmation, on s’intéresse évidemment à la force du film. En compétition, on accepte des supports différents : l’argentique et le numérique. Au sein d’une même séance, il n’y a pas de mélange de supports, mais il y a un panachage des trois catégories (fiction, animation, documentaire). On essaye aussi de conserver une cohérence dans la durée : la séance ne doit pas excéder 1h40-1h45. Après, il y a une baisse d’attention de la part du spectateur et du jury. Et puis, il y a parfois un souhait de terminer la séance positivement. On remarque d’ailleurs qu’il y a très peu de films d’humour. Les films sont très noirs, très défaitistes; ils représentent sans doute l’époque actuelle où les gens sont en recherche.
C. : C’est une tendance que tu remarques maintenant ou depuis plusieurs années ?
J.B. : Ah non, depuis plusieurs années. On reçoit beaucoup de films qui parlent de sujets très préoccupants comme la mort, le suicide, la maladie, la vieillesse. Cela existe donc on insère aussi des films difficiles dans la programmation. Ce n’est pas la seule chose qu’on remarque : il y a aussi des gros problèmes d’écriture. Un film, c’est écrire une histoire. « Il était une fois » : tu racontes quelque chose. Il faut un début, une articulation et une chute. Si la chute n’est pas présente ou si elle ne correspond pas au corps et au début, on se demande : « qu’est-ce que ça veut dire ? ». De plus en plus, on est confronté à ça : les films ne racontent plus d’histoires ou alors ce sont des histoires qui n’ont pas de fin. C’est surtout flagrant dans le documentaire où on s’imagine qu’on peut raconter n’importe quoi n’importe comment. Et bien, non : on scénarise un documentaire, on l’écrit.
C. : Quelle est la proportion entre les genres cette année ?
J.B. : Sur 44 films, il y a 22 films de fiction, 12 animations et 10 documentaires.
C. : Comment se fait-il qu’Induction apparaît comme une fiction alors qu’on a tendance à le considérer comme un film expérimental ?
J.B. : Le problème, c’est qu’il n’y a que trois catégories : fiction, animation, documentaire. Dans le temps, on en avait une quatrième, l’expérimental. C’était un genre très prisé par les indécis. Ils se filmaient nus sous leur douche et ça devenait de l’expérimental ! On a dû trouver une solution : on en est revenu à la classification initiale. Un film est peut-être expérimental mais en vérité, il n’y a que trois catégories auxquelles il peut adhérer. En ce qui concerne Induction, on peut s’interroger : est-ce un documentaire ou une fiction ?
C. : Quand on veut défendre le court, genre perçu comme marginal, comment est-ce qu’on se définit en tant que festival ? Comment apporter une spécificité à quelque chose qui est déjà spécifique ?
J.B. : Nous ne sommes pas un festival international. Nous nous intéressons uniquement aux films réalisés, produits, coproduits au sein de la Communauté française de Belgique. Cela rend la compétition très spécifique, d’autant plus qu’on sélectionne des films d’école sortis en juin. Pour cette édition, on a reçu 148 films : cela représente quasiment toute la production d’une année. Parfois, on se rend compte qu’on n’a pas reçu le film d’untel. La boîte de distribution ou de production n’a pas souhaité l’inscrire parce qu’il n’y avait pas assez de copies ou parce qu’il y avait un festival plus important. Ça arrive…
C. : Vous ne travaillez pas avec le concept d’exclusivité de toute façon ?
J.B. : Ah non, sûrement pas.
C. : Est-ce que Média 10-10 ne souffre pas de son emplacement ?
J.B. : Probablement. Le festival a été créé à Namur. Il aurait pu être exporté ailleurs, mais il y est resté. Est-ce une bonne chose ? Je n’en sais rien. Il a été confiné dans une ville de province qui est devenue, par la suite, la capitale de la région wallonne. Or, la région n’a pas la culture dans ses attributions. Ce qui est surtout compliqué pour nous, c’est de toucher un public. Prenons l’exemple de Clermont-Ferrand : c’est une ville universitaire à peu près de la grandeur de Namur.
À Namur, il y a aussi des facultés avec un public potentiel. Quand j’arrive dans les lieux de projection à Clermont-Ferrand, il y a déjà des files d’attente incroyables. Les salles de projection de 1500 places sont combles, il n’y a pas une seule place de libre. Ce sont des clermontois qui viennent voir les films ! Au fil des ans, on leur a dit : « venez, le court ne mord pas ». Et quand tu regardes l’agenda culturel de la ville, tu découvres peu d’autres activités culturelles. Alors, pendant une semaine, cette ville vit avec le festival. Ici, à Namur, il y a trop de choses.
C. : Est-ce que la présence du court métrage au FIFF (Festival International du Film Francophone) vous déforce ?
J.B. : Pas du tout ! Plus on parle du court métrage, mieux c’est. Malheureusement, le FIFF (fin septembre - début octobre) demande l’exclusivité des courts. Les films sont inscrits au FIFF et Média 10-10 a lieu à un mois et demi d’intervalle. Donc il y a un risque potentiel : les namurois qui iront voir les courts métrages au FIFF ne reviendront pas les voir ici.
C. : Quels sont tes coups de cœur récents ou actuels ?
J.B. : En fiction, ce serait Le Signaleur, une belle histoire signée par Benoît Mariage et Bloody Olive, un film flamand absolument génial en noir et blanc de Vincent Bal. En animation, j’ai un faible pour L'Artichaut de Michel Clarence. Et comme coup de cœur actuel, un film flamand découvert à Clermont, Tanghi Argentini qui, pour moi, représente ce que j’aime dans le court métrage : une histoire fabuleuse dont la fin est totalement inattendue. C’est une histoire très courte (14') remplie d’espoir. Tu t’attends à un jeune réalisateur derrière ce film : Guido Thys a 50 ans et c’est seulement son second court.