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Sur le tournage du dernier film de Nabil Ben Yadir, Dode Hoek

Publié le 10/05/2016 par Dimitra Bouras / Catégorie: Entrevue

Après avoir raconté le quotidien de quatre zonards sympathiques de Molenbeek dans Les Barons en 2009, le réalisateur belge Nabil Ben Yadir se lance dans la réalisation de La Marche, son deuxième long-métrage, plus grosse production dans laquelle il évoque la marche pour l'égalité et contre le racisme organisée en France en 1983. Des films, certes différents, mais tous les deux bien ancrés dans une réalité sociale et politique. Le réalisateur ne déroge pas à la règle dans son troisième long-métrage, Dode Hoek dans lequel il retrace l'engagement de Jan Verbeeck, au sein d'un parti extrémiste, le VPV.

Tourné entre Anvers, Charleroi et Bruxelles, Dode Hoek est avant tout un film belge, écrit en flamand, grande première pour le réalisateur qui s'entoure de Peter Van Den Begin, de David Murgia, de Soufiane Chilah et de Jan Decleir. Un film d'un genre nouveau pour Nabil Ben Yadir qui s'attaque au thriller avec des personnages sombres. Ancien commissaire de la brigade des stupéfiants à Anvers, Jan Verbeeck se lance dans la politique jusqu'au jour où son passé ressurgit sans crier gare...

Rencontre avec Nabil Ben Yadir.

Nabil Ben Yadir: Jan Verbeeck, commissaire de la brigade des stups, décide de démissionner au moment où il est au top de sa carrière. Il prend cette décision car il considère que le système judiciaire en Belgique fonctionne mal. Il choisit de s'inscrire en politique. Il va s'inscrire dans un parti très (très) à droite. Au moment où il veut se présenter aux élections, tout son passé réapparaît ainsi que la relation qu'il a avec Dries, son jeune collègue qu'il a formé à son image.

Cinergie : Comment décrirais-tu le personnage de Jan ?
N.B.Y. :
Ce n'est pas quelqu'un de positif, c'est un personnage à la fois très dur et très sincère. On va suivre un personnage qui est très noir dans Dode Hoek. C'est un personnage que j'ai appris à aimer. Le challenge, c'était de commencer le film avec un personnage qui est assez horrible et qu'on va devoir suivre. Même les personnes les plus dures, noires ont un côté humain. Chacun va pouvoir s'accrocher à Jan Verbeeck en se disant qu'il est dur mais qu'on peut partager des choses avec lui. Il a une blessure, puisque c'est son passé qui réapparaît, son rapport avec Charleroi, avec la Wallonie.

C. : Quelle est l'histoire que tu veux raconter ?
N.B.Y.:
Ce qui m'importe, ce sont les rapports humains, entre Jan et son passé, entre lui et Dries. Le challenge, c'était de suivre un personnage jusqu'au bout et de tenir le spectateur en haleine en s'accrochant à des moments d'humanité, en se disant : "Cela aurait pu m'arriver, je veux qu'il s'en sorte". Les gens qui sont en face de Jan sont les gentils mais, vu qu'ils sont en face de notre personnage principal, ils deviennent des méchants. C'est un schéma inversé, on est avec un héros qui n'est pas positif. Ce qui est intéressant, c'est de se demander pourquoi on s'attache à un mec comme ça, pourquoi on veut qu'il s'en sorte…

C. : Pour ce troisième film, tu as pris une autre route, comme si la question communautaire pouvait être mise de côté.
N.B.Y. :
Il y a toujours du personnel dans mes films. Ici, à travers l'image de Dries, même si le genre me permet d'aller au-delà. J'ai toujours été intéressé par la question d'identité. Je ne fais pas du cinéma pour prouver quoi que ce soit, mais j'essaie de prendre du plaisir et d'avoir des challenges. Ici, c'était de tourner en néerlandais avec des gens que j'admire.

C.: Pourquoi en néerlandais ?
N.B.Y. :
Mon personnage est le commissaire de la brigade des stups à Anvers, donc il est flamand. Je pense que, depuis quelques années, le cinéma flamand assume totalement le film de genre. J'avais envie de faire un film de genre avec un personnage dur, limite extrême droite, à Anvers. Je ne me suis pas dit d'emblée qu'il fallait que je fasse un film en flamand, ni parce que la Flandre est présente financièrement dans le film ! J'avais vraiment envie de faire un film avec des acteurs flamands, peu importe d'où venait l'argent, et je voulais retravailler avec Jan Decleir, que j'avais rencontré sur le tournage des Barons. Ici, il tient le rôle du président du parti.

C. : Tu aimes bien le néerlandais ?
N.B.Y. : Oui, même si j'ai eu de mauvais professeurs. Je l'ai redécouvert plus tard à travers le cinéma. J'aime bien la mélodie et les acteurs flamands qui ont un côté anglo-saxon dans leur manière de travailler. Ils tournent beaucoup dans des séries, des téléfilms, des films, etc. Ce qui leur donne une autre manière de jouer, plus instinctive, plus physique aussi.

