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Victoria Lack, cinéaste

Publié le 14/06/2024 par Malko Douglas Tolley, Cyril Desmet et Vinnie Ky-Maka / Catégorie: Entrevue

Un an après la diffusion de son court-métrage Instinct (2023), Victoria Lack est revenue au BSFF pour une interview exclusive avec Cinergie.be. Cette jeune réalisatrice qui ose un cinéma d’émotion revient sur le beau parcours de son film et nous révèle ses prochains projets.

Cinergie.be : Votre film de fin d’études a été retenu dans plusieurs festivals depuis l’an dernier. Avec un casting alléchant composé de Stéphanie Goemaere et Louis Sylvestrie ainsi que l’une des figures montantes du cinéma belge, Igor Van Dessel, votre film a touché de nombreux festivaliers par les émotions fortes qu’il dégage. Avant de parler d'Instinct (2023) et du propos de votre film, qui êtes-vous Victoria Lack ?

Victoria Lack : Je m'appelle Victoria Lack et je viens de Charleroi, plus précisément de Montigny-Le-Tilleul. J'ai réalisé un court-métrage l'année dernière. Il s’agit en effet de mon film de fin d’études. Je suis très contente qu'il ait été sélectionné dans plusieurs festivals et merci déjà à Cinergie pour cette interview qui est ma première véritable rencontre face caméra dans le monde du cinéma.

 

C. : Depuis quand êtes-vous intéressée par le cinéma et avez-vous décidé de réaliser des films ?

V. L. : Il y a quatre ans je n'y connaissais encore rien. J'ai commencé ensuite la HELB ici à Schaerbeek. C'est surtout, car mon frère avait fait la HELB en production et qu’il m'a poussée à faire ces études que je me suis lancée. Je ne trouvais pas ma voie, mais j'ai toujours aimé le cinéma et ces études m’ont directement énormément plu.

 

C. : Avez-vous un lien particulier avec le cinéma au sein de votre famille ou un ancrage spécifique dans ce milieu ?

V. L. : Non, pas vraiment. Mon frère a d'abord fait production à la HELB et ensuite des études de scénario à l'IADPour l’instant, il travaille surtout comme chef de file ou deuxième assistant. Mais il aimerait aussi réaliser et écrire des films. Il n'a pas travaillé avec moi sur ce projet même s'il m'a donné des petits conseils. J'espère qu'on pourra réaliser un projet ensemble dans le futur.

 

C. : Quels sont les films qui ont forgé votre amour du cinéma ? Avez-vous un intérêt pour un certain type de films ou certains réalisateurs ?

V. L. : Je regardais un peu de tout et notamment des anciennes grosses productions comme Titanic (1997), Pretty Woman (1990), Edouard aux mains d’argent (1990), Truman Show (1998) pour citer ceux qui me viennent à l’esprit. Et puis il y avait aussi ce que les parents me montraient à la maison. Ce ne sont pas de grands cinéphiles. Ma mère m’a montré la Boum 1 (1980) et 2 (1982) de Claude Pinoteau avec Sophie Marceau. J’adore. Ce sont des films que tous les parents ont vus, je crois. Vers quatorze ans, j'ai eu un gros coup de cœur pour Mommy (2014) de Xavier Dolan. J'ai regardé ce film en boucle et je me suis dit que ce serait génial si un jour j'arrivais à faire passer des émotions comme il a réussi à le faire dans son film.

 

C. :  Comment ce premier projet cinématographique s'est-il mis en place ? Aimez-vous particulièrement l'écriture dans votre démarche en tant que réalisatrice de cinéma ?

V. L. : Oui, tout à fait. J'aimerais également écrire en plus de réaliser, car l'un ne va pas sans l'autre. Au départ, je ne pensais pas avoir le courage de le faire. Je me comparais beaucoup et c'était très compliqué pour moi au niveau de la confiance. Mais je voyais bien qu'ailleurs que dans le cinéma, je n'étais pas à ma place. Quitte à me lancer, je me suis lancée dans ce que je voulais vraiment faire. J'ai donc écrit un dossier et le projet était lancé. De fil en aiguille ce projet est né et je me suis dit qu'il fallait donc le tourner.

 

C. : Comment a germé l'idée d'Instinct (2023) dans votre esprit ? Quelle est l'idée maîtresse du film ?

V. L. : L'idée du film est née de questionnements sur les relations. Qu'est-ce qu'on s'impose dans la vie ? Comment fait-on face à la routine ? Comment réagissons-nous lorsque quelqu'un entre dans notre vie et la bouscule ? Peu importe la personne et ce qu'elle nous apporte, nous fait-elle du bien mentalement dans notre vie ou non ? C'est de ce type d'interrogations que l'idée du film est née. Si je devais pitcher le film, je dirais qu’il s’agit de l'histoire de Marion, interprétée par Stéphanie Goemaere. Son compagnon, Louis Sylvestrie, travaille dans un centre pour adolescents en difficulté. À la suite d'une bagarre, un jeune qui s'appelle Matthis, Igor Van Dessel, vient habiter chez eux pendant une semaine.

