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Rencontre avec Nabil Ben Yadir pour la sortie de Dode Hoek

Publié le 06/02/2017 par Dimitra Bouras / Catégorie: Entrevue

Après deux longs-métrages plébiscités, Les Barons en 2009 et La Marche en 2013, Nabil Ben Yadir présente son troisième long, Dode Hoek. Pour ce film qui s'apparente à un thriller, le réalisateur belge se lance dans une nouvelle aventure plus flamande : il tourne à Anvers avec des acteurs néerlandophones pour raconter l'histoire de Jan Verbeek, un commissaire de police anversois qui décide de devenir leader d'un parti populiste, jusqu'à ce que son passé ne ressurgisse... Une manière pour le réalisateur de faire la part belle aux discours radicaux qui ponctuent notre scène politique actuelle.

 

Cinergie : Ce qui m'a fait énormément plaisir en regardant Dode Hoek, c'est que j'ai retrouvé cette magie qu'il y avait dans un plan des Barons quand les jeunes sont en train de voler dans la rue Neuve avec ce ralenti qui donne la magie de l'image et que tu as reproduit dans ton film. J'imagine que tu as eu ce même plaisir en tant que réalisateur.
Nabil Ben Yadir :
Avec Dode Hoek, on assume plus le film de genre sans réellement suivre de codes, car je ne les connais pas. L'important, c'était de s'amuser avec la caméra, même si c'est un film noir. Ce que j'ai vraiment apprécié, c'est la direction d'acteurs, c'est de me poser beaucoup de questions avant de faire ce film comme je l'avais fait avec Les Barons, moins avec La Marche. Le fait d'être en Belgique, mon pays, me permet de jouer plus avec la caméra.

C. : Est-ce que tu n'as pas ressenti une certaine pression sur tes épaules après le succès des Barons ?
N.B.Y. : À l'époque des Barons, j'étais un trublion, quelqu'un qui va faire son film, raconter son histoire, engager ses amis pour faire un film. J'ai tenté le tout pour le tout car je n'avais rien à perdre. Dans Les Barons, même si c'était une comédie, le sujet était très dur. Je reprends un peu ce plaisir-là : traiter un sujet dur avec les codes d'un film de genre. J'ai changé la manière d'éclairer, j'ai utilisé de nouvelles techniques. Je ne voulais pas faire le même film que le précédent. Il faut garder le plaisir en essayant de faire des choses différentes. Ici, il y avait des challenges. La difficulté, c'était de faire un film en néerlandais, qui n'est pas ma langue maternelle, et d'aborder ce sujet aujourd'hui. Le film n'était pas facile à monter parce que c'est un film francophone mais dans une autre langue, avec un genre rarement présent dans le cinéma francophone. C'est ça qui est excitant.

C .: Comment s'est passée l'aventure de la construction de ce film ?
N.B.Y. : L'aventure a toujours été très compliquée car, d'une part, le film était en flamand chez les francophones et, d'autre part, le thème difficile était peut-être plus approprié pour le cinéma de Flandre que pour le cinéma francophone. Je suis content de l'avoir fait, mais c'est vrai que c'était compliqué au début.

Nabil Ben YadirC. : Pourquoi avoir choisi le sujet de l'idéologie d'extrême droite?
N.B.Y. :
Ce sont des discours politiques qui existent. Ce n'est pas un cliché. Les discours haineux, populistes, on les entend partout. C'est la réalité et on la dépasse. Évidemment, faire parler une personne qui a un discours extrême, ce n'est pas évident. C'est là que réside le challenge.
Comment une personne qui est adulée par une partie de la population peut être détestée par d'autres, comment peut-elle être un monstre ? Personne n'est parfait. Qu'est-ce qu’il y a derrière le message politique, derrière le discours qui donne des leçons aux autres ? C'est ce qu’il y a derrière la personne qui parle, derrière le discours qui est intéressant. Il y a quelque chose d'intéressant dans le discours d'un homme politique et son histoire personnelle. Quand vous voyez un monstre et vous voyez qu'il est considéré comme un héros, cela se retourne contre lui. Il y a de toute façon le passé qui revient, tout se paie. On ne peut pas jouer en permanence. Que fait-on quand la vérité éclate ? Quels choix doit-on faire ? Les choix des idées ou les choix du sang, du cœur ? Là où les gens prennent des années à prendre des décisions, le héros doit la prendre en quelques heures. C'est ça qui est intéressant pour moi et toute cette tension politique qu'il y a autour. Les discours qu'il a par rapport à ses collègues, aux femmes, aux étrangers sont très durs. Ce sont ces discours-là qui marchent : plus on est vulgaire et horrible, plus ça marche, moins il y a de forme, plus ça marche. On préfère voter pour des personnes dont on comprend le message et qui disent ce qu'elles pensent.