C. : Certains réalisateurs néerlandophones font tourner des acteurs francophones comme Pieter Van Hees avec Jérémie Renier dans Waste Land, et toi, tu travailles avec des acteurs flamands. Est-ce que c'est dans la confrontation des deux cultures que réside l'intérêt ?
N.B.Y. :
C'est dans la juxtaposition. Jan Verbeeck est à Anvers, il parle néerlandais. Waste Land se passe à Bruxelles, c'est la réalité de la police bruxelloise : néerlandais et français. Ce qui est bizarre, c'est que si j'avais fait un film en arabe, les gens se seraient posé moins de questions. J'espère que ce film ne sera pas une exception dans le climat de conflit linguistique propre à la Belgique. Cela ne prend pas plus de temps de tourner en néerlandais, on utilise surtout le langage cinématographique.

C. : Anvers est un personnage important dans l'histoire.
N.B.Y. :
Anvers et Charleroi. On tourne dans des endroits qui sentent le vrai. Anvers et Charleroi se situent sur la même route, il y a une connexion entre les deux. C'est un triangle : Anvers, Bruxelles, Charleroi. ABC.

C. : Comment as-tu choisi Peter Van Den Begin ?
N.B.Y. :
Il a une vraie gueule de cinéma et il peut passer d'un personnage à l'autre, aussi différents soient-ils. C'est un acteur bosseur. Il a une vraie fragilité, sensibilité qui n'était pas présente dans l'écriture. C'est quelque chose qu'il a amené avec son physique, son regard, ses gestes. Il a une vraie blessure. C'est ça qui va donner de l'humanité à Verbeeck.

C. : Et Soufiane, comment l'as-tu choisi ?
N.B.Y. :
Je l'ai rencontré sur une scène de théâtre Le Bronks, théâtre pour jeunes enfants, alors que j'avais déjà écrit une version de Dode Hoek. Je me suis promis de le faire travailler. Finalement, sept ans plus tard, je l'ai choisi. Il a pris 16 kilos en un mois et demi pour le film, je voulais qu'il soit plus « homme ».

C. : Que signifie Dode Hoek?
N.B.Y. :
Ce qui est à côté de vous mais qu'on ne voit pas sauf si on fait un grand mouvement pour aller volontairement le voir. C'est le passé de Jan.

Rencontre avec Soufiane Chilah

C. : Ce film, ce n'est pas ta première expérience au cinéma.
Soufiane Chilah:
Non, mais je n'ai pas le sentiment d'être lancé, c'est mon deuxième grand rôle et mon troisième film. J'ai étudié au Rits à Bruxelles.

C. : Quel était ton premier film ?
S.C.:
Black, c'était mon tout premier film et le suivant, c'était Home de Fien Troch qui doit sortir cette année et dans lequel j'avais un petit rôle.

C.: Entre Black et Dode Hoek, tu passes du personnage de la petite frappe à celui de flic ?
S.C. :
C'est génial. C'est un bon changement. Le rôle que je joue maintenant est beau, complexe, plus vulnérable que celui dans Black. C'est un personnage écrit. Dries m'a touché, c'est quelqu'un qui a le cul entre deux chaises : il est d'origine marocaine, mais il est né en Belgique et il est flic, mais dans le quartier où on n'aime pas les flics. Il est rejeté à la fois dans le quartier et dans la brigade parce que c'est le seul étranger. Il veut prouver que c'est un bon flic, il est très loyal.

C.: Est-ce que Nabil t'a conseillé un film à voir ?
S.C.:
Training day avec Denzel Washington. Il m'a dit que ce film-là se situait quelques années avant et que j'étais un peu plus tard dans ma carrière. J'ai aussi rencontré le commissaire de la brigade anti-stup d'Anvers pour qu'il me montre son travail : comment ils tracent les gens avec les téléphones, etc. La préparation ne s'est pas faite mentalement, plutôt intuitivement. Je prends des notes, j'ai des idées. Mais mon plus gros travail était physique. J'ai pris du poids et c'est là que j'ai mis beaucoup d'énergie, j'ai fait du sport. J'ai aussi pris des cours de moto.


Rencontre avec Peter Van Den Begin

C. : Comment avez-vous composé votre personnage d'ex-commissaire ?
Peter Van Den Begin :
À Anvers, j'ai rencontré un commissaire. J'ai beaucoup parlé avec Nabil sur le sujet, on discute tout le temps pour ajuster les petits détails. Il sait ce qu'il veut mais il donne de la liberté aux acteurs.

C. : Comment imaginait-il votre personnage ?
P.V.D.B. :
C'est un personnage très dur, très honnête, il a des pensées droites, il a sa propre méthode dans son travail. Il est direct. Il essaie d'entrer dans la politique pour faire changer les choses. Il a des idées de droite. Il a de l'ambition.

C. : Il y a des contradictions dans le personnage de Jan. Comment avez-vous conjugué ces contradictions ?
P.V.D.B. :
C'est un personnage qui est très éloigné de moi, mais ce sont dans les détails que j'ai travaillé avec Nabil : dans le physique, dans la manière de penser.

C. : Qu'est-ce qui vous a plu dans ce personnage ?
P.V.D.B. :
C'est le producteur qui m'a appelé et m'a présenté Nabil. C'est la passion de Nabil qui m'a touchée et qui m'a convaincu.

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