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Michel d'Antoine Russbach et Emmanuel Marre

Publié le 05/06/2009 par Anne Feuillère / Catégorie: Critique

Michel ou les monstres du quotidien 

Tourné dans le Quartier des Balances, quartier de logements sociaux, à Salzinne, Michel s'inscrit dans le cadre d'un atelier de l'IAD dirigé par Benoît Mariage où  douze courts métrages réalisés en binômes ont vu le jour. Michel en est l'un des plus réussis. Prix d'interprétation masculine pour Pierre Nisse (absolument brillant) et Jean-Benoît Ugeux au dernier festival du court métrage de Bruxelles, Mention Spéciale du Jury Presse, ce Michel, là fait froid dans le dos.  

Banlieue grisâtre, jour déroulé sous l'épaisse couche de nuages. Lumières flétries, blafardes, ou nuits plus ou moins éteintes. Oui, c'est un peu sordide. Mais l'intelligence de ce film-là, c'est que le sordide n'y est pas tant dans ce qu'il capte de conditions (disons le vite : « sociales »), mais dans les liens qu'il fait surgir entre ceux qui sont tous logés à la même enseigne. Le sordide de Michel, c'est que dans l'échelle des exploités, il y a toujours quelqu'un pour exploiter quelqu'un d'autre, l'annihiler, lui faire manger son humanité. C'est la tentation de tous ceux qui ont un minuscule pouvoir de l'exercer sur ceux qui sont un tout petit peu plus courbés qu'eux-mêmes. Acte un.  

Là, donc, Michel (Pierre Nisse), jeune stagiaire, et Dagosto (Jean-Benoît Ugeux), le responsable technique de ces habitations, font leur habituel tour de garde. Et le ton est donné, humour plutôt grinçant, dès les premières images : Dagosto est tout simplement un sale con qui se fait mousser auprès de son petit stagiaire, lui donne des leçons (atroces) sur les femmes, fait des blagues racistes pas vraiment drôles. Mais le lugubre de ce sale type est compensé par une sorte de vivacité qui l'habite, le ridicule de ceux qui se la racontent, et s'adoucit (moyennement) à la lueur de la pauvreté (intellectuelle, psychologique et matérielle) qui se lit sur son physique et dans ses propos. Quant à Michel, son visage d'ange tout jeune, il sourit et rit des blagues, petit bonhomme asservi à sa condition de stagiaire. Et puis voilà que par accident, il casse la chaudière du bâtiment. Soumis, tremblant, il n'ose pas le dire à son « maître », qui, lui, a trouvé sa petite victime dans un gamin de l'immeuble. Sûr de lui, Dagosto va donc frapper à la porte, menacer tout le monde et finir par régler l'affaire en profitant de la mère de l'enfant. Scène atroce qu'on ne verra pas, mais qu'on devinera ailleurs, dans le hors champ, tandis que Michel jouera aux jeux vidéos avec le gamin.  
La grande réussite de ce court métrage, c'est de tout filmer du point de vue de Michel, de nous soumettre à son regard, de nous mettre en empathie avec lui dès le départ (car on le plaint d'être le stagiaire de ce sale con et, pour avoir fait des stages, on sait tous le rapport de forces que cela peut impliquer). Son intelligence politique est de filmer ce tissu extrêmement serré de responsabilités, de petites fautes ajoutées les unes aux autres, ces infimes silences qui nous enchaînent au fur et à mesure qu'ils s'élaborent, accumulant tout doucement l'horreur de nos infimes compromissions avec l'inadmissible qui nous transforment tout aussi doucement en monstres, en vrai salopards. Sa finesse est de le faire sur une petite échelle, dans des petits faits anodins, qui, s'accumulant eux aussi, ne le sont plus du tout. C'est quoi la lâcheté, la peur, le silence du collabo ? Et bien, il faut juste voir Michel pour en avoir une vague idée. Et grâce à Pierre Nisse, son jeu tout en silence et gravité, la caméra qui fixe sur son visage presque impassible tout ce qui se déroule en lui de doutes, raisonnements et autres déchirements, on en aura une vague idée. Idée écœurante qui nous donne envie de hurler dans la salle de cinéma, comme les enfants dans les spectacles de Guignol : « Mais parle, bon sang, parle ! ». Et non, il ne dira rien, et c'est l'insupportable de ce film.  

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