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Sur le tournage de La Paille et la Poutre

Publié le 01/07/2002 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Tournage

Y a un lézard dans le placard 

Où irions-nous ? Ce serait tout simplement ingouvernable s'il n'y avait pas que des pareils au même !

Serge Leclaire. Rompre les charmes. Ed. Le Seuil

La Paille et la Poutre

 

Feu sacré

Y a pas de lézard ! Sur les tournages votre serviteur a subi peu d'avanies et framboises (pour faire un clin d'oeil à Tirez sur le pianiste de François Truffaut). L'une des rares et des plus drôles fut celle où, pris pour un employé des postes à la retraite, on nous refusa l'entrée du plateau. Inutile de préciser que votre serviteur courut s'acheter un képi bleu marine au vieux marché afin de ressembler à un employé des postes en activité (mimant le regard terne du fonctionnaire accablé) et ainsi pénétrer sur un plateau devenu hilare lorsque les techniciens nous reconnurent !

 

Rien de tel sur le tournage de La Poutre et la Paille. Nous sommes au 90, avenue Paul Deschanel à Bruxelles, face à un immeuble en forme de U. Au rez-de-chaussée, l'équipe s'anime dans l'entrée d'un des trois immeubles. Une Arriflex 16 SR montée sur dolly Pee Wee se case dans le coin de l'entrée afin d'opérer un travelling avant pour recadrer les deux personnages qui occupent le plan : Philippe, (André-Marie Coudou) et un motard tout de cuir vêtu, au crâne rasé, des ray ban sur le front, un bandana autour du cou et des santiags aux pieds (Frédéric Toppart). Ceux-ci posent des problèmes à Olivier Hespel, l'ingénieur du son qui glisse un tapis sous les pieds de notre motard pour atténuer le bruit de ses pas. Éric Lacroix, le réalisateur du film, coache ses deux comédiens. Philippe est un quadra vêtu d'un costume gris, les bras encombrés de dossiers et d'un attaché-case. Qui pousse la porte vitrée, la ferme du pied et s'empare de son courrier dans sa boîte aux lettres. Un motard d'une trentaine d'années, casque à la main, descend l'escalier, une cigarette non allumée au coin des lèvres. Il cherche en vain un zippo pour l'allumer. Croisant Philippe qui soupire en découvrant son courrier, il lui demande : "Vous auriez du feu ?" Philippe le toise et répond, ravi de le décevoir : "Ah, désolé, je viens d'arrêter". Le motard s'éloigne agacé tandis que Philippe grimpe les escaliers pour rejoindre son appartement.

 

Le temps préoccupe Zvonock, le chef-op du film. On passe du plein soleil à un temps nuageux plus conforme à la lumière qu'il désire (sans trop de contraste entre l'intérieur et le hall d'entrée de l'immeuble. "Tous les GSM sont coupés ?", demande Nicolas Galoux, le premier assistant réal. OK, il y a une petite accalmie de soleil. On se tient prêt, Position de départ. On y va. La circulation est bloquée et le plan se tourne.

 

Eric Lacroix
Eric Lacroix, réalisateur

 

"Ce que tu viens de voir est la séquence d'ouverture du film. Philippe, le personnage principal, est concentré sur son boulot, nous explique Eric Lacroix, le réalisateur de Des fleurs pour Irma. C'est un cadre d'entreprise qui travaille beaucoup. Lorsqu'il rentre chez lui, après sa journée, il a encore beaucoup de travail. Dans le hall d'entrée, il croise un personnage un peu marginal, looké punkie, frimeur, le contraire de ce qu'il est dans la vie.
Et donc lorsque le motard lui demande du feu, il le méprise un peu et l'envoie balader en lui disant qu'il a arrêté de fumer. Le motard passe de manière furtive, bien qu'il ait, on le découvrira après, une certaine importance dans le déroulement de l'intrigue. Le film conte l'histoire d'un couple. L'homme ne s'occupe plus beaucoup de sa femme. C'est un couple qui vit ensemble depuis pas mal d'années. Ils se sont rencontrés à l'adolescence. Passé la trentaine, ils sont toujours ensemble mais sans que la passion les anime encore, dans une sorte de statu quo, prélude à la crise de la quarantaine. Lui se concentre sur un travail qui l'occupe énormément et qui l'amuse tandis qu'elle est plus artiste, curieuse de la vie. Un jour, rentrant plus tôt que prévu, il tombe sur sa femme faisant la sieste et s'enferme dans son bureau pour bosser. Il est distrait puis fasciné par un couple faisant l'amour dans l'appartement d'en face. Un moment, il voit dans le salon de l'appartement d'en face, un homme qui rentre. Il comprend que c'est le mari. Il voit les amants qui s'agitent...". Nous ne vous dirons pas si l'amant se cache sous le lit ou dans la garde-robe ou encore se déguise en statue post-moderne ni si l'épouse volage fait semblant de ronfler pour endormir le mari. La chute à l'écran !

