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Stéphanie Blanchoud, co-scenariste et comédienne de La Ligne

Publié le 01/02/2023 par Dimitra Bouras et Marwane Randoux / Catégorie: Entrevue

Actrice, chanteuse, auteure dramatique et metteuse en scène belge et suisse, Stéphanie Blanchoud retrouve la réalisatrice Ursula Meier pour ce long-métrage qui aborde le thème peu traité de la violence d'une femme. Elle interprète le personnage de Margaret qui, après avoir été soumise à une mesure d’éloignement avec sa mère, Valeria Bruni Tedeschi, tente de se rapprocher des membres de sa famille dysfonctionnelle.

Cinergie : Comment avez-vous rencontré Ursula Meier ?

Stéphanie Blanchoud : On s’est rencontrées via des amis communs puis on a travaillé sur un clip qu’elle a réalisé et dans lequel je chantais avec Daan. Ensuite, je jouais une avocate dans son téléfilm pour Arte en 2018, Journal de ma tête, qu’elle a tourné avec Fanny Ardant et Kacey Mottet-Klein. C’est après cela que ma collaboration sur La ligne a commencé.

On avait envie d’écrire ensemble, de collaborer. Elle avait vu mon spectacle Je suis un poids plume qui parle de manière détournée de la boxe. Je pense que, de manière inconsciente, ça a dû faire germer l’idée chez elle d’écrire sur un personnage féminin violent. On l’avait évoqué toutes les deux quand on débriefait et on s’est mise à écrire autour de cette femme de 35 ans qui n’a pas de problème particulier, qui ne vient pas d’un milieu défavorisé. Il a fallu d’abord bien explorer ce personnage avant d’envisager ce que cette femme allait vivre. Alors qu’Ursula part souvent d’un territoire géographique notamment pour Home, L’Enfant d’en haut, ici, le territoire, c’était le corps de Margaret. Il y a d’ailleurs beaucoup de scènes écrites mais qui n’ont pas été conservées qui nous ont permis de vraiment entrer dans le corps de cette protagoniste.

 

C. : Pourquoi avoir abordé le sujet de la violence ?

S. B. : Quand j’ai commencé la boxe anglaise, je me suis demandé pourquoi j’avais tellement envie d’y retourner. J’ai trouvé dans la boxe une sorte d’échappatoire et un moyen d’évacuer une énergie. J’ai vu de plus en plus de femmes venir au club de boxe et ça m’a questionnée. On voit souvent au cinéma des personnages masculins violents qui véhiculent quelque chose de séduisant à l’écran comme De Niro, Sean Penn, Al Pacino. Avec Ursula, on s’est demandé ce que ça ferait si c’était une héroïne qui portait cette violence-là. C’est moins sexy. Quand on voit un homme avec un œil au beurre noir, on se dit qu’il s’est battu, si c’est une femme, on se dit qu’elle s’est fait battre. On voulait explorer un sujet plus tabou donc on s’est beaucoup documentées. Il y a l’association Face à face à Genève, qui s’occupe des femmes qui souffrent de violences, qui nous a beaucoup nourries en début d’écriture. Il s’agit de femmes qui sont elles-mêmes violentes dans leur foyer. On pourrait se dire que Margaret est borderline mais on n’a pas voulu poser un diagnostic médical dessus. On s’est concentrées sur le fait qu’elle était incapable de parler et que ça passait par le corps, les coups. Elle n’a pas d’autres manières de s’exprimer que celle-là. Peu à peu, on raconte l’histoire de la famille autour : une mère toxique, les trois sœurs qui s’en sortent avec cet héritage-là. Elles ont chacune leur bouée mais on s’est concentrées sur Margaret. C’était passionnant mais difficile car on s’attaquait à un sujet à contre-courant. Elle ne pouvait pas être que non aimable donc on a dû trouver les endroits où elle pouvait nous toucher. Ursula a trouvé la voie de la musique comme contrepoint pour nous donner accès à ses fragilités.

 

C. : Comment s’est passée l’écriture ?

S. B. : Au départ, on a eu l’idée à deux et on a commencé à écrire puis on s’est chacune réapproprié l’écriture avec Ursula. Ensuite, je me suis éloignée du processus d’écriture pour arriver la plus neutre possible le premier jour du tournage. Ursula a continué avec Antoine Jaccoud, son coscénariste habituel. Il est arrivé au moment où la trame était en place, il a accentué certains curseurs avec son regard neuf et un regard d’homme sur ce parcours de femmes.