 

C. : Comment avez-vous contacté vos comédiens et convaincu de participer à ce premier film Igor Van Dessel, qui a déjà gagné un Magritte l'an dernier ? Et il s’agit d’un casting confirmé avec des comédiens qui ont beaucoup d’expérience. On note également des petits rôles sympas comme celui dévolu à Bénédicte Phillipon.  

V.L. : J'ai été épaulé par Sebastiàn Moradiellos, un directeur de casting. À propos de ma première rencontre avec Igor Van Dessel, il y a une anecdote amusante. Je faisais un stage chez Sebastiàn et Igor a débarqué pour faire une self-tape. Il s'est passé un truc quand je l’ai vu. Il est reparti et je l'ai rattrapé en courant dans le couloir pour lui demander si ça le tentait de passer un casting pour mon projet de fin d’études. Il a accepté et c’était top. Ensuite il y a eu Stéphanie Goemaere qui est entrée dans le projet. On avait fait le casting de plusieurs personnes pour le rôle, mais quand elle est entrée dans la pièce, il s'est passé un truc. Je sentais qu'elle avait cette vibe jeune même si elle avait 36 ans au moment du casting. On avait l'impression d'être sur le même terrain et je me suis dit que ça marcherait avec Igor. Lorsqu'ils se sont rencontrés, ça a été instantané. Avec Louis Sylvestrie, c'était un peu pareil. Les trois réunis formaient une petite famille. Même sur le tournage, il y avait un truc spécial entre eux. Je trouve qu'on a retrouvé beaucoup de leur entente sur le plateau dans le film. Il n'y avait pas tellement de différence entre la réalité et le tournage finalement. C'était vraiment très drôle de les observer. Il y a également quelques petits rôles dans le film, notamment Bénédicte Philippon. Je ne la connaissais pas du théâtre, mais de la télévision. C'est un visage que l'on connaît bien en Wallonie.

 

C. : J'ai interviewé Igor Van Dessel il y a peu au BIFFF et il m'a également parlé de cette rencontre avec vous lors de son passage chez Sebastiàn Moradiellos. C'est vraiment un comédien qui dégage une très chouette aura. Combien de temps et quel budget furent nécessaires pour réaliser Instinct (2023) ?

V.L. : L'école donne environ 10.000 euros et la Sabam a également donné une bourse en plus. Au total ça devait faire quelque chose comme 12.600 euros pour réaliser le film. On a des contraintes et on est obligé de réaliser le film en huit jours. C'est pour ça qu'on écrit le scénario de manière à pouvoir le réaliser durant ce laps de temps. On a tourné dans une maison à Marbaix, dans un internat et aussi dans le bureau du beau-père d’un membre de l'équipe

 

C. : Quelles sont les émotions que vous vouliez transmettre et les thèmes abordés dans ce film?

V. L. : On y parle des regrets. Enfin, non. Je recommence. On parle plutôt de solitude, des "qu'est-ce qu'on fait" et des "et si j’avais", "si on le tente, qu'est-ce qui se passe ?", mais "si on ne le tente pas, qu'est-ce qui se passe aussi ?" On aborde le fait que quelqu'un puisse mettre du peps dans la vie de quelqu'un d'autre. On parle également de la retenue dans les relations.

 

C. : Comment avez-vous fait pour faire passer les émotions de vos personnages à l'écran de manière si sincère et sans filtres. Quelles sont les techniques ou l'approche que vous avez adoptées afin de faire transparaître si bien les ressentis et non-dits des protagonistes de l’histoire ?

V. L. : Il y a eu beaucoup de travail en amont du tournage. Durant celui-ci, sur le plateau, on a beaucoup parlé avec le chef opérateur et la cadreuse afin de voir comment mettre en image toutes ces émotions, notamment par le choix de caméra. On s'est demandé à quel moment les comédiens doivent être proches ou à quel moment ils sont de dos ou ils n'osent pas trop se dire les choses par exemple. Il y a eu aussi la contribution de Stéphanie, Igor et Louis qui ont voulu vraiment donner le meilleur d'eux-mêmes au profit du film. Ils savaient que c'était ma première réalisation et ils ont vraiment été là pour moi. C'est l’ensemble de ces choses qui a fait que ça donne ce résultat.

 

C. : Il s'agit de votre film de fin d'études et il a rencontré un beau succès en festival. Comment cette aventure dans les festivals a-t-elle débuté ?

