Originaire de Braine-l'Alleud et ayant vécu toute sa vie à Louvain-la-Neuve, mais désormais bruxellois, récompensé du Magritte du Meilleur second rôle masculin pour l’interprétation de Charlie dans Close de Lukas Dhont, Igor Van Dessel est l’un des nouveaux visages de la scène cinématographique belge. Que ce soit dans le percutant court-métrage Un bon Garçon (2022), gagnant du Grand Prix du jury au Love Mons Festival ou dans Instinct (2022) de Victoria Lack, ce jeune comédien simple et spontané crève l’écran à chacune de ses apparitions. Cinergie.be l’a rencontré au BIFFF 2024 où il faisait partie des trois membres du jury Emerging Raven décerné au thriller coréen Sleep (2024) de Jason Yu.
Igor Van Dessel, comédien
Cinergie.be : Votre parcours est fascinant. À seulement 21 ans, vous avez déjà accumulé près d'une décennie d'expérience. Pourriez-vous nous raconter comment votre carrière a commencé ?
Igor Van Dessel : Mon premier projet, c’était Pinocchio (2012) de Enzo Dalo. J’avais huit ans. Ils avaient appelé mon frère Isaac pour faire des essais, ce qui est assez rare en doublage. Le réalisateur était venu jusqu’en Belgique pour trouver les voix françaises. Il s’agissait d’un film italien. Mon frère m’a dit qu’ils cherchaient d’autres enfants et vu qu’ils avaient besoin de plusieurs voix de garçon, ça s’est fait simplement et ça m’a emballé. Du coup, j’ai participé à ce casting et j’ai obtenu le rôle de Pinocchio.
C. : Comment est née cette passion du cinéma ? Est-ce vraiment un hasard ou aviez-vous déjà l’envie d’intégrer le milieu ?
I.V.D. : Au départ, je voulais être doubleur professionnel. Mon référent à l’époque était Roger Carel (Astérix). Je voulais faire du doublage comme lui. Je lui avais même écrit une lettre et il m’avait répondu quand j’avais 8 ans, c’était assez drôle. Mon père m’a pas mal aidé quand je devais me rendre à Bruxelles ou à Paris. Dès que j’ai fait mon premier court-métrage, je savais que je voulais faire ce métier.
C. : Quel était ce premier court-métrage qui a ouvert votre vocation de comédien ?
I.V.D. : C'était Temps mort (2013), de Maxime Bultot. C’était un projet de l’INSAS et je devais avoir 10 ans. C’était une annonce sur Cinergie. Mon père avait répondu à l’annonce et on était venu à Bruxelles pour faire des essais. Je devais jouer un mort. C’était assez marrant pour une première expérience. Un autre film que j’ai fait juste après et dont je me souviens bien, car il m’a beaucoup marqué, c’est Paul et Virginie (2014), de Paul Cartron. Le film avait bien fonctionné en festival à sa sortie il y a dix ans. C’est un film magnifique.
C. : Votre carrière a débuté vraiment jeune. Votre famille a-t-elle une connexion avec le monde du cinéma ?
I.V.D. : Non, pas du tout. C'est mon frère qui a commencé à faire du doublage un peu par hasard également via une comédie musicale réalisée dans le Brabant wallon.
C. : Quel est le projet que vous considérez comme votre vrai premier projet en tant que professionnel au cinéma ?
I.V.D. : C’est compliqué à dire, car il s’agit d’un procédé qui est graduel. On passe de court-métrage à court-métrage professionnel. De long-métrage à premier rôle dans un long-métrage. Mon premier court-métrage que je retiens c’est Paul et Virginie (2014), mais sinon comme court-métrage pro, je dirais Plein Soleil (2014), de Frédéric Castadot.
Mon premier long-métrage, c’est Le Voyage de Fanny (2016), de Lola Doillon. J'ai tourné avec Fantine Harduin qui est également dans un jury au BIFFF d’ailleurs. C’était un gros bazar. On était une dizaine de gosses de tous les âges. Passer d’un court-métrage à une grosse machine comme celle-là, c’était marquant. J’avais douze ans à ce moment-là.
