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Nicolas Monfort, Fagnes 1986

Publié le 10/12/2024 par Malko Douglas Tolley et Vinnie Ky-Maka / Catégorie: Entrevue

L’association 7e Aaaargh, dédiée à la promotion du cinéma de genre, alternatif et indépendant, est basée à Namur. En octobre 2024, elle a organisé la 4e édition de son festival au Quai 22, situé sur le campus de l’Université.

Le Belgian Day a été l’un des temps forts de l’événement. À cette occasion, deux longs métrages ont été projetés : Malpertuis (1971) et The Belgian Wave (2023). Le programme comprenait également deux séances de courts métrages belges.

Le Grand Prix national a été décerné à Clothilde Colson pour son film Minuit Frissons (2024), tandis que le prix Cinergie.be est revenu à Nicolas Monfort pour Fagnes 1986 (2024). L’équipe de Cinergie l’a rencontré quelques semaines plus tard à Bruxelles afin d’aborder son film ainsi que sa passion pour le cinéma.

Cinergie.be : Quel est votre dernier court-métrage et depuis quand êtes-vous actif dans le monde du cinéma ?

Nicolas Monfort : Je suis le réalisateur de Fagnes 1986. Je suis actif dans le monde du cinéma depuis un peu plus de vingt ans. Je réalise des courts-métrages, des clips et diverses débilités audiovisuelles.

 

C. : Avez-vous une formation en lien avec le cinéma ou êtes-vous autodidacte ? Revenons un peu sur votre parcours avant d’aborder votre film, si vous le voulez bien.

N.M. : En ce qui concerne ma formation, je suis diplômé de l’ULB en écriture de scénario, Elicit, mais je n’ai pas suivi de formation pratique à proprement parler. En ce qui concerne les aspects techniques, j’ai appris sur le tas et grâce aux gens qui m’entourent. Je m’entoure de nombreuses personnes plus compétentes que moi à ce niveau-là.

 

C. : De quand date votre premier projet de cinéma ?

N.M. : Après être sorti de l'université, j'ai commencé à travailler pour le Brussels Short Film Festival et à développer des projets personnels en parallèle. J'étais en écriture ou en coécriture avec un co-réalisateur. On s'apprêtait à réaliser un film. On ne savait pas trop dans quelle direction aller, et un copain qui étudiait l'image à l'IAD nous a appelés en nous demandant de lui inventer un petit scénario avec deux fois le même plan : une fois en vidéo, une fois en pellicule. On a écrit ce petit film et on l'a tourné en un seul week-end. C’était mon premier projet. Nous avons eu l'occasion de travailler directement avec du matériel pro et des techniciens de l'IAD. De plus, le fait qu'on touche à la pellicule a rendu cette première expérience très formatrice et enrichissante. Le film s'appelle Indigestion et il s'agit d'une histoire un peu malaisante et horrifique, complètement absurde.

 

C. : On retrouve également cet attrait pour le style horrifique dans Fagnes 1986, s’agit-il de votre style de prédilection ? Pouvez-vous nous pitcher votre film?

N.M. : Je n'ai pas de genre de prédilection, mais étant cinéphile, j'aime le cinéma fantastique, d'horreur et la comédie, ce qui fait que mes films ont souvent une dimension un peu rigolote, même si ce n'est pas totalement le cas dans Fagnes malgré quelques moments plus souriants.  Mon court métrage Fagnes 1986 se déroule dans les Fagnes en 1986 et raconte l'histoire de deux enfants laissés seuls dans un chalet pendant qu'une tempête de neige bloque leurs parents. Ils doivent passer la nuit en étant livrés à eux-mêmes et commencent à entendre des bruits suspects, sans savoir ce qui va se passer. Une rencontre avec une créature a lieu et ensuite je garde le suspense pour éviter le teasing.

 

C. : Quels sont les messages véhiculés par Fagnes 1986, notamment la dimension particulière de ce monstre qui n’est pas aussi méchant qu’il en a l’air ? Comment interpréter la réaction des parents par rapport à celle des enfants ?

N.M. : Le film commence comme un film d'horreur, mais c'est en réalité un faux film d'horreur. Au début, je respecte les codes du film de monstre, mais dès que le monstre apparaît, on se rend compte que ce n’est pas un monstre véritable, juste un personnage monstrueux en apparence. Ce monstre est en fait gentil, et le film montre comment les deux enfants réagissent différemment : la petite fille est d'abord craintive, puis curieuse et ouverte, tandis que le garçon réagit violemment. Le film parle de ce qu’on apprend aux garçons et aux filles, de la manière dont l’éducation façonne leur comportement, notamment en ce qui concerne la masculinité toxique, plus marquée dans les années 80, mais qui est malheureusement toujours présente dans l'éducation et la transmission parentale aujourd'hui.

 

C. : Comment s’est déroulé le tournage et le casting des enfants ? 

C'était la première fois que je travaillais avec des enfants, et c'était vraiment ma grande crainte pour ce projet. Pour mettre toutes les chances de mon côté, j'ai travaillé avec une directrice de casting, Catherine Israël, qui est très compétente et habituée à travailler avec des enfants. Elle donne aussi des cours d'acting aux jeunes. On a organisé un casting, et finalement, les deux enfants que j'ai choisis avaient une expérience professionnelle presque plus importante que la mienne. Je savais qu'avec eux, je ne prenais pas trop de risques, et ils ont été extraordinaires. Catherine était aussi présente sur le plateau pour m'aider, surtout pour me rassurer.

 

C. : Un tournage avec des enfants dans un chalet enneigé au milieu des Fagnes, vous vous êtes quand même mis quelques contraintes. Des anecdotes de tournage à ce propos ?

N. M. : On a tourné dans les Fagnes en 4 jours, en comptant quelques heures supplémentaires pour les plans de drones sur la neige. Organiser un tournage comme ça n'a pas été facile, car on ne pouvait pas improviser. On a dû bloquer des dates, mais on n'était pas sûrs qu'il y ait de la neige. Même si on avait choisi la période où la neige était la plus probable, ce n'était pas garanti. Dès qu'il y a eu le premier flocon sur les Fagnes, on a appelé les dronistes et on est allé faire les plans de drones, indépendamment du tournage principal qui se faisait en intérieur.

Pour la préparation du film, je découpe toujours le storyboard assez précisément à l'avance. Dans ce cas, on a eu un petit obstacle de dernière minute : bien que j'aie repéré les lieux et pris toutes les mesures pour être le plus précis possible, on a appris quelques jours avant le tournage qu'on ne pouvait pas filmer dans l'endroit prévu. Finalement, on a tourné dans un chalet à côté, avec des dimensions différentes, mais une configuration similaire, donc j'ai dû revoir mon storyboard à la dernière minute. Mais une fois sur le tournage, j'étais prêt, tout était préparé.

 

C. : Le Squid Lab est présent au générique. Ils font partie des tout meilleurs en Belgique en termes de prothèses, monstres et autres bizarreries. Comment avez-vous procédé pour concevoir cette créature ?

N. M. : Pour la créature, j'ai travaillé avec le Squid Lab, qui est vraiment très compétent. Ils m'ont créé quelque chose de magnifique, et on a beaucoup discuté en amont pour l'élaboration et la conception de cette créature. Je voulais que ce soit un mélange représentant la nature, à la fois animal, minéral et végétal. La créature représente un peu cette idée, et j'ai écrit toute une backstory pour expliquer comment elle est devenue ce qu'elle est. Bien que cela soit évoqué brièvement dans quelques dialogues du film, j'avais écrit toute une petite histoire : c'était un être humain à la base, rejeté par la société pour sa différence, qui a évolué en fusionnant avec la nature.

 

C. : Ne pensez-vous pas que la critique sociétale de votre film aborde un thème plus large, centré sur la tolérance envers ce qui est perçu comme différent, plutôt que spécifiquement sur la question de la masculinité toxique et du genre comme précisé auparavant ? 