V. L. : Mon premier festival avec Instinct était le Brussels Short Film Festival (BSFF). C'était super. J'espère que j'aurai encore l'occasion de réaliser un autre court-métrage et le projeter dans ce festival. J’aime beaucoup la rencontre avec le public. C’est vraiment quand on diffuse le film en festival que l'on réalise si ça plaît ou non. On se rend compte si le public est touché. On voit également si certaines personnes sont dérangées ou non par le propos tenu dans le film. C'est incroyable lorsque quelqu'un vous dit qu'il a adoré votre film. Après le BSFF, le film a continué à avoir des sélections. On a fait Off-Courts et Le Court en dit long en France. Il y a aussi eu le P’tits beurres festival en mars 2024. On y a remporté le prix de la meilleure comédienne pour Stéphanie ainsi que celui du meilleur court-métrage et le prix du public. Au BSFF, Igor avait eu le prix du meilleur comédien partagé pour son interprétation dans mon film et sa performance dans Un bon garçon (2023), de Paul Vincent de Lestrade. J’ai également eu une projection au Love Mons Festival.

 

C. : Que vous ont apporté ces sélections et ces prix en festival ?

V. L. : De la confiance et du crédit. C’est une validation que je peux continuer dans cette voie. Au niveau professionnel, je n'ai pas conscience de l'impact que cela peut avoir pour moi. J'aimerais qu'on retienne de mon cinéma qu'il s'agit d'un cinéma d'émotions où l'on va loin dans ce que les personnages ressentent.

 

C. : Quels sont vos projets pour la suite ?

V. L. : Dans l'immédiat, j'ai recommencé des études en écriture de scénario à l'IAD. Je voulais être bien encadrée pour la suite à ce niveau. Là j'ai déjà recommencé à travailler sur un nouveau court-métrage qui j'espère verra le jour l’an prochain. En deuxième année, on va travailler également sur un long métrage. Mon souhait actuel serait donc de sortir d'ici un an avec un court et un long sous le bras.

 

C. : Peut-on en savoir plus sur les thématiques de ces deux projets à venir ?

V. L. : Pour le court-métrage, j'aimerais parler de rupture amoureuse, des regrets et de ce qui provoque une séparation. Pour le long métrage, ce serait un biopic sur une chanteuse connue.

 

C. : Vous êtes encore jeune et vous avez intégré le microcosme du cinéma belge il y a peu de temps. Le cinéma belge, malgré sa mise en avant depuis plusieurs années, reste parfois encore trop confidentiel et peu accessible aux jeunes générations. Connaissiez-vous un peu le cinéma belge avant d'intégrer le milieu et avez-vous découvert des choses intéressantes au cours de l’année écoulée ?

V. L. : Ma vision du cinéma belge a forcément évolué depuis que je suis dans le milieu. Notamment par les rencontres que j'ai faites dans des festivals comme le BSFF où l'on rencontre beaucoup de gens lors des projections. Par exemple, Basile Vuillemin avec son film Les Silencieux (2023) qui a remporté le Magritte du meilleur court-métrage m’a fort surpris avec son film. Il y en a d’autres comme Salomé Cricks avec Se dit d’un cerf qui quitte son bois (2023) qui m’a également fort marquée. Quand on découvre des courts-métrages belges, il y a plein de choses auxquelles on ne s'attend pas. En tant que réalisatrice, on s’interroge également sur ce que nous allons apporter à ce cinéma et les thématiques que l’on peut aborder. Il y a plein de films qui sont nécessaires.

 

C. : Quel est votre ressenti actuel sur la place qui est faite aux femmes dans le cinéma ? Cela vous semble-t-il plus dur en tant que femme d’accéder au cinéma et à la réalisation ?

V. L. : Parfois, j’ai senti de petites différences entre les hommes et les femmes, mais je pense plutôt qu’il s’agit d’une question de personnalité. Je n’ai jamais senti une différence entre le traitement des hommes et des femmes en festival jusqu’ici. Pour le moment, je ne pense pas que ce soit plus dur d’accéder au cinéma en étant une jeune fille. J’ai l’impression que c’est bien accepté. Je me sens bien dans le milieu. Je n’ai pas envie de me dire qu’il y a une limite qui m’est imposée en tant que fille. Je pense que j’ai de la chance, car avant il y avait moins de femmes dans le cinéma et du coup on a plein de choses à dire. C’est chouette de pouvoir apporter d’autres points de vue que ceux qu’on a toujours vus à l’écran. Nous sommes dans une période où les choses sont beaucoup plus égalitaires, ou du moins, elles tendent à l’être. Il fallait que ça évolue comme ça et c’est une bonne chose.

 

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