Sur le tournage de Au cul du loup (ex - La Maison du Lucchese), premier long métrage d'un enseignant passeur de passion et organisateur de festivals.
Sur le tournage de Au cul du loup de Pierre Duculot
Pierre Duculot, cinéphile actif, cherche toutes les occasions pour manifester sa passion. Professeur dans une école supérieure en communications, il était l'instigateur du Festival du film Social ainsi que du festival des films d'écoles, Festimages. Aux côtés de ses fonctions de pédagogue et de journaliste cinéma, ce liégeois d'origine, a donné un nouveau tournant dans sa vie une fois la quarantaine atteinte. Après l'analyse, la création! Il débuta sa carrière de cinéaste avec Dormir au chaud, un court métrage basé sur la rencontre des générations, suivi par le Dernier Voyage. Cet amoureux du cinéma social britannique est entrain de matérialiser un de ses rêves; tourner son premier long métrage. Au cul du loup (ex-La Maison du Lucchese), qui sera distribué en France par MK2, est l'histoire d'une jeune femme qui, contre toutes attentes, rencontre la chance sur son chemin et décide de la saisir pour fuir son avenir morose. Pour incarner cette héroïne du quotidien, Christelle Cornil, à qui on donne enfin l'occasion de sortir des rôles de nonne qu'elle a endossés dernièrement. Pierre Duculot aime travailler dans la sérénité. Il refuse de passer les quelques semaines qu'il vole à la routine de la vie dans l'énervement ou l'angoisse. Pour s'assurer que tout se passera dans la bonne humeur, il s'entoure de techniciens qui ont fait leurs preuves (Hicham Alaouie à la caméra, Valérie Houdart, 1ère assistante) et de comédiens qui ne manqueront pas de détendre, si nécessaire, l'atmosphère du plateau (l'ex-syndicaliste Roberto D'Orazio et le bluesman carolo William Dunker). Après une première étape de tournage dans les paysages des terrils, l'équipe partira bientôt à la rencontre d'une autre rudesse, celle de la Corse sauvage.
On le retrouve dans les environs de Charleroi dans la pizzeria de la place principale de Châtelet.
Une envie
Je ne suis pas cinéaste, ni de formation ni, a priori, d'ambition. Je m'y suis mis à quarante ans, parce que j'écrivais des scénarios que personne ne voulait. J’aime le cinéma classique, dans le sens où la forme vise à toucher le public, un cinéma qui raconte des histoires. Dans mes courts métrages, j'ai rencontré une comédienne avec qui cela a bien fonctionné. Je voulais continuer à travailler avec elle. Elle s'appelle Christelle Cornil, c'est le second rôle que l'on voit le plus depuis cinq ou six ans en Belgique, mais qui n'a pas encore eu un vrai grand rôle. J'ai déposé un projet, et il a été accepté par la Commission de sélection.
J'ai voulu écrire une histoire pour lui donner un premier rôle, et partir de la région où je vis, où je travaille, le Hainaut, pour en parler d’une autre manière que les caricatures qu'on en fait généralement. Je souhaitais montrer à la fois le côté âpre de la région qu'il ne faut pas nier, et le côté chaleureux d'une région où l’on peut être bien.
Je vis une bonne partie de l'année entre La Corse et le Hainaut, et j'avais envie de parler de ces hésitations permanentes que j'ai : « Est-ce que je reste en Corse ? Est-ce que je reviens dans le Hainaut ? »
Quand je suis ici après deux ou trois mois, l'âpreté de la vie, la météo, me donnent envie de retourner en Corse, et quand je suis en Corse, dans le village où je vis, c'est très beau, mais il n’y a rien à faire. Au bout de quelques semaines, je ressens le besoin de rejoindre la vie culturelle. Je voulais aussi faire, de cette interrogation-là, une des trames du film.
L'ambiance du plateau
Valérie Houdart est une très bonne première assistante… qui ne crie jamais sur le plateau : chose rarissime dans cette fonction ! Sur un plateau, l’ambiance dépend des scènes que l’on tourne. Ce matin, par exemple, ce sont de petites scènes faciles, où l'ambiance potache s'installe facilement et où les blagues commencent à circuler. La première assistante doit veiller à ce que l'attention reste soutenue. J'ai toute confiance en Valérie, qui a été deuxième assistante sur mes courts métrages. Entre temps, elle est devenue 1ère assistante de Joachim Lafosse sur trois films. C’est quelqu'un qui sait gérer un plateau, accélérer quand il faut accélérer, remettre la concentration quand il le faut.
Je suis très mauvais dans la tension et le conflit. Il faut que l'ambiance soit décontractée. Je choisis mes techniciens parmi ceux qui acceptent ma manière d'être; décontracté, en apparence toutefois, et fonctionnant à l'amitié. C'est pour cela que j'ai récupéré des gens qui étaient sur mes plateaux de courts métrages. J'ai choisi Hicham Alaoui à la caméra parce qu'il a de la bouteille dans ce métier et que je peux me reposer sur lui. Je préfère que les journées ne soient pas trop longues, qu'on ne multiplie pas les prises à l'infini pour éviter le stress. À la limite, je préfère simplifier les déplacements. J'ai souvent constaté que ce qui fait qu'une scène fonctionne, c'est le jeu. Si l'acteur est entravé par une mise en place qui l'oblige de regarder où il doit mettre les pieds, faire des petites actions extrêmement précises, etc., on peut parvenir à de très belles images qui peuvent gagner le Prix de la Meilleure photo à Lodz en Pologne, mais que le spectateur moyen va trouver totalement désincarnées. Je préfère que cela soit tourné à l'arrache, âprement, un peu trop vite, mais qu'on soit dans l'énergie des comédiens.Il ne faut pas oublier qu'un tournage, c'est un sport collectif. Il faut trouver un dialogue avec la scripte, le chef op’ et le son pour qu'on soit tous d'accord sur ce qu'on fait.
