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Taylan Barman : 9 mm

Publié le 06/11/2008 par Dimitra Bouras et Antoine Lanckmans / Catégorie: Entrevue
Nous attendions ce moment avec impatience à la rédaction de Cinergie.be. Après la séparation du couple Barman-Boucif, nous avons vu Mourad Boucif déployer ses ailes et survoler des latitudes proches de son histoire et de ses origines culturelles qui l'ont conduit dans le passé belliqueux d'une Europe coloniale, exploitant la force de jeunes mâles Africains envoyés comme chair à canon, d'autant plus dociles que confrontés à un relief et à un climat opposés à ce qu'ils connaissaient (La Couleur du sacrifice - Les Larmes de sang). Les paris étaient lancés. Sur quel fait historique turc Taylan allait-il revenir ? L'immigration en masse des années 60 ? Le génocide kurde ou araméen ? Ou même la laïcisation de la société turque, voir le déchirement de la jeunesse issue de l'immigration ?
La surprise était de taille en découvrant son premier film en solo : 9mm au sujet aussi éloigné des conjectures et si proche de l'atmosphère plombée de l'Europe du Nord.
Malgré des faiblesses dans le rythme de l'intrigue, ce premier long métrage d'un réalisateur autodidacte, nourri des Martin Scorsese, Francis Ford Coppola et autre Quentin Tarantino, et très proche d'un Bouli Lanners (Ultranova, Eldorado), d'un Stefan Liberski (Bunker Paradise) ou d'un Lucas Belvaux (La Raison du plus faible), nous livre le mal-être objectivement palpable d'une société déshumanisée.
 
Rencontre avec un jeune adulte intimidé par ce qu'il a osé faire. 
 
Cinergie : 9mm est ton premier long métrage en solo. Pourquoi cette décision de réaliser seul et surtout pourquoi avoir mis autant de temps avant de le réaliser ?
Taylan Barman : Mourad et moi, nous avons fait Au-delà de Gibraltar il y a 6 ou 7 ans. C’est le temps qu'il m'a fallu pour écrire 9mm. Mourad a voulu se lancer dans des projets qui lui tenaient à cœur, et moi j'ai écrit mon film. L’écriture m’a pris pas mal d’années, elle s’est faite avec Kenan Gorgun, qui est journaliste et romancier.
 
C. : La façon dont tu vois la société est très dure, pleine de révolte.
T.B. : Oui, même dans mes réalisations précédentes, il y a toujours eu cette envie de montrer les personnes fragilisées de la société. Dans Kamel, c’était un jeune toxicomane qui s’enfonçait de plus en plus; dans Au-delà de Gibraltar, un Maghrébin qui rencontrait une fille belge et se retrouvait tiraillé entre tradition et modernité, dans une société où il ne trouvait pas sa place. Et dans 9mm, j’ai voulu parler du mal de vivre.
 
C. : Et tes personnages qui se trouvent sur la frontière entre la vie et la survie sont des policiers, leurs enfants, des chômeurs…
T.B. : Oui, les conditions de travail sont difficiles dans notre société, et le travail de policier ne fait pas exception, tant au niveau des horaires qu’au niveau des interventions. Il faut savoir qu’il y a un taux de suicide important chez les policiers. Le père est un ancien pompier qui perd son boulot à cause d’un accident de travail. Il se retrouve inactif, mis au ban d'une société pour laquelle il a donné sa santé. Alors commence pour lui une descente aux enfers; dépression, alcool.
 
 
C. : Tu essayes de défendre le point de vue de l'adolescent, qui se retrouve seul alors que les parents, par leur profession, s’occupent des autres.
T.B. : Pour moi, ils sont tous les trois dans le mal-être. Cet ado de 17 ans est en pleine révolte contre le système établi. Il vit dans une famille où le manque de communication est dramatique. Chacun reste dans sa solitude, avec ses problèmes, et s’enfonce. 
 
