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Serge Mirzabekiantz à propos de One

Publié le 14/11/2007 par Katia Bayer / Catégorie: Entrevue
Serge Mirzabekiantz à propos de One

Il s'interroge sur l'ombre et la lumière, le flou et le net, la proximité et la distance, les silences et les mots. En 2004, trois personnages solitaires étaient amenés à se croiser dans son film de fin d’études, Loin des yeux. Dans son dernier court, One, le thème de l’isolement est maintenu à travers une histoire de deuil et d’intime vécue par plusieurs membres d'une même famille. Rencontre en émotion et en chapitres avec le réalisateur Serge Mirzabekiantz.

Un sujet.

« Le film démarre avec le point de vue du drame : une jeune fille, Sarah, meurt dans un accident de voiture. Lucas, son père, conduisait. Il va mener une longue quête intérieure mais aussi extérieure pour s’interroger sur ses rapports avec sa femme et les souvenirs qu’il a de sa fille. »

La solitude.

« La solitude me touche personnellement parce que je la trouve créatrice. J’ai besoin d’être seul pour écrire, j’ai besoin de la musique aussi pour éprouver cette solitude et pour développer des émotions. Après Loin des yeux, je trouvais intéressant de retrouver cette solitude mais entourée de gens, au sein d’une famille, entre eux, dans le rapport père-fille… La solitude existe aussi lorsqu’on est ensemble. »

Le flou, le net.

« Je crois que cette possibilité de montrer ce qu’on veut et ce qui doit être seulement effleuré et suggéré est un des langages cinématographiques des plus intéressants. Dans One, cela m’a justement permis d’exprimer certains aspects, à savoir la vision brouillée du père après l’accident, mais aussi ce qui se passe hors-champ ou hors vue. L’idée est vraiment de suggérer les choses, d’amener certaines émotions particulières. Il y a un dénominateur commun d’émotion dans l’histoire, mais chacun la vit différemment. Je suis intéressé par les choses que certaines personnes disent avoir vues dans le film, des choses qui n’existent pas, mais qui surgissent parce qu’elles sont dans le flou. L’imagination dans le cinéma, je trouve ça magique. Il faut pouvoir apporter des couches supplémentaires au spectateur pour pouvoir l’emmener dans des endroits différents. »

La photo, le cadre.

« J’aime bien essayer de travailler avec des personnes différentes propres au projet. Nicolas Kazakatsanis, le directeur photo, a été choisi en fonction du projet que j’allais faire. Il avait travaillé sur Méandres, un court métrage, et je trouvais son travail du cadre et de la photo très intime et vraiment très proche de la narration. J’avais besoin de ça : que mes images et la photo soient vraiment en corrélation avec l’histoire. En me renseignant, je me suis rendu compte qu’il avait fait d’autres choses que j’avais aimées auparavant. Pour le travail avec lui, j’avais des idées très précises du type de photographies que je voulais. Tous deux, nous connaissions et apprécions un photographe australien Bill Henson qui travaille beaucoup dans les contrastes, avec aussi cette notion de net et de flou. J’aime bien cadrer les images. Je sentais qu’avec Nicolas, je pouvais me décharger du cadre pour pouvoir travailler avec les comédiens tout en sentant toutefois que je restais très proche de la caméra. J’avais une confiance totale en lui et on s’est très vite compris. Quand on ressent ça, on se dit qu’on ne se trompe pas.»

One et ses origines.

« One est issu de la conjonction de deux choses. Je suis pharmacien : un jour un père de famille est venu chercher la pilule de sa fille. Il était assez surpris, il a dit : « c’est la première fois que je fais ça. Ça me fait bizarre. Pourquoi ce n’est pas ma femme qui est là ? ». Je trouvais ce questionnement intéressant : un père  se rendait compte que sa fille devenait adulte, mais qu’il avait toujours un rôle, à savoir que c’était lui qui payait ses médicaments. Parallèlement, j’avais vu une exposition à Paris sur des photographes du Nord. L’un d’entre eux, Désirée Doloron, avait photographié le corps d’une jeune fille nue sur une table en marbre. J’ai eu une émotion incroyable en voyant cette image car c’était d’une tristesse et d’une force prodigieuses. Cela m’intéresse que dans les choses très tristes on puisse trouver de la lumière. Dans le film, il y a aussi un besoin d’aller chercher la lumière : au fur et à mesure, le père va essayer de retrouver une certaine sérénité et certains repères. Ce besoin de trouver cette chaleur, de donner un sens aux choses et à nos choix, de ne pas regretter, je crois que c’est important. 

Aurélien Recoing (Lucas) ou la fragilité dans l’émotion.

« Même s’il a fait énormément de longs métrages, c’est un comédien qui est souvent là pour les premiers films, les premiers courts. Ce que je trouve intéressant avec ce genre decomédien, c’est qu’il a une présence de par son visage, de par son corps, de par sa voix, mais en même temps, une fragilité qu’on pouvait aller chercher. Je trouve ça touchant de pouvoir trouver une faille, une fragilité dans ce type de personnage assez fort.  Il n’y a rien de plus émouvant pour moi de voir un Sean Penn hyper dur qui, tout d’un coup, s’effondre et se met à pleurer. »

Salomé Richard (Sarah) ou le témoignage d’une jolie pureté.

« Pour le rôle, c’était un choix crucial : est-ce qu’on prend une comédienne un peu plus âgée qui va peut-être nous apporter des choses plus directes, plus fortes ou au contraire essayer d’avoir quelqu’un qui a un naturel qui existe, qui frappe ? Salomé m’a touché au casting. Elle n’avait jamais été dirigée. Cela m’intéressait, vu que le film abordait des sensations assez intimes et les premiers sentiments. »

Helicotronc et Anthony Rey.

« J’ai connu Anthony très tôt, juste à la sortie de l’IAD. Il m’a dit qu’il avait beaucoup aimé Loin des yeux et que si un jour, j’avais un scénario, il serait intéressé de le lire. Quand j’ai commencé l’écriture, je me suis rappelé de ses propos. Je lui ai présenté le scénario et il a accepté de le produire. Ce que j’ai senti chez Anthony, c’était surtout cette envie de faire le cinéma qui nous intéresse, c’est-à-dire sans compromis. C’est quelqu’un qui, dès le départ, m’a donné cette confiance d’aller vers ce que je voulais vraiment tout en me rappelant qu’il y avait quand même un budget et certaines contraintes. Il ne m’a jamais dit "non", mais "non" dans le bon sens du terme. Sentir, de la part d’un producteur, qu’il est là au service du film, je trouve que c’est une liberté apaisante et donc créatrice. »

Premier montage.

« On avait fait un montage de 15 minutes pour qu’il ait plus de chance d’être pris dans les festivals. J’ai dit à mon producteur : le film est bien mais ce n’est pas du tout l’histoire que j’ai voulu raconter. Au final, le film dure 23 minutes, reflète mes intentions de départ et a quand même trouvé sa place dans les festivals. »

One, le mot.

« Je voulais un terme universel qui pouvait parler de tous les thèmes que je voulais aborder dans ce film-là, à savoir : Que ferait-on si on devait refaire notre vie ? Que changerions-nous ? Que représente l’amour ? Je trouvais que "one" résumait toutes ces intentions-là et qu’il y avait une force dans ces simples trois lettres. Je trouvais intéressant que "one" qui veut dire un s’écrive avec un zéro. En français, je n’ai pas trouvé d’équivalent qui puisse me donner une telle force que ce petit mot anglais. »

Tout à propos de:

One