C. : Comment avez-vous géré les études et le cinéma dès ce jeune âge ?
I.V.D. : Avec le recul, c’était assez spécial. Par exemple, c'est toujours quand je devais partir pour un tournage que j’avais les meilleures notes. J’étais dans un mood productif. En revanche, dès que je revenais, c’était plus compliqué. Quand on est sur le plateau, tu as 40 personnes autour de toi et tu travailles à faire quelque chose de bien. Dès que je revenais et que je retournais en classe, c’était parfois compliqué. Fais ceci, fais cela. La motivation revenait difficilement. Ma mère a dû aller voir la ministre de la Culture parce que j'étais trop absent et je ne pouvais pas passer mes examens. J'étais devenu un élève libre. C'était un peu compliqué, mais on s’est arrangé avec les directeurs et directrices d’écoles et ça ne s’est pas trop mal passé pour finir.
C. : Et après Le Voyage de Fanny?
I.V.D. : La plupart de mes projets sont franco-belges. Il y a par exemple Le Rire de ma mère (2016), de Pascal Ralite et Colombe Savignat qui n’a malheureusement pas fait beaucoup d’entrées, mais il ne s’agissait pas non plus d’une énorme production, loin de là. C’est un film avec Suzanne Clément et Sabrina Seyvecou. C’était la première fois que j’avais le premier rôle sur un long-métrage. Ce fut une merveilleuse aventure. Ensuite, il y a eu L’Échange des princesses (2017), de Marc Dugain qui s’est tourné dans des châteaux quasi exclusivement en Belgique. J’ai eu la chance de pouvoir jouer un roi de France et de faire Louis XV. Je peux également citer Des feux dans la nuit (2020), de Dominique Lienhard. Il s’agit d’un film qui a été tourné en Corse. Ce fut vraiment un tournage incroyable. Le scénario est magnifique et il a également été réalisé avec très peu de moyens. C’est un film que j’aime beaucoup également.
C. : Il y a également eu ensuite la pandémie, mais également le Magritte du meilleur second rôle masculin pour Close (2022), de Lukas Dhont. Qu’en est-il de votre carrière à l’heure actuelle ?
I.V.D. : C’est un métier où parfois tous les projets s’enchaînent et ensuite pendant plusieurs mois, voire des années, il n’y a pas de projets importants. Dans l’instant T, je suis ici au BIFFF et je ne travaille pas. Le mois prochain, je me rends en Corse pour un court-métrage. C’est difficile à expliquer. Je fais ça depuis mes dix ans et donc ça va, j’arrive à en vivre. Mais c’est difficile à calculer. C’est hyper aléatoire. Pour l’instant, ça va. Mais il y a eu des périodes où cela fut plus compliqué et je sais que ça arrivera encore. Mais ce ne sera pas pour autant une période de crise de carrière. C’est quelque chose qui fait partie du job.
C. : Vous avez débuté en tant que doubleur. Envisagez-vous d’autres axes que celui de comédien dans le cinéma à ce stade ou pas du tout ?
I.V.D. : Non, pour l’instant, je me concentre à fond sur ma carrière de comédien. Sur le côté, je veux faire d’autres choses et avoir une vie plus concrète également, car je pense que ça pourra m’aider pour ma carrière de comédien.
C. : Au Love Festival de Mons, on a pu voir deux films dans lesquels vous jouez. Instinct (2023) et Un Bon garçon (2023), gagnant du Grand Prix du Court-Métrage du festival de Mons. Peut-on parler plus spécifiquement de ces deux projets ?
I.V.D. : Instinct est un film de Victoria Lack. Il s’agit d’un film de fin d’études de la HELB. Pour la petite histoire, j’avais rencontré Victoria chez Sebastian Moradiellos (voir interview de Sebastian Moradiellos), qui est un directeur de casting à Bruxelles. Elle était en stage là-bas et elle en a profité pour me parler de son projet. On s'est revu et ça a bien fonctionné. C’est l’histoire d’un couple qui est dérangé dans son quotidien par l'arrivée d'un jeune sans famille dans une situation sociale compliquée. Il vient des centres pour jeunes et il est reçu par son éducateur. Le jeune arrive pendant quelques jours dans cette maison et il va perturber la vie tranquille et paisible de ce couple. Il ne faut pas en dire plus. Je ne pense pas qu’il y ait beaucoup de projets étudiants de la HELB qui ont fonctionné comme celui-là. Il a reçu quelques prix comme celui au P’tits beurres festival en France et d’autres mentions et sélections, je crois. Il a vraiment fait un beau parcours.