 
C. : Mais tu lui as donné de l’espoir à ce gamin, il a la possibilité de s’exprimer, même si c’est d’une manière un peu sauvage.
T.B. : Oui, bien entendu, il a encore du mordant, mais jusqu'à un certain point.
 
 
C. : Tu fais allusion à sa chambre d'adolescent. C’est en pensant à ta propre chambre que tu l’as faite comme ça ?
T.B. : Pas du tout. Je n’étais pas quelqu'un de très révolté, je le suis plus maintenant ! J’ai un regard plus critique, et c'est ce que j'ai voulu exprimer dans 9mm.
 
 
C. : Pourquoi autant de plans-séquences dans ce film ?
T.B. : La majorité du film est tournée en plans-séquences. Il doit y avoir au total une soixantaine de plans. C’était un défi. Je trouvais qu'il était important de tourner en plan-séquence pour souligner le fait qu'on suit sans arrêt chaque personnage. Je ne voulais pas rater une seconde dans leurs mouvements et dans l’action. J’ai voulu tourner en steadycam, donner de la fluidité à l'image, éviter la camera à l’épaule comme dans du documentaire. C’est une œuvre de fiction avant tout. C'est pour cela que je voulais que le directeur photo soit steadycameur. Je suis content de mon choix, Renaat Lambeets a fait l'image que je voulais.Le tournage n'a pas été très facile, on passait sans cesse de l’intérieur à l’extérieur, et il fallait respecter la chronologie puisque l’histoire ne se passe que sur une journée. Il a donc fallu faire attention à la lumière, on était très limité dans le temps de tournage sur une journée. On faisait en général 1 ou 2 plans par jour. 
 
 
C. : L’appartement est très étroit, le tournage en intérieur tenait de l'exploit.
T.B. : Oui effectivement. Chaque déplacement était une chorégraphie que les comédiens devaient assimiler avant de tourner. Une fois le mécanisme rôdé, je leur laissais toute liberté dans le jeu; les dialogues ne devaient pas être suivis à la lettre. L’essentiel pour moi, c’est la crédibilité des personnages.
 
 
C. : J'ai beaucoup aimé le déroulement du récit, chaque événement est vécu par les différents protagonistes, et chacun fait avancer petit à petit la journée.
T.B. : Au départ, je voulais raconter un fait-divers dans sa banalité. J’ai ajouté une certaine forme au film pour rendre la banalité accessible. On suit à tour de rôle chaque personnage en essayant de comprendre ce qui s’est passé lors de cette journée, puisque la journée commence par un coup de feu qu’on entend derrière une porte. On veut comprendre ce qui s’est passé à travers cette porte.
 
 
C. : Tu as fait le casting toi-même, comment as-tu choisi tes comédiens ?
T.B. : J’ai mis près d’un an avant de trouver les 7 comédiens, dont les 3 principaux. Anne Coessens m’est apparue comme une évidence. Je l’avais vue dans un court métrage d’Olivier Masset-Depasse et elle m’intéressait car elle n’est pas très connue internationalement. Mettre quelqu’un de trop connu aurait décrédibilisé le fait authentique et le personnage. Elle a tout de suite accepté, c’est très agréable de travailler avec elle, car elle est généreuse. Pour l’ado, Morgan Marinne a cette opacité dans le visage que je recherchais. Serge Riaboukine m’a été proposé par la production française, et je l’ai choisi pour son physique, je voulais montrer quelqu’un de bien portant et de solide, mais qui est en fait très vulnérable.
 
 
C. : Le film est dans une teinte verdâtre, assez glauque.
T.B. : Oui, à l'étalonnage, on a voulu créer cette atmosphère irréelle, pour bien se détacher du documentaire et renforcer le côté fictionnel du film. Avec la volonté de mettre mal à l’aise le spectateur, dans une ambiance que je qualifierais de dérangeante plutôt que glauque. Par contre, les extérieurs sont lumineux, la forêt a ses couleurs chaleureuses d'automne, elle donne cette respiration face à l'oppression de la ville. 
 

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