C .: Tu en as fait un héros, tu as de l'empathie pour le personnage de Jan Verbeek ?
N.B.Y.:
Non, c'est le public qui a de l'empathie au fur et à mesure. On peut s'attacher à une certaine humanité, à un certain message qu'il transmet pendant le film et on aimerait bien qu'il s'en sorte. Qu'est-ce qui fait qu'on peut s'attacher à un personnage comme ça ? On ne peut pas être un humain parfait ni un monstre parfait, ce n'est pas possible. La caricature du grand gentil ou du grand méchant n'existe pas. Ce sont des personnages humains avec leurs défauts, leurs qualités. Il fait des choix tout à fait humains. On ne peut pas uniquement s'attacher ou rejeter une personne juste parce qu'elle a un discours. On peut essayer de faire la part des choses : même s'il a dit ça, il est humain.

C .: C'est surtout sa relation avec son jeune collègue, son fils spirituel, Dries, qui est humaine ?
N.B.Y .:
Dries est un personnage intéressant, ce n'est pas le personnage principal du film mais il pose beaucoup de questions sur ses choix. Dries se demande si c'est le bon choix. On est sur un personnage qui va dans la surintégration à l'extrême, il change son nom, il adopte des idées qui sont contre tout ce qu'il est. Il ne peut pas rester debout en niant toute son identité, en coupant ses racines. C'est quelqu'un qui va au bout de l'idée politique, c'est ce que la société nous propose, le juste milieu n'existe pas. On doit être soit là, soit là. C'est ce que fait Dries, il va au bout. Il est aussi extrême que Jan Verbeek. On vit dans une société où il n'y a plus d'équilibre, tu dois faire des choix, tu vas soit là, soit là.

Nabil Ben YadirC.: Une scène intrigante dans le film c'est le heurt entre le parti populiste de Jan Verbeek et la presse. Ces journalistes qui ne veulent plus donner la parole à ces idées et qui se trouvent dans une position très embarrassante ; informer ou non ?
N.B.Y. :
Le populisme, c'est un événement. L'idée, c'est comment faire un événement même d'un non-événement ? Décider de ne pas filmer cette conférence de presse, comment en faire un événement ? Après, les gens subissent ces personnalités car ils ont appris la communication d'une manière extraordinaire. Ce n'est pas une critique sur la presse, on est tous au service indirectement de ce discours-là en relayant ces infos qui ne sont peut-être pas vraiment des informations. Elle est où la vraie information ? On est au courant de tout ce qu'il a dit mais pas du reste car il ne s'agissait pas de choses extraordinaires, vulgaires ni racistes. Si je fais une émission radio et que j'insulte la présentatrice, je sais que je vais passer partout. C'est très simple. C'est la vulgarité, la provocation qui nous permet d'être partout et avoir notre petit moment de gloire !

C. :Quel a été le moteur de ce film, un film de genre ou un film anti populiste ?
N.B.Y. :
Je ne voulais pas faire un film qui dénonce. Je voulais faire un film de genre avec un personnage qui est à l'opposé du gentil héros. Je voulais suivre un personnage ancré dans une réalité belge, avec une barrière linguistique qui fait qu' un personnage peut être une super star au Nord du pays et on peut ne pas le connaître dans le Sud du pays. Je voulais tourner avec des acteurs spécifiques. Le film militant est là, mais ce n'était pas le point de départ.

C. : Pourquoi la communauté flamande? Pour travailler avec ses acteurs ? Parce que le thème s'ancre mieux à Anvers ?
Nabil Ben YadirN.B.Y. :
Parce que mon personnage était un commissaire de la brigade des stups d'Anvers qui arrive à Charleroi. J'avais envie de tourner dans cette partie-là du pays, dans cette langue, avec ces acteurs. Je voulais tourner à Anvers et changer totalement de décor en allant à Charleroi. On ne peut pas mettre de côté l'aspect politique du pays ou de l'Europe. La politique est venue au fur et à mesure. Démissionner d'un poste aussi important et s'inscrire en politique, c'est déjà du populisme. C'est un geste politique fort. Avec ce type de personnage adoré et détesté, c'est un événement politique.

C. : T’es-tu inspiré d'écrits ? D'histoires réelles?
N.B.Y. :
Non, je ne me suis inspiré de rien. Pour les discours politiques extrêmes de droite, ce sont des formules classiques où les solutions sont là dès la première phrase mais quand tu creuses, il n'y a rien. Si un journaliste de gauche te pose une question et que tu as ces formules toutes faites en tête, tu peux le démonter en une seule phrase. Les discours politiques sont des vagues, des cycles et on est en plein dedans. J'ai été inspiré par la vie de tous les jours mais pas par un homme politique en particulier. Le danger aujourd'hui, c'est que le populisme politique existe partout. C'est tellement facile de tomber dans le piège, c'est à la portée de tout le monde. C'est plus difficile d'avoir une réflexion un peu plus poussée.

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