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Tournage de Battle de Mohamed Ouachen

Publié le 02/11/2008 par Sarah Pialeprat / Catégorie: Tournage

Hip hip hop…

tournage de batlle

Jeudi 23 octobre. Rendez-vous est pris avec l’équipe de tournage du film Battle à 14h00 rue Emile Wauters, étrange rue, où l’on peut apercevoir trois boules de l’Atomium flotter au-dessus des toits des maisonnettes typiques. … surréaliste ! 
Le soleil est au rendez-vous : il est bien le seul. Suis-je au bon endroit ? Le nez dans la feuille de service, je vérifie les infos au moment où mon téléphone sonne. Au bout du fil, le producteur débordé de l'Atelier Alfred, Gérald Frydman m’annonce que les horaires ont été modifiés. Sa voix souriante me propose une alternative pour patienter deux heures : m’allonger quelque part pour faire bronzette ou boire un verre à sa santé. 
Installée à la terrasse du Délizia, je commande un café pendant que, coïncidence, une équipe de télévision s’installe sur le trottoir d’en face. Pendant la nuit, un cocktail molotov aurait incendié une poubelle de ce quartier plutôt tranquille... Une équipe de VTM mène l’enquête et vient interroger la patronne du café. Le héros du jour, qui a étouffé le feu, a un nom, Mohamed Ouachen qui n’est autre que celui du réalisateur tant attendu. Coïncidence, quand tu nous tiens. La journée s’annonce pleine de surprises.

tournage de Battle

Mohamed Ouachen, dit aussi KK8 (prononcez cacahouète) réalise son premier long métrage sur un monde qu’il connaît bien, celui du hip-hop : hip pour exprimer sa joie, hop pour traduire un mouvement, un saut. Justement, Mohamed, c’est l’enthousiasme fait homme, son mot préféré, « magnifique». Magnifiques donc les comédiens et l’équipe qui l’entourent et le soutiennent, magnifique d’avoir la chance de pouvoir raconter une histoire, magnifique journée… Du théâtre au cinéma, il fait le grand saut pour raconter l’histoire d’un groupe de jeunes passionnés de break dance issus des quartiers populaires de Bruxelles.

« J’ai commencé à breaker vers l’âge de dix ans, et c’est un univers que je connais bien. J’avais envie depuis longtemps de raconter une histoire comme celle de Battle, pour montrer la communauté maghrébine de Bruxelles, à laquelle j’appartiens, d’une autre façon que celle décrite par la télévision ou la presse écrite. Ce n’était pas un créneau à prendre, mais la nécessité de faire entendre notre voix, de montrer la poésie qui existe dans ce milieu-là.»
Quatre ans pour écrire le scénario entre deux pièces de théâtre, puis une rencontre décisive, celle de Gérald Frydman de l'Atelier Alfred qui décide de produire le film. «Un ami nous a mis en contact, parce que Gérald Frydman avait envie de faire une comédie musicale. Je dois dire que nos opinions divergeaient sur pas mal de sujets, mais malgré ça, on s’est très bien entendu. Gérald Frydman est un personnage à part, un véritable passionné. Je partage totalement son idée du cinéma comme un art ouvert et populaire. Je lui ai montré mon projet, et il a décidé de me soutenir.»  

tournage de Battle

Battle réunit une vingtaine de personnages dont cinq personnages principaux. Le héros de cette histoire, Mounir (Samir Hammoudi) est danseur dans un collectif. À l’approche de la trentaine, face à la réalité sociale et à l’incompréhension de sa famille, Mounir se sent contraint de faire un choix entre son rêve et la réalité. Il rencontre alors Rabia (Hélène Couvert), issue d’une famille mixte (chrétien-musulman) qui va le pousser à choisir ce que lui dicte son cœur.
«Mounir est un rêveur. Les immigrés de la première génération ont passé leur vie à construire, à travailler pour gagner leur vie. La deuxième génération, (la télévision et la société dans laquelle on vit y sont pour beaucoup), est une génération qui a grandi dans le rêve. Le rêve peut créer des situations très  compliquées, des désirs impossibles à réaliser et donc des frustrations qui entraînent la colère, la haine, l’impression que la vie ne veut pas de vous. C’est un processus très violent pour certains.»
L’équipe est « presque » au complet et prête à tourner la première scène de la journée. Un des comédiens n’a pas pu se libérer, et c’est le deuxième assistant réa, Nicolas Jacob, qui va improviser le rôle d’un voyou pour l’occasion. L’équipe l’encourage et le taquine sur son idéale barbe de trois jours pendant que derrière la P2, le chef op’, Guillaume Vandenberghe, règle le cadre.
Scène de rue. Medhi (Youri Garfinkiel) est rejoint par deux hommes pas très catholiques (Nicolas donc, et Mohamed Shark) devant une grosse 4X4 garée là comme par magie. Il faut couper la scène au moment où Youri repart et que  Mohamed introduit la clé dans la voiture : elle n’est pas à eux, ce n’est donc pas la bonne clé ! Le manque de moyen entraîne toute une série de stratagèmes : une habitude pour l’équipe. On décide de retourner la scène à deux, sans Nicolas, soulagé de retrouver son poste initial. Coupé ! Mohamed ne trouve plus les « fausses » clés. À la troisième prise, c’est dans la boîte.