S'ils comprennent ce que je veux, ils vont pouvoir compenser mes lacunes.
J'ai fait beaucoup de théâtre, et je me sens tout à fait à l'aise dans la direction d'acteurs. Par contre, le choix d’une focale 32 ou 40 pour faire un plan plus large, je n'en sais rien. Je dis au chef op’ le plan que je veux, et il choisit en fonction.
On a choisi la caméra en fonction de l'économie du film, pour être assez près des acteurs. On a opté pour une « Red », qui ressemble le plus au résultat du 35mm. J'aime les premiers plans nets et les arrière-plans flous. La netteté des arrière-plans perturbe le spectateur, mais j'aime bien qu'on devine ce qui se passe derrière.
La direction d'acteurs
Il y a deux choses qu'on ne maîtrise pas sur un tournage, la météo et l'entêtement d'un comédien. Si un comédien s'est fait une idée très précise de son personnage, qui n'est pas celle du réalisateur, c'est très difficile de lui enlever ça de la tête. C'est pourquoi il est très important de bien préparer avant le tournage.
Dans cette histoire, Christelle rencontre deux hommes. L'un des deux est son compagnon de longue date. Je voulais qu'on sente cette familiarité quand ils se croisent, quand ils se touchent, se regardent. Je voulais qu'on ait vraiment l'impression qu’il s’agit d’un vieux couple. On s'est beaucoup retrouvé ensemble autour de la table, dans des activités très banales pour qu'on ait vraiment cette impression. Pour le gars qu'elle rencontre en Corse, je ne voulais pas qu'ils se voient avant le tournage. Ils se sont vus une seule fois. Je voulais trouver cet effet de surprise, cet effet de découverte.
Pour les autres comédiens, je leur ai parlé de manière très précise de leurs personnages, y compris des choses qu'on ne voit pas dans le film. L'histoire de chacun, d'où ils viennent, quel est le background, quelles sont leurs aspirations, etc. pour qu'ils aient cela en tête, qu'ils puissent construire leur personnage.
Il y a différents niveaux d'acteurs dans ce film, des gens hyper-pro comme Christelle, François Vincentelli, Cédric Eeckhout, et puis un rôle principal pour Jean-Jacques Rausin qui tourne son premier long métrage, même s'il a fait 7 ou 8 courts précédemment. La façon de travailler avec lui n'est donc pas la même.
William Dunker, lui, est un acteur de théâtre, de vaudeville. Il a une force de composition énorme. Ça fait 25 ans qu'il a l'habitude de faire rire tout Charleroi, et il a tendance à en remettre plutôt trois couches ! Ce qui fait rire au théâtre, ne fait pas forcément rire au cinéma. Il faut donc trouver un équilibre.
Roberto D'Orazio correspondait très bien au personnage qu'il incarne. Je me suis dit, plutôt que de trouver un comédien qui lui ressemble, autant le prendre. L'idée l'a beaucoup amusée. Mais là, il faut prendre Roberto comme il est, avec sa spontanéité, sa faconde, son charisme. Je ne peux pas lui demander de faire autre chose. Mais c'est pour cela que je l'ai choisi.
Une de mes fiertés, c'est qu'il y a, dans ce film, 17 ou 18 acteurs belges qui ont des rôles à défendre ! Par contre, les comédiens qui vont jouer en Corse sont des Corses. Contrairement à beaucoup de films qui se tournent là-bas, on n'y est pas allé uniquement pour avoir de l’argent en utilisant à peine l'infrastructure hôtelière pour le tournage. Non, dans mon film, les comédiens sont du pays et quelques-uns ont de grands rôles.
Un film pour secouer les idées reçues
J'avais envie de tordre le cou aux idées toutes faites sur Charleroi et inversement sur la Corse. Le personnage principal, incarné par Christelle Cornil, fantasme sur une maison dont elle va hériter en regardant une carte postale. On y voit une plage et des palmiers. Elle va se retrouver dans un village de haute montagne où il reste quinze vieux, à près de 900 mètres d'altitude ! La neige perdure cinq mois par an, le ciel est plombé 8 mois de l’année.
Je travaille en Corse depuis quinze, et j'y habite deux à trois mois par an. J'avais vraiment envie d'en parler différemment, montrer une réalité en dehors des clichés qu’on peut avoir.
Les idées reçues sont partout, à tous niveaux. Quand je parlais de mon projet, tout le monde me plaignait à l'avance, pensant que je ne pourrais jamais avoir de l'aide si je n’avais pas de vedettes dans mon film. Pourtant, j'ai obtenu l'aide à l'écriture de la Commission de sélection, et l'aide à la réalisation tout aussi facilement. Comme quoi, il ne faut jamais avoir d’idées préconçues !