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Alain de Halleux

Publié le 15/01/2001 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Entrevue

Le ciel est clair, il fait glacial mais sans humidité. Un vent piquant se plaît à vous faire grimacer. L'oeil commence à pleurer vous brouillant la vue, reste l'ouïe. Mouais. Votre serviteur a remonté le col de son blouson de cuir, en bon rase bitume, pour arpenter les trottoirs, perdu dans la foule clairsemée de la Place Saint-Josse, halluciné par le bruit des klaxons, les cris du marché, de la musique qui s'échappe des bistrots. Justement, en poussant la porte de l'un d'entre eux, au coin de la chaussée de Louvain, (un café un peu démodé avec des lourdes banquettes marron foncé) votre serviteur repère dans un box Alain de Halleux avec qui il a rendez-vous et qui se lève d'un bond la casquette à la main.

Alain de Halleux

Né à Bruxelles, Alain à le souvenir d'une enfance où jouant avec de petits soldats il rêve de les voir se mettre en mouvement, "qu'ils puissent bouger tous seuls, si bien que lorsque j'ai vu Toy's story j'ai été ravi, mon fantasme se réalisait ! Et en même temps j'avais dans mes jouets un Kodak Brownie, une grosse boîte noire et je me souviens, à trois ans avoir été fasciné par cet objet-là. Donc je rêve en cinéma et photo. D'ailleurs j'ai longuement hésité entre les deux : devenir photographe de guerre où cinéaste. J'ai couvert celle du Liban ( pendant l'Opération "Paix en Galilée") et de l'Afghanistan. Lorsqu'on s'étonne que son champ photographique soit les conflits il explique, avec passion : "Ah, oui ! dans la guerre ce qui me fascine c'est que les gens vivent à du 4.000 à l'heure, dit-il en buvant une gorgée d'eau minérale. Les faux-semblants ne tiennent pas trois secondes. Quand je rentrais ici, les gens me paraissait tellement mous, pas eux-mêmes alors que dans les pays en guerre les gens font la fête non-stop et disent clairement ce qu'ils veulent parce que ils ne savent pas si le lendemain ils seront encore là. Paradoxalement j'étais fasciné par la vie dans les pays en guerre. Je n'ai d'ailleurs pas photographié les conflits eux-mêmes mais la vie des gens pendant la guerre. Et dans Pleure pas Germaine ce que j'ai traité c'est ça : le lieu de conflit qui actuellement me paraît le plus intéressant c'est la famille. On cherche à éviter les conflits parce qu'on croit que c'est négatif alors que c'est une partie de la communication. Simplement, il faut s'arranger pour que les conflits ne durent pas. Les gens qui cherchent à éviter les conflits s'évitent eux-mêmes "Après une pause pendant laquelle il sirote son Perrier au citron : "La famille est le plus merveilleux lieu de transformation de l'être humain et c'est pour ça que les conflits sont les plus violents". Après des études de chimie nucléaire à l'UCL, il entre à l'INSAS dans la section réalisation. En homme de la Renaissance Alain considère que l'art et la science s'articulaient autour d'une discipline commune : la connaissance.

Léonard de Vinci est autant physicien qu'ingénieur ou peintre. Il se penche, pose les avants-bras sur la table, l'enregistreur Sony VOR de Cinergie.be dans la main gauche. J'ai toujours regretté de ne pas être alchimiste. L'art c'est comprendre le monde. Je ne fais pas des choses en vue de faire un film, je fais des films pour comprendre les choses. J'essaie de comprendre les personnages que je découvre en écrivant, je continue à les découvrir au tournage avec les acteurs. Dans cette logique-là, le spectateur a sa place parce qu'il continue à me faire découvrir des choses. Donc, il fait partie intégrante du processus. Si je fais un film qui est un produit pour des consommateurs, je n'attends rien d'autre du spectateur que son pognon ! Van Gogh ne peignait pas ses toiles en se disant " je vais vendre un tableau " même s'il devait y songer mais son souci principal était de comprendre qui il était."

No pour dire oui, (co-réalisé, en 1985, avec Peter Wooditsch et produit par Thierry Knauff), son premier film est un petit bijou. Cette autobiographie filmée à un récit qui l'apparente aux meilleurs films de l'école tchèque des années 60 (Forman, Jires, Nemec) est plein de quiproquos mais, surtout plein de plans surprenants qui vous reste gravés dans la mémoire. Deux ans plus tard, il tourne un court métrage qui fait sensation, Un, deux, trois, j'ai vu et Ces drôles de belges avec leur drôles de films, un documentaire co-réalisé par Henri Sonet. Le projet d'un film dont le montage financier échoue le déprime. Il disparaît du circuit culturel pour se consacrer aux films industriels, pour survivre. "Je n'avais rien à dire donc je l'ai bouclée ", ponctue-t-il féroce envers lui-même. Il ressurgit en réalisant et produisant The Beginner, une vidéo de 30' qui présente la rencontre de deux stars dans leurs disciplines respectives : Ki No Kenkyukaï, maître de aïkido et Yehudi Menuhin (ce film étonnant qu'aucune antenne télévisée n `a jamais diffusé est disponible chez son auteur (L'Indien Production).  

Pourquoi L'Indien Productions ?  "Pas seulement pour des raisons fiscales, précise-t-il, ça s'appelle l'indien parce que je suis un indien, c'est quelqu'un qui vit en accord avec son environnement qui lit les signes dans la vie et essaie de trouver du sens aux choses. J'aime bien l'esprit du guerrier et du chasseur. L'argent n'a pas beaucoup d'intérêt pour moi. Il y a des gens qui accumulent de l'argent comme ils accumuleraient du gibier. Quand tu as trop de viande elle pourrit et elle pue. Moi, quand j'ai pas d'argent je pars chasser. Quand j'en ai j'arrête de chasser. The Beginner est la première vraie production de l'indien. C'est pour les indiens. C'est off, hors de tous les circuits. Je me suis foutu du format et je n'ai même pas essayé de le vendre à la télé. Ce qui n'empêche pas les K7 d'être vendues dans le monde entier ". Il enchaîne avec Fanny se fait un sang d'encre, un téléfilm produit par Alligator Films. Puis c'est La Trace, autre production de l'Indien, l'histoire d'un rite de passage.

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