Cinergie.be

Pleure pas Germaine d'Alain de Halleux

Publié le 01/02/2001 par Marceau Verhaeghe / Catégorie: Critique

Famille, je vous aime !

À Vilvorde, près du viaduc, vivent les Bédard. D'abord, il y a Gilles, qui rentre chez lui en mobylette en traversant le terrain vague. Il a l'air d'un gentil olibrius, un peu bohême, qui n'a pas trop de sous, ni un amour immodéré des responsabilités, mais qui fait ce qu'il peut.
À ses côtés, sa femme Germaine, chargée du poids de la maisonnée, et un peu noyée entre le ménage, les courses à faire, les enfants à surveiller... Parce que les enfants, c'est pas une sinécure, j'vous jure. Il y a Mumu en pleine crise d'adolescence et révoltée contre toute contrainte ; Albert, qui semble surtout vouloir qu'on lui fiche la paix ; et les deux petits jumeaux, qui ne pensent qu'à s'échapper de la surveillance maternelle pour aller faire les quatre cents coups le long du canal.

Pleure pas Germaine d'Alain de Halleux

 

A première vue, une famille un peu agitée peut-être mais tout ce qu'il y a de plus normale. Très vite cependant, on devine qu'il y a une faille : des comportements un peu excessifs, une incommunicabilité juste un peu trop grande... Cette faille, c'est la mort de Rolande, l'aînée des enfants Bédard, qu'on a retrouvée au bas du pont de l'autoroute.
On l'a poussée ". Cette certitude ronge Gilles comme un cancer et lui scie les pattes. Bref, ce qui s'annonçait comme une gentille famille est un foyer au bord de l'implosion.
Germaine pousse son petit monde à partir pour retrouver dans ses Pyrénées natales la chance d'oublier, de recommencer une vie nouvelle. Gilles ne veut pas en entendre parler jusqu'au jour où il apprend que le meurtrier présumé de sa fille s'est précisément enfui dans ces montagnes. Cap dès lors sur l'Espagne. Les enfants suivent bon gré mal gré, sans trop comprendre. Germaine est toute à la joie de retrouver les siens et son pays, mais Gilles n'a qu'une seule idée en tête : faire la peau du salaud qui a tué sa fille.
Coincés à six dans une camionnette pourrie, il ne se passe pas longtemps avant que toutes les petites rancoeurs n'éclatent en conflits. Mais en même temps se découvre la tendresse, et l'immense amour qui forge le lien. Et il faudra qu'il soit solide quand, arrivé au terme de son voyage, Gilles devra affronter la vérité, et trouver la force d'accepter sa propre part de responsabilité. Alors, seulement alors, un lendemain deviendra possible.
Décidément, ce millénaire démarre en force pour le cinéma de chez nous. Le Roi danse bat des records d'audience et s'en va parader à Berlin, Thomas est amoureux truste les récompenses dans les festivals les plus variés (Venise, Angers, Gérardmer,...) et voici un troisième long métrage qui est sans doute, à sa façon, le plus accompli. Pleure pas Germaine n'est peut-être pas un grand film, mais c'est un beau film, un de ceux qui vous remuent au fond des tripes et qu'on a envie de défendre avec tout son coeur. Peut-être parce qu'on sent que ce n'est pas le genre de film qui va spontanément faire courir le public. Pour choisir, le spectateur qui veut se faire une toile se raccroche, sur le papier, à des éléments auxquels il espère pouvoir se fier a priori.
Et ici? Pas de stars, pas d'effets spéciaux ni de tape-à-l'oeil grandiloquent, une histoire un peu mélo, où des familiers, gens simples, se découvrent au fil d'un road movie qui, de loin, a un parfum un peu mièvre d'europudding. Pas de quoi appâter Médor.

