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Paragate de Jialai Wang - FESTIVAL EN VILLE!

Publié le 29/01/2024 par Nina Alexandraki / Catégorie: Critique

Sans pouvoir retourner en Chine pour rejoindre sa mère et sa grand-mère mourante à cause de la  pandémie, Jialai Wang filme leurs appels vidéo. Quand elle arrive à Shanghai, la grand-mère a déjà disparu et la réalisatrice cherche à restituer un lien avec le passé, sa famille et son pays.

Paragate de Jialai Wang - FESTIVAL EN VILLE!

Composé uniquement d'images d'appels vidéo, le début du film met au premier plan les visages des trois femmes qui, mues par le désir de rester connectées, débordent des cadres. Très frontalement et très sincèrement, la mère de la réalisatrice rapproche son visage de son téléphone et rentre dans la confession : l'amour qu'elle n'a pas reçu de sa mère et l'amour qu'elle n'a pas su donner à sa fille hantent son âme et c'est seulement sa pratique du bouddhisme qui arrive à soulager un peu ce vide. 

C'est un ailleurs que ces premières vingt minutes du film créent, un espace intérieur hypnotique où chaque mot pèse, où les silences et les bruits de la mer et du vent font émerger les marques du temps sur les visages, traces de la douleur et des liens de filiation cassés. Mais c'est aussi un espace métaphysique, car en quelques images, le film devient un trou qui floute le visage de la grand-mère, chuchote des prières et, au bruit d'une vague qui s'éteint, aspire celle-ci. 

C'est donc trop tard quand la réalisatrice arrive sur place. La grand-mère, avec qui un lien de tendresse semblait plus évident qu'avec la mère, n'est plus là. Caméra à la main, toujours en point de vue subjectif, Jialai Wang se met en mouvement dans sa ville natale et part à la recherche des traces de sa grand-mère. Elle se rend au dernier appartement de celle-ci, promène son chien, puis erre dans la ville en échangeant avec des inconnus. Si la vie et les gens remplissent les cadres, si chaque scène apporte de nouveaux éléments, rien de ce qui est filmé ne reste sans dialoguer directement avec la gravité et les affects du début. L'éboueur qui regrette de ne pas pouvoir rentrer auprès de ses proches à cause de son travail, les personnes âgées nostalgiques de l'époque de Mao, les moments de danse sur les places en été, tout un pays se révèle, en quête de sens et de continuité avec son passé. Aucune sociologie abstraite, aucun geste forcé, tout découle avec simplicité et évidence de ce qui semble habiter intimement la réalisatrice et qu'elle révèle en nous montrant le monde. Dedans et dehors coïncident, tout s'incarne. Filmer devient donc une réponse à l'absence, un deuil que le film pratique en se créant. 

L'absence est aussi celle de la communication avec la mère. Le lien est difficile et le passé traumatique, mais une fois sur place, il n'est pas question de demander des explications ou de régler des comptes. Tout a déjà été dit, maintenant il n'y aura que des gestes, que la vie, car Jialai va tout simplement accompagner sa mère dans son quotidien : promener Dong Dong et le gronder parce qu'il vieillit, pratiquer le rite de la libération des poissons, faire sa sieste dans le balcon, fermer longuement les yeux et prier, manger ensemble des grenades. Elle est là, silencieuse et fidèle, et sa caméra capture -et peut-être rend possible- cette présence auprès de la mère, une présence tendre qui ne demande rien et accepte ce qui est perdu pour toujours. Et c'est ainsi une définition de l'amour que Jialai Wang nous livre, un cri généreux et mélancolique.

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