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Nicolas Provost, L'Envahisseur - The Invader

Publié le 09/11/2011 par Sarah Pialeprat et Arnaud Crespeigne / Catégorie: Entrevue

A beautiful dark dream


L’envahisseur, le premier long métrage de Nicolas Provost, n’a pas fini de faire parler de lui. Beau et brutal, mystérieux et sans concessions, le film se déploie comme un rêve fébrile dans lequel un homme, taraudé par ses désirs, cherchera en vain une place, un petit morceau d'amour et de liberté. Rendez-vous est pris avec le réalisateur dans un hôtel de la capitale pour quelques minutes d'interview. Après quelques hésitations entre une chemise grise stricte et un tee-shirt décontracté, suivi d'un mini striptease improvisé, tout est en place pour le filmer et l'écouter. Silences, réflexions, réticences, hésitations... le boulot d'un cinéaste n'est-il pas de faire des films plutôt que d'en parler « godverdomme » !

L’histoire


« L’envahisseur, je crois que c’est une histoire d’amour en forme de thriller. C’est l’histoire d’un outsider africain qui vient chercher sa place dans le monde. Ça parle d’un immigré, mais je ne voulais pas en faire un film politique, pas du tout ! Je me suis dit que j’allais écrire un scénario pour Issaka Sawadogo avec qui ça s’était très bien passé au moment où on a fait Exoticore (NDRL : court métrage précédent). Que fait-on avec un Africain dans un premier rôle quand on veut le mettre dans un climat actuel ? Il y a deux possibilités : le capitalisme ou l’immigration. Je n’allais pas le mettre dans le capitalisme. Je l'ai donc mis dans la situation d’un immigré tout en mettant cela en arrière-plan. J'ai surtout cherché à ce que le spectateur soit intrigué du début à la fin, à jouer avec ses attentes, à créer du suspense.

Le suspense vient de la conduite du personnage principal, un personnage qu'on apprend à connaître et que l'on aime dans la première partie du film, jusqu'au basculement où l'on n'est plus sûr de savoir si ses intentions sont bonnes ou mauvaises. Le titre est un peu provocateur, mais je voulais jouer sur les projections que les occidentaux font sur les immigrés ».

Héros antihéros


« Je voulais faire de ce personnage un héros, un vrai héros, un vrai homme, mettre l’homme en avant. Il s’agissait de le montrer comme une vraie personne, un antihéros comme vous et moi. L'antihéros est, pour moi, le personnage le plus proche de l’homme parce que c’est un personnage qui se contredit tout le temps. Un homme sain est quelqu’un qui se contredit, qui vit ses contradictions. L’antihéros se bat contre le monde et contre ses propres démons, et quand c’est trop tard, il essaie de sauver le monde avec un tout petit geste d’héroïsme. Moi, c'est ce que je trouve extrêmement touchant.
L’outsider, c’est quelque chose qui m’est très proche… peut-être parce que moi aussi j’ai vécu longtemps à l’étranger et que je me suis vraiment senti étranger. Je crois que tout le monde, à un moment de sa vie, a pu se sentir étranger et connaître cette profonde solitude ».

La ville, héroïne de l’histoire


« Je n’aime pas trop Bruxelles. Je ne me suis jamais vraiment senti à la maison dans cette ville. Elle est trop compliquée, et elle a le charisme d’une ville qui n’a pas de vision. Il y a des perles partout, mais on ne les utilise pas. Par contre, c’est une ville très « cinémagénique » et comme je voulais en faire une ville cosmopolite, universelle, il y a tout ce qu’il faut pour le faire. Elle peut ressembler à New-York, Amsterdam, Paris ou Londres. Dans mes films, les décors sont très importants. Le décor, c’est un personnage aussi important que le personnage qui est dedans. C’est le décor qui fait bouger, qui crée une atmosphère pour que les personnages puissent faire de la magie. On a cherché longtemps les décors qui convenaient pour l’Envahisseur et finalement, tout a été tourné à Bruxelles sauf quelques scènes à Gand (la scène de la piscine) et à Anvers (la scène du peep show). Je voulais montrer tout ce qu’il y a dans toutes les villes: d'un côté les riches et de l'autre les pauvres. La ville est ici un personnage claustrophobique qui travaille sur tous les personnages ».

L'origine du monde


« La scène d'ouverture est le prologue du film, elle est l'essence de toute l'histoire. Quand Amadou, le personnage principal, échoue en Europe, la première chose qu'il voit, c'est la femme, et c'est ça qu'il recherche, car il a besoin d'amour. La scène du tunnel, qui suit cette première scène, est une prolongation du vagin de la femme et l'annonce de son parcours psychologique.
La première image rappelle la peinture de Courbet, L'origine du monde. Je souhaitais par là montrer que son parcours et lui sont nés de la femme. Lorsqu'il a fait cette peinture, Courbet voulait aller contre le politiquement correct de son temps, contre la façon très académique de portraiturer les femmes qui équivaudrait un peu aujourd'hui à notre photoshop. Avec ce tableau, il a introduit le réalisme. Que Courbet s'insurge contre le politiquement correct, ça m'arrangeait tout à fait pour mon film, parce que j'ai la même perspective ».

Faire un film, ce film


« Je ne sais pas si j'ai fait ce film pour dénoncer quelque chose. Je n'ai pas fait ce film contre quelque chose. Je me suis surtout inspiré de ce style universel que l'on retrouve dans le cinéma américain, avec les bars, les restaurants, les rues, la façon dont on filme une voiture... Tout ça, ce sont presque des clichés de décors que j'ai voulu utiliser dans mon film pour jouer avec les codes du cinéma. Ce sont des choses très reconnaissables. Quand on fait un film, on le fait pour le monde, pour que dans le monde entier, on puisse s'identifier à ça. Je n'ai pas cherché à faire un film suivant un genre particulier. J'ai choisi de raconter une histoire très très simple et universelle, ce qui me permet d'avoir beaucoup d'espace autour de cette histoire pour la remplir de poésie. Il y a de l'espace et du temps, on a le temps de regarder les images et de les laisser entrer dans le subconscient.
Je trouve qu'un film, ça doit être un rêve, une expérience de rêve et que les meilleurs rêves, c'est lorsque la frontière entre le rêve et le cauchemar est très très fine. Si le film devait se placer dans un genre, je dirais que c'est le genre du cauchemar... ou « a beautiful dark dream ».

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