 

C. : Même si le film met en avant la violence, il semble que ce soit un prétexte pour montrer l’origine de la colère que les femmes portent en elles.

S. B. : Quand la famille s’est mise en place autour de Margaret, ça a rejoint des thèmes qui sont chers à Ursula comme les familles dysfonctionnelles et l’origine d’une violence. Sa force, c’est de zoomer sur ces sentiments et les pousser à l’extrême. C’est ce qui donne à son cinéma une certaine âpreté mais aussi une universalité. Ce film me fait penser à Tchekhov, avec ses solitudes qui coexistent. Il y a quelque chose d’organique. De plus, elle voulait commencer le film par un climax, une première scène explosive. Puis, ça se décante peu à peu et on peut se rapprocher.

 

C. : Comment s’est préparé le tournage ?

S. B. : Ursula voulait qu’on ne se voie pas trop avec Valeria et ça a créé quelque chose parce que le premier jour de tournage, c’était la première scène du film. On s’était vues une fois pour une lecture. C’était vraiment pour elle que le rôle de la mère était écrit. Valeria est arrivée avec sa palette de jeu incroyable et j’étais impressionnée de me retrouver sur le plateau avec elle. Elle était beaucoup en hors champ dans cette première scène et elle me chargeait de choses cruelles pour que je trouve l’état de cette première scène. C’était très jouissif. J’aime le jeu dans son sens premier, il y a une disponibilité et quelque chose de ludique. Quand on est guidé de manière intelligente et bienveillante, on peut tout oser. Même si on propose des choses qui ne sont pas au bon endroit, Ursula fera le tri au montage. J’avais beaucoup travaillé le personnage de Margaret en amont grâce à l’écriture puis je me suis éloignée de l’écriture et j’ai essayé de la trouver dans mon corps, j’ai essayé de comprendre comment elle regardait, comment elle marchait, comment elle se comportait avec chaque membre de sa famille, avec son ex compagnon. C’est souvent comme ça que je travaille, je pars de moi pour trouver le personnage. J’arrivais sur le plateau avec une grande disponibilité. Margaret a cet avantage d’être comme un tableau qu’on efface à chaque fois. Elle n’est jamais chargée de ce qui vient de se passer et ni de ce qui pourrait se passer. Je ne sais pas si j’aurais la chance de revivre cet ici et maintenant dans le jeu.

 

C. : Ce personnage a vraiment une palette de jeu impressionnante.

S. B. : Oui, ce qui rend ce personnage attachant, c’est qu’elle est capable de se confondre en excuses et dans la minute d’après, elle peut exploser. Il y a un lien entre cette violence et cette ultra sensibilité. Elle a sans cesse le besoin d’être légitime et de ne pas perdre le lien avec sa mère, elle a du mal à respecter la mesure d’éloignement.

On voulait que ce soit crédible. Cent mètres, c’est suffisant pour se sentir abandonné mais ce ne sont pas 3 km. À 100 mètres, on peut encore avoir un peu accès à la vie de l’autre mais on ne peut se parler ni se toucher. Il y a quelque chose d’un peu absurde dans cette mesure mais ça lui permet de garder le lien. Elle utilise aussi sa sœur pour ne pas perdre contact avec sa mère et ses cours de chant sont un prétexte pour se rapprocher.

 

C. : Que représente le personnage de la petite sœur interprété par Elli Spagnolo ?

S. B. : Quand on voit la petite, on peut se dire que c’est Margaret petite, qu’elle a dû vivre des scènes identiques, que sa mère a dû disparaitre plusieurs jours sans donner de nouvelles. Elle a été la première victime du côté infantile de cette mère mais, en même temps, il y a une sorte d’admiration pour cette mère de la part des trois filles. Cette petite sœur n’aime pas les conflits et tente de faire que tout le monde s’aime. La sœur du milieu est la seule un peu ancrée qui tente de gérer cette mère et la folie qui se propage. Cela devient une histoire de famille.

 

C. : Le tournage n’a pas été trop éprouvant ?

S. B. : C’était éprouvant à cause des conditions de tournage : on a tourné en Suisse en plein hiver, il faisait noir très tôt, on a beaucoup tourné la nuit. C’était épuisant physiquement mais le personnage était comme ça donc c’était normal de le traverser aussi et j’en garde un souvenir de quelque chose d’éprouvant mais aussi de réconfortant. On a tourné pendant le Covid donc on ne pouvait pas voir trop de monde en dehors des heures de tournage, on dormait tout près les uns des autres, ça créait comme une famille entre les acteurs.