D'autant plus que dans le genre, en Belgique, on a déjà donné, et souvent plus pour le pire que pour le meilleur. Et c'est justement pour cela qu'il faut se jeter avec rage dans la mêlée et clamer même à qui ne veut pas l'entendre que Pleure pas Germaine réussit le pari que tant d'autres ont loupé : il nous parle, il nous émeut.
Et il n'y a pas de raison qu'on ait fait un succès à Western de Manuel Poirier, ou à Marius et Jeannette, et que Pleure pas Germaine passe inaperçu, bon sang !
Bon, d'accord, l'histoire n'est pas terrible. Sur un plan narratif, c'est pas follement original, cela cahote sur un rythme inégal et se balance au bout de grosses ficelles (on arrive en Espagne, et tout ce qui était foireux devient idyllique. En plus, notre Gilles à sa première rencontre retrouve la trace de celui qu'il était venu chercher. Vraiment, il y a un bon Dieu ! Et l'identité du véritable salaud ? Bon sang, mais c'est bien sûr !!!). Peccadilles. L'important, ce sont les personnages, et les rapports qui se tissent entre eux et qui évoluent. Le réalisateur, également scénariste et dialoguiste, en fait, avec raison, le véritable ressort du film. Il y met tous ses soins, sans compromissions, n'hésite pas à prendre des risques, comme celui de confier le rôle masculin principal à un acteur néerlandophone (merveilleux Dirk Roofthooft) qui joue en français un rôle très physique avec la maladresse de son handicap linguistique. Ou de faire interpréter Muriel par une comédienne qui a deux fois l'âge du rôle (la liégeoise Cathy Grosjean, fraîche comme une ado pur sucre). La force des personnages vient probablement du roman de Claude Jasmin dont le film est une adaptation réussie, mais avec les comédiens, le réalisateur leur donne vie de saisissante façon, les construisant l'un par rapport à l'autre, en interaction, et dans la vérité. Et pas un instant, on ne doute ni on n'a l'occasion de prendre du recul. Devant nous, pas de caractères de cinéma, avec leur côté affecté, hors la vie. Ce sont des êtres humains complexes, torturés parfois, avec leurs bassesses, leurs peurs, mais aussi leur générosité et un coeur " gros comme ça ". Et on est proche de Gilles, avec ses doutes, ses renoncements, ses colères mais aussi sa volonté de bien faire. On est proche de Muriel, petite écorchée vive qui s'affronte à un père qui ne l'a pas vue grandir, d'Albert, mais surtout de Germaine, qui prend tout sur elle avec un amour et une confiance en l'autre sans bornes. Et quand, à la fin, les ressorts dramatiques se détendent et que Gilles se trouve à affronter sa part de culpabilité dans la mort de sa fille, on est tout surpris, nous que notre profession contraint trop souvent à la moue blasée, de se retrouver la gorge nouée par une grosse boule d'indicible.
Cinématographiquement, c'est également le résultat d'une belle économie de moyens et d'une grande justesse de ton. Certes, le film peine un peu, au début, à trouver ses marques (le grand Jacques ne disait-il pas déjà que ce qu'il y a de plus difficile dans le voyage, c'est de quitter Vilvorde?), mais dès ce moment, il y a très peu de plans " gaspillés ". Pas d'image qui n'ait sa raison d'être et son sens. La distance que le cinéaste choisit par rapport à ses personnages est toujours adéquate et le timing rigoureux. L'évasion facile vers le paysage est réduite au minimum syndical. Le film se concentre sur son sujet mais alterne avec doigté moments dramatiques et passages plus légers. Le rythme est souligné par la musique du Catalan Carles Cases qui, elle aussi, est utilisée avec parcimonie et à bon escient.
Pas tapageur, mais solide, Pleure pas Germaine mérite de trouver son public. Croisons les doigts pour que le système impitoyable de roulement auquel l'exploitation commerciale nous a habitués lui en laisse le loisir. Mais comme dit Germaine elle-même: " Je ne me pose pas tant de questions, je te suis. On te suit, Gilles. On a confiance. "

Tout à propos de: