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Rencontre avec Xavier Seron à propos de son premier long-métrage Je me tue à le dire

Publié le 03/05/2016 par / Catégorie: Entrevue

Rencontre avec Xavier Seron à propos de son premier long-métrage Je me tue à le dire. À travers son film à l'humour cinglant, il évoque pourtant, avec justesse, des sujets difficiles comme la maladie. Dans cet échange, il nous avoue que la mort lui fait peur et le fascine à la fois. Il nous parle aussi de son amour pour le noir et blanc grainé, des artistes qui l'influencent et des difficultés qu'il a pu rencontrer pendant le tournage.

Cinergie : Comment avez-vous eu l'idée de réaliser ce film ?
Xavier Seron : C'est vraiment une très vieille idée dont l'embryon date de 2005. J'étais sur le tournage de mon film de fin d'études à l'IAD, et j'en parlais déjà à Jean-Jacques Rausin qui campe le personnage principal. J'avais fait un film en troisième année qui s'appelait déjà comme ça et qui était aussi une réflexion autour de la mort sur le ton de l'humour. Finalement, j'ai juste gardé le titre. Le film n'a plus grand chose à voir mais par contre, il concerne cette réflexion autour de la mort et puis cet angle d'attaque qu'est l'humour noir.

C : Cette thématique sur la mort revient dans plusieurs de vos films, pourquoi ? Est-ce que c'est quelque chose qui vous intéresse particulièrement, qui vous obsède ?
X.S : Oui ça revient souvent. Malheureusement, ou heureusement, ça nous concerne tous. Pour être sincère, c'est quelque chose qui me fait flipper et donc c'est peut-être une manière d'apprivoiser cette peur. Comme souvent, ce qui nous fait peur est aussi fascinant, et je tourne autour de ce sujet là un peu naturellement. Après, ça peut être plusieurs thématiques, pas seulement la mort et la maladie, mais aussi la transformation de manière un peu large.

C : Vous avez rencontré Jean-Jacques Rausin à l'IAD, avez-vous toujours tourné avec lui depuis ?
X.S : Quasiment toujours, à part dans Le plombier, un court-métrage réalisé avec Méryl Fortunat-Rossi (avec qui j'ai aussi fait L'Ours noir et Mauvaise lune.) Ça ne collait pas en terme d'agenda car Jean-Jacques était sur la série Ennemi Public.

Xavier Seron, réalisateurC : Il y a un côté très graphique dans votre film, avez-vous des influences artistiques de photographes ou de cinéastes ?
X.S : Oui, mes références sont plus dans la photographie. Quand on discutait avec Olivier Boonjing qui a fait la photo du film, j'étais venu avec des références de photographes qui travaillent un noir et blanc très contrasté et granuleux : Daido Moryiama, Anders Petersen, et même Jacob Aue Sobol qui est un peu plus jeune. Quant aux cinéastes, il y en a que j'affectionne particulièrement mais ce n'est peut-être pas au niveau de l'image que ça se ressent. J'adore par exemple les films de Bertrand Blier mais c'est plus une affinité avec cet amour du cinéma un peu absurde, de l'humour noir.

C : Le film est divisé en chapitres aux jeux de mots cyniques, d'où tirez-vous cela ?
X.S : J'aime bien les dérivations, par exemple à la manière de Georges Perec. Là, ce serait plus une influence littéraire mais je crois que c'est un brassage de pleins de choses, je ne suis pas venu avec une référence précise en faisant ce film. Je pense qu'on est comme du papier buvard, on prend plein de choses dans des domaines différents qui ressortent d'une manière ou d'une autre plus tard. Mais je crois que c'est inconscient la plupart du temps.

C : Il y a un contraste qui se développe dans votre film à la fois avec des images poisseuses et esthétiques, une musique baroque et populaire... Est-ce que c'était voulu dès le départ ?
X.S : Oui j'aime bien mettre des éléments qui peuvent sembler assez opposés et les faire cohabiter. À l'écriture, ce qui était évident, c'est qu'il y aurait de la musique baroque : Haydn, Bach, Purcell. Quant à la musique populaire, par rapport aux personnages et surtout celui de la mère, c'était évident qu'il fallait aller puiser dans ce répertoire de chansons qu'on connait un peu tous, qu'elle puisse danser sur « Les Mots bleus » ou que le personnage de Michel puisse chanter une chanson de Léopold Nord. Les références iconographiques dans la peinture sont aussi baroques. La toile qu'on voit dans le musée c'est « le portrait de Magdalena Ventura » de José de Ribera, et l'image de fin est inspirée de « La lactation miraculeuse de St Bernard. »

C. : Pourquoi avoir choisi le noir et blanc ?
X.S : D'abord par affinité, c'est quelque chose qui me vient très naturellement. J'ai réalisé la plupart de mes courts-métrages en noir et blanc car ça permet de traiter les choses différemment. Le rapport avec la réalité qui nous entoure n'est pas du tout le même puisqu'on perçoit le monde en couleurs et le noir et blanc permet de recomposer cette réalité donc ça crée un décalage qui peut être propice justement à faire cohabiter des éléments qui peuvent sembler très éloignés. Par exemple, la mise en présence du profane et du sacré, du trivial et du poétique. Il permet aussi de travailler les éléments visuels de manière beaucoup plus graphique et de donner à ressentir car tout prend du relief avec un noir et blanc contrasté. Ça donne quelque chose de très charnel, d'organique, de texturé. Il y a ce double mouvement avec le noir et blanc qui incarne et désincarne en même temps. Ça peut dissoudre et rendre cette réalité, la rendre abstraite et la recomposer. J'ai un exemple assez simple : il suffit de regarder un paysage normal, puis enneigé. La transformation qui s'est opérée pourrait être comparable à celle qui a lieu entre la couleur et le noir et blanc.