 

C. : Au départ, c’était évident que vous chantiez dans le film ?

S. B. : Ce n’était pas du tout évident et ce n’était pas un souhait de ma part. Quand Ursula l’a proposé, je voulais qu’on trouve autre chose. Mais comme la mère était prof de piano, comme Margaret faisait de la musique, on l’a gardé. Le chant est pour Margaret un contrepoint à sa violence. La douceur s’exprime, ça se pose, les mots arrivent à se dire quand Margaret compose. L’idée est venue tard dans le procédé mais c’est évident aujourd’hui quand on voit l’histoire dans sa totalité. C’est un héritage positif de sa mère et c’est l’endroit du refuge. On ne va pas vers une fin joyeuse mais il y a quelque chose qui s’adoucit.

 

C. : Jusqu’à la prochaine crise. La mère semble incapable d’exprimer ses sentiments.

S. B. : Oui, elle peut être très aimante, on voit qu’elle a recueilli sa fille plusieurs fois, elle ne l’a jamais rejetée mais il y a des choses qu’elle ne lui a jamais données. Chacun fait avec ses manques, certains en font des forces et Margaret n’a pas encore trouvé à ce moment-là de sa vie de quoi en faire une force. Elle a la musique comme endroit de refuge et de réconfort. La seule personne qui la recueille, c’est son ex compagnon Benjamin avec qui elle a fait de la musique. Ce personnage est important car il donne une porte d’accès à tout un pan de la vie de Margaret. On se dit que ce personnage est capable d’avoir une relation amoureuse même si elle n’a pas dû fonctionner pour les mêmes raisons que pour le reste. J’ai la sensation qu’au fur et à mesure quelque chose s’adoucit même s’il existe toujours une distance avec sa mère.

 

C. : De qui est la composition de la chanson que Margaret chante ?

S. B. : Elle est de moi. Ursula voulait que je reprenne une chanson qui est sur un de mes albums, sorti en 2015, Les beaux jours. Elle aimait beaucoup la musique d’un des morceaux mais le texte ne collait pas. Elle voulait que ce soit un texte qui parle d’elle et qui s’adresse de manière détournée à sa mère. J’ai refait le texte pour le film. Toute la musique dans le film est jouée et toutes les chansons sont chantées par les comédiennes. Ça ajoute à la fébrilité des personnages.

Il y a le duo que je chante avec Benjamin Biolay, un morceau qu’il a composé. Ursula lui avait donné comme consigne qu’on sente que ce soit un morceau qu’ils aient chanté à deux et qui fasse référence à une vie commune autour de la musique à un moment donné.

 

C. : Est-ce que d’un point de vue musical, la complicité qu’on voit dans le film va aboutir à autre chose avec Benjamin Biolay ?

S. B. : Ce qui est formidable, c’est que Benjamin a terminé ce morceau en studio et il m’a invitée à mettre ma voix dessus. Je trouve que c’est quelqu’un qui a un talent incroyable et qui compose et écrit merveilleusement pour les femmes. Il a le talent d’un Gainsbourg. J’espère que la vie fera qu’on se réunisse autour d’un projet musical.

 

C. : Comment se passe la division entre votre carrière de comédienne et celle de chanteuse ? Est-ce que vous avez une préférence ? Est-ce que ces deux facettes ne sont pas incompatibles.

S. B. : Ce que j’apprécie dans le milieu, c’est que c’est moins cloisonné qu’avant. Aujourd’hui, on ne se pose pas la question. Si on sent la nécessité de créer, on fonce. J’adore jouer mais ce que j’aime vraiment, c’est raconter des histoires. Si je peux les raconter en jouant ou en chantant, les deux me vont. Mais tout cela est une histoire de rencontres. Je me sens d’abord actrice mais la musique fait partie de mon équilibre de femme, d’artiste même si c’est quelque chose que je maîtrise moins parce que j’ai moins d’expérience. J’aime l’ici et maintenant que ce soit sur un plateau ou sur une scène. J’aime aussi la bulle que procure l’enregistrement d’un album. Pour moi, ça se complète.

 

C. : Vous avez des projets ?

S. B. : Du 14 au 28 février, je joue dans Le temps qu’il faut à un bébé girafe pour se tenir debout au Rideau de Bruxelles. C’est une création avec Laurent Capelluto et Diane Fourdrignier sur le thème carcéral de manière détournée. Ensuite, je suis sur une nouvelle écriture de scénario.

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