Entre deux scènes, Youri déploie son énergie pour exécuter quelques figures de break dance au milieu de la rue. 1 2 3 photos. Les passants étonnés le regardent. C’est sa deuxième expérience de long métrage, mais ici, son rôle est plus important que dans Sans rancune, le dernier film d’Yves Hanchar. Il y incarne  un jeune danseur qui mène une vie parallèle et combine dans des affaires un peu louches pour pouvoir s’en sortir.

Un peu essoufflé, Youri nous décrit son personnage : «Medhi est une sorte de gentil emmerdeur. Il est un peu grande gueule, immature, pas toujours très net, mais il est touchant, parce qu’il essaie véritablement de réussir. C’est quelqu’un qui croit en lui, et qui se donne à fond dans ce qu’il fait. Je pense que ce film va vraiment apporter quelque chose au milieu de la danse, que les gens vont pouvoir s’identifier à ces personnages qui galèrent, mais qui ont la foi.»
Le réalisateur rappelle Youri pour répéter la seconde scène, résumée, dans la feuille de service, par ces quelques mots : « Mehdi cède les clés de sa BM ». La BM en question, ils l’a trouvent un peu plus loin, dans la même rue : une chance !
Philippe Geus, le directeur de production de l’Atelier Alfred sourit.
«Il faut faire avec les moyens du bord, mais tout le monde se prête au jeu. Quand j’entends que des films se font avec ce que l’on appelle des micro-budgets à savoir plus de 100.000 euros, je me demande comment on appellerait le nôtre, puisqu’on arrive à tout faire avec seulement 15.000 euros ! Et pourtant ça marche, grâce à toute l’équipe qui soutient Mohamed et qui est vraiment enthousiaste. C’est beau à voir cette énergie déployée. La plupart des comédiens travaillent en journée et viennent tourner le soir.» 

tournage de battle

Zora Bouazza, la 1ère assistante pleine d’entrain, renchérit en souriant : «Il y a ce qu’on appelle les cours du soir, nous on fait un film du soir !»
Le soir tombe justement.
Des neuf scènes initialement prévues, il ne sera possible d’en tourner que sept. Samir Hammoudi qui interprète le rôle principal  a eu un contretemps. Zora Bouazza commente :
«On dépend un peu des disponibilités de chacun, surtout lorsqu’on travaille gratuitement. C’est la règle du jeu. L’équipe réunit des comédiens professionnels, comme Hélène Couvert ou Youri Garfinkiel, mais aussi des non professionnels. Samir est danseur, il fait partie du groupe les Dynamics qui a remporté deux fois le championnat d’Europe de break dance, mais il a un job à côté, parce que ce n’est pas facile de gagner sa vie avec le hip hop, même quand on a du talent. »

Après quelques mises au point avec les comédiens, l’équipe est prête à tourner la deuxième scène. La BM est toujours là. Mohamed écoute avec attention les conseils de son chef op’ Guillaume Vandenberghe. Souriant, ouvert, il fait confiance à son équipe.
«Je suis et je reste avant tout comédien. Le théâtre est une priorité. Je suis passé derrière la caméra à cause d’un manque. Personne n’était là pour raconter cette histoire, et j’ai senti la nécessité de le faire. En même temps, je ne veux pas faire un film militant. On a tendance à mettre les gens dans des tiroirs parce que c’est rassurant, mais l’angoisse, les questions existentielles sont les mêmes pour tout le monde que l’on soit juif, musulman ou chrétien. C’est peut-être bête, mais j’ai envie de dire « tout le monde est tout le monde » de manière à ce que lorsqu’on regarde l’autre, on puisse se sentir proche de lui. Quand je vois cette équipe, des belges francophones, néerlandophones, des maghrébins, musulmans ou pas, tous réunis autour d’un même projet, je me dis que j’ai raison ! » Youri renchérit : "Et mon père est Polonais... Juif Polonais !"

tournage battle

 

La deuxième scène de 10 secondes est terminée, et l’équipe prépare la prochaine, une scène à l’intérieur d’une voiture, qui, cette fois, leur appartient…  Vincent Coen est au volant. Il interprète le rôle de Peter, le manager du groupe.
L’heure de la pause a sonné, et tout ce petit monde se retrouve au Delizia devant un plat de pâtes familial.
Encore deux jours de tournage, et le montage va pouvoir commencer.
«On doit encore tourner deux ou trois scènes de danse fin novembre, des scènes qui seront comme des inserts hors réalité. J’ai invité des rappeurs, des slameurs, des grapheurs et même une chanteuse de jazz à venir faire des performances. Ces personnages ne font pas partie de l’histoire, ils clôturent un chapitre, un acte… un peu  comme au théâtre. Mon film n’est pas un film SUR le hip hop, ce milieu artistique est simplement le contexte dans lequel mes personnages vivent, évoluent, même si, bien sûr, cela influence leur vie et vice-versa.

Battle, c’est à la fois la bataille dans les tournois de hip hop, mais c’est aussi la bataille qu'il faut mener dans la vie. » 

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