Xavier Seron, réalisateurC. : Vous avez tourné en numérique ou en pellicule ?
X.S : J'avais déjà tourné mon film de fin d'études en noir et blanc argentique ainsi que Le crabe, un film que j'ai fait avec Christophe Hermans, un camarade de promo. J'adore l'argentique, mais ça devient compliqué. Ce n'est même pas pour une raison économique puisque ça ne coûte pas plus cher, mais simplement pour une souplesse de travail. C'était un peu plus conséquent à travailler et ça coinçait un peu sur la post-production et le développement de l'argentique. En plus en noir et blanc c'était très flou, on avait pas vraiment de solutions satisfaisantes. Il se fait qu'Olivier Boonjing, le chef-opérateur, est un magicien du numérique. La comparaison est un peu ridicule, mais c'est un Mc Gyver. Avec une boîte d'allumettes, il fait des miracles et c'est ce qu'il a fait sur ce film. On avait parlé des photographes, il est allé prendre des clichés en amont pour avoir un rendu qui se rapproche le plus de ces références. J'étais assez serein sur ce tournage et on est parti en numérique, on a tourné avec une Red Epic Monochrome, ce qui permet d'avoir directement sur le monitor un rendu très proche de l'image finale du film.

C. : Est-ce qu'on travaille différemment en noir et blanc qu'en couleur par rapport aux costumes par exemple ?
X.S : Prendre des photos sur les costumes et voir déjà ce que ça donne en noir et blanc, c'est très important. Je demandais à tous les chefs de poste de faire ce travail. Il y a ceux qui ont l'habitude et qui savent qu'un rouge par exemple va vraiment bien claquer en noir et blanc. J'avais envie de travailler sur des éléments graphiques. Par exemple, il y a la figure du cercle qui revient partout dans le film et donc on essayait aussi de travailler sur ces motifs, dans la recherche de décor et dans les accessoires. On cherchait aussi pour les costumes quelque chose de texturé pour donner à ressentir, toujours.

C. : C'est assez osé de faire un film en noir et blanc aujourd'hui, pensez-vous que ça peut vous porter préjudice ?
X.S : C'est peut-être un peu inconscient. On m'avait quand même prévenu, on m'avait dit que ce n'était pas une excellente idée, mais j'ai un peu cumulé les choses à ne pas faire : il ne fallait pas le faire en noir et blanc, pas sur la mort... Mais c'est le film que j'avais envie de faire, et puis c'est toujours un pari et on espère que ça peut quand même toucher un public. On n'est pas obligé de refaire chaque fois ce qui a déjà été fait ou ce qui a plu, on peut aussi sortir des sentiers battus. Ça ne facilite pas toujours les choses, mais on verra au moment de la sortie si les gens sont réceptifs, si ils ont envie de voir ce film.

C. : Combien de temps a duré le tournage ?
X.S. : Il a duré une trentaine de jours mais j'ai du mal à donner le nombre exact parce qu'on a eu quelques difficultés. On a tourné une première moitié du film en Bretagne à 30-40 et puis il n'y avait plus assez d'argent, on a eu de petits incidents de parcours et le film s'est retrouvé en pause pendant 10 mois. Puis on a repris, on espérait retrouver un peu d'argent pour reprendre dans de meilleures conditions mais on ne l'a jamais trouvé donc on en a perdu finalement et on a poursuivi d'une manière encore plus commando. C'était déjà assez light en France, mais quand on a repris en Belgique, c'était avec une équipe vraiment réduite, certains jours, on devait être une petite dizaine.

Xavier Seron, réalisateurC. : C'est votre premier long-métrage, ça vous a donné envie d'en faire d'autres ?
X.S. : Oui évidemment mais celui-là a été très long à faire donc j'espère que ce sera un peu plus simple pour le suivant sinon c'est difficilement viable. Mais c'est génial même si quand on se retourne on se rend compte des années qui ont défilé et par où il faut passer pour parvenir à faire un film. En dehors de ça, depuis 4 ans, on me propose d'encadrer un film de fin d'études à l'IAD dans la section réalisation. C'est super, j'avais commencé avec Pablo Munoz Gomez et son film Welkom et puis d'années en années on me repropose encore de le faire. J'espère que ça pourra continuer parce que c'est vraiment une super expérience de pouvoir accompagner des jeunes réalisateurs sur leur film de fin d'études, de s'immerger dans leur univers sans prendre leur place, essayer d'être hyper respectueux de leur travail et de voir l'éclosion d'un film. J'espère que je leur apporte quelque chose mais déjà humainement c'est très riche.

C. : Votre film a été présenté au FIFF, quelles ont été les réactions ?
X.S. : Oui c'était la première mondiale à Namur où j'ai eu le prix Cinevox. Globalement, les retours étaient plutôt positifs. Comme c'est une comédie, la sanction était assez immédiate. J'étais dans la salle et si les gens ne rigolaient pas c'est que forcément j'étais passé un petit peu à côté mais heureusement ils ont rigolé. À l'inverse, les gens qui n'ont peut-être pas accroché on les entend moins souvent, c'est rare qu'ils nous donnent des retours. J'imagine que tout le monde n'a pas adhéré, mais c'est normal car c'est clairement un film particulier.

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