N.M. : C'est vrai qu'il y a un thème supplémentaire dans le film, incarné par le monstre, qui traite de la différence et des apparences. En effet, à cause des codes et des représentations auxquels nous sommes habitués, on s'attend à ce que ce soit une créature méchante et dangereuse, alors qu'en réalité, ce n'est pas du tout le cas. La créature montre que l'apparence peut être trompeuse, et ce thème de la différence est central dans le film.

 

C. : La qualité sonore de votre film mérite également d'être soulignée, et c'est un ensemble de détails, y compris cet aspect, qui a conduit Cinergie.be à vous accorder un prix lors du 7e Aaaargh Retro Film Festival. Avec qui avez-vous collaboré pour les aspects sonores ?

N. M. : Pour le travail sur le sound design et la musique, je collabore depuis des années avec Philippe Malempré, avec qui je co-écris et co-réalise certains projets. Nous avons une relation de travail bien rodée et complémentaire, et je sais que je peux lui faire confiance, notamment pour la musique. Je savais qu'il allait me créer quelque chose de vraiment pertinent. D'ailleurs, avec lui, nous avons écrit et présenté une masterclass sur le son et la musique dans le cinéma d'horreur. Je n'ai généralement pas besoin de lui donner trop de directives, car nous sommes sur la même longueur d'onde, même si certaines discussions et débats sont inévitables. Mais dans l'ensemble, je lui fais entièrement confiance.

 

C. : Que représente ce prix Cinergie pour vous?

N.M. : Fagnes 1986 est mon deuxième film financé par la Fédération Wallonie-Bruxelles, avec un budget modeste grâce à diverses aides, dont le tax shelter et la province de Liège. Bien que les conditions aient été serrées, avec seulement 4 jours de tournage au lieu de 10 et un mois de post-production avant la deadline du 1er mars, tout s'est parfaitement enchaîné, et nous avons réussi à finaliser la copie la veille de la date limite. Malgré les contraintes, je suis ravi du travail accompli et d'avoir reçu ce prix à Namur, ce qui est une belle reconnaissance pour l'équipe et moi-même.

Je pense que gagner un prix en festival, c’est très important pour un film, surtout un film comme le mien, qui est un peu un faux film d’horreur. C’est un film fragile, trop un film de genre pour les festivals généralistes et un faux film d’horreur pour les festivals dédiés au genre. Avoir un prix, ça lui donne une légitimité, une reconnaissance qui pourrait faire que les deux types de festivals le regardent avec un intérêt plus marqué.

Pour la suite, le film a été inscrit dans plusieurs festivals, remportant récemment un prix pour le meilleur maquillage au Festival du Film fantastique de Rouen, ce qui me rend très fier, d'autant plus que de tels prix sont rares.

 

C. : Quelle est votre ambition pour la suite ?

Pour la suite, j'ai de nombreux projets en cours, notamment des scénarios en écriture et un long-métrage sur lequel je travaille après une résidence. Cela dépendra des aides à l'écriture et des producteurs intéressés, mais je reste occupé et j'espère que certains projets avanceront cette année.

 

C. : Que vous apporte le travail en résidence ? Pourquoi procéder de la sorte ?

Les résidences d'écriture varient beaucoup, certaines étant très encadrées avec des cours approfondis, comme celle que j'ai faite en Bourgogne, tandis que d'autres, comme celle que je viens de terminer, offrent plus de liberté, sans trop de contraintes. L'avantage de ces résidences moins encadrées, c’est qu'elles permettent de s'extraire de la vie quotidienne et de se concentrer pleinement sur le projet, sans distractions, ce qui est particulièrement utile pour ceux qui ont tendance à se disperser. Cela m'a permis de me focaliser sur un seul projet et de l'aborder avec une vraie concentration.

 

C. : Se concentrer sur un seul projet et éviter de s’éparpiller, c’est effectivement une excellente conclusion. Je vais garder ce conseil en mémoire et je n’hésiterai pas à le partager à tous les esprits créatifs.

 

https://www.7aaaargh.be/

La critique par Basile Pernet :

 https://www.cinergie.be/actualites/fagnes-1986-nicolas-monfort-2024

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