 

Eric Lacroix a un parcours atypique. Sous la pression familiale, il passe deux candis en Droit à l'Université de Liège tout en rêvant de faire du cinéma ("J'ai toujours été passionné par le fait de raconter des histoires"). En troisième année il jette ses codes Larcier au feu, danse au milieu, monte à Bruxelles et s'inscrit à l'ELICIT (ULB). Il y rencontre Jean-Marie Buchet qui va devenir plus qu'un ami, un conseiller scénaristique. "Il m'a fait comprendre beaucoup de choses et lorsque j'ai terminé mes études, il m'a fait travailler comme assistant. Puis je suis entré dans le circuit professionnel via les téléfilms . Comme je voulais devenir réalisateur, j'ai monté pas mal de projets qui ont été refusés par la Commission. Du coup j'ai tourné un court en Super 8 de 6', muet, que j'ai financé moi-même et qui s'appelait l'Assiette du voisin. Un exercice de découpage et de mise en scène. Puis Thierry Zamparutti m'a permis de tourner Nous ne sommes pas les derniers dans des conditions difficiles. On a obtenu néanmoins l'aide à la finition. Entre-temps, j'ai reçu le Prix Kieslowski 2000 pour le scénario de Des fleurs pour Irma, que j'ai réalisé en France. Ce qui m'a permis de tourner coup sur coup deux courts métrages. Du coup, j'ai présenté la Paille et la Poutre en septembre à la Commission de sélection et le projet a été accepté."

 

Ambiances

"Eric avait tourné l'Assiette du voisin avec les moyens du bord, nous explique Thierry Zamparutti, le producteur. Jean-Marie Buchet et Pierre-Paul Renders m'en avaient parlé, puis j'avais eu l'occasion de le découvrir dans le cadre de la revue+K7 Court toujours, et l'avais beaucoup aimé. On a essayé avec Patrice Bauduinet, via PBC, de déposer un projet pour permettre à l'Assiette du voisin d'être gonflé en 16mm.

 

 

Sur le tournage de La Paille et la Poutre

 

Puis il y a eu Nous ne sommes pas les derniers que j'ai présenté à la Commission, qui l'a refusé, et que j'ai produit parce que c'était un film que j'aimais bien et qui m'interpellait. On espérait l'aide à la finition, on l'a obtenue. Le film a donc pu exister. Il a ramé quelques années, ses projets n'aboutissaient pas. Des fleurs pour Irma dont le scénario a obtenu le Prix Kieslowski a débloqué la situation. Je me suis retrouvé acteur au départ, spectateur quand ça se passait bien pour lui, tout en prenant conscience qu'il allait avancer beaucoup plus vite vers son projet de long métrage qu'avec moi. Ayant eu l'occasion de créer Ambiances, ma propre asbl, j'ai décidé de produire La Paille et la Poutre malgré le fait qu'on quittait le monde de la production avec de petits moyens pour aller vers un film plus professionnel. Ce qui ne va pas sans problème, car le coté expérimental me plaît davantage que le cinéma soumis aux normes professionnelles. La Paille et la Poutre est plus une carte de visite pour un futur long métrage que ces films ovnis, underground, singuliers dans toutes les phases de leur fabrication que j'adore. Tous les techniciens sont de grands professionnels.

 

Thierry Zamparutti découvre un monde du court métrage plus professionnel (une équipe de plus de trente personnes à gérer) et en fait son miel. Cela lui permet d'en faire l'expérience (d'autant que le budget du film dépasse largement l'aide octroyée) et d'affiner la ligne éditoriale d'Ambiances. Après avoir vu une pluie de courts métrages en festivals, il nous donne ses préférences : ce sont les films très courts de cinq minutes environ avec une idée choc, et produits de manière artisanale afin que l'expérimentation puisse avoir une large part dans la confection du film.

 

"J'ai eu la chance, conclut Thierry Zamparutti, d'être épaulé par Patrice Bauduinet et Sammy Fransquet qui a fait un formidable travail de directeur de production. D'autant que vu le budget limité, l'équipe est en participation." Lorsqu'on lui demande ses projets, il nous parle de son amour fou pour le cinéma d'animation mais aussi pour les films qui mélangent live et animation ("Je me suis beaucoup plu à travailler pour Fate de Pascal Adant, une production de PBC"). La trajectoire d'un producteur comme Arnaud Demuynck l'inspire parce qu'il prend des risques en produisant des films d'animation aux méthodes techniques différentes. "Sinon je vois Ambiances fonctionnant en produisant de petits films par coups de coeur et puis, j'ai envie de reprendre Court toujours."

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