Ensuite il y a également Un bon garçon de Paul Vincent de Lestrade. Avec le temps et les années, j’ai appris que je ne dois pas avoir peur de travailler à fond et y aller en gardant la confiance que j’ai en moi. Pour ce film, je n’avais pas du tout le corps de nageur professionnel et j’ai dû travailler avec un coach perso pendant deux mois pour l’obtenir. C’était intensif. Pas un gramme de sucre, 3 litres d’eau, deux heures de sport. C’était à l’américaine. Ça m’a mis dans le corps et dans le rôle du personnage. J’ai adoré faire ce film. Quand je regarde le film, on ne voit pas grand-chose, car souvent la caméra est dans mon dos, mais c’est jouissif pour moi. J’ai travaillé pour et je crois que c’est plus tangible, on y croit. Je me suis lâché et je ne voulais pas juste être neutre et gentil. C’était un plaisir incroyable de faire ce film. Le réalisateur est vraiment génial. Il m’a fort impressionné. Il travaille comme un fou. Il donne énormément de nourriture avec laquelle les comédiens peuvent se nourrir. Paul Vincent de Lestrade est vraiment très fort. C’est vraiment un kif que ce film ait fait un parcours incroyable en festival et il y a peu d’endroits où il n’a pas reçu de prix.
C. : Quel est votre rapport aux festivals de cinéma ? Est-ce une étape importante pour vous dans le parcours d’un film ? Comment s’est d’être jury ici au BIFFF à Bruxelles ?
I.V.D. : J’ai fait quelques festivals au début de ma carrière il y a 8 ans comme le FIFF par exemple. J’y allais vraiment juste pour présenter le film et je n’avais pas vraiment l’âge pour m’y intéresser. Je pense que j’ai reçu une éducation de mon père qui fait que je suis discret. On va voir le film et on discute un peu avant si on nous le demande, mais ça se limite à ça. Ça ne fait pas longtemps que je fais des festivals et que je m’y intéresse vraiment. Ça a débuté l’an dernier au BSFF. C’était une belle année, car Instinct et Un bon garçon y étaient diffusés et le deuxième a gagné le prix de la Fédération Wallonie-Bruxelles. J’ai personnellement gagné un prix pour chacun des projets et c’est arrivé un mois après avoir gagné le Magritte également. Maintenant quand je vais en festival, je tente vraiment de voir beaucoup de films. C’est super sympa et il y a une ambiance que j’apprécie également, même si parfois, c’est quand même un peu spécial. C’est juste un kif de voir de bons films que l’on retrouve difficilement sur grand écran dans le circuit classique.
C. : Par rapport au BIFFF qui est l’un des festivals de genre majeur au monde, quelles sont vos affects pour le genre horrifique, la science-fiction et le thriller ?
I.V.D. : C'est un style cinématographique pour lequel je ne suis pas un grand connaisseur. J'ai longtemps adoré le cinéma d’horreur plus jeune et ensuite je l’étais moins pendant un moment. C’est avec un pote qui est fan que je m’y suis remis un peu. C’est une première pour moi. Je viens ici aussi en apportant un œil pas trop pointu ni perfectionniste dans le genre pour donner un premier ressenti très frais. Je suis assez content de ce que j’ai vu jusqu’à présent en tout cas.
C. : Comment gérez-vous cette célébrité au niveau belge et le fait d’avoir un parcours professionnel sans avoir fait d’études dans le milieu ? Beaucoup vous considèrent dans le milieu comme un des nouveaux visages prometteurs du cinéma belge. Avez-vous des conseils pour les jeunes qui se lancent dans l’aventure comme vous l’avez fait?
I.V.D. : Je ne me rendais pas compte qu’il y avait une ligue des nouveaux comédiens belges (rires). Mais c’est vrai qu’il y a des gens qu’on retrouve souvent en festival ou sur des projets comme Mara Taquin ou N’Landu Lubansu, mais je n’ai pas la prétention de connaître tout le monde dans le cinéma belge ni de représenter le renouveau du cinéma belge. Je pense qu’il faut faire un maximum de projets et qu’il faut prendre tout ce qu’il y a à prendre à mon stade. C’est Alexis Michalik qui m’a donné ce conseil il y a quelques mois. Il m’a dit qu’il faut essayer de faire le maximum de projets pour avoir de l’expérience et même des choses comme des ateliers de jeu par exemple. Mais j’ai du mal à prodiguer des conseils et dire quelque chose à ce propos, car moi-même je n’ai pas vraiment d’expérience. J’ai de l’expérience sur les plateaux, mais je n’ai pas de base de jeu. Donc je suis toujours à marcher un peu sur des œufs. Il ne faut pas avoir peur et avoir confiance en soi. Quand on parle de la confiance en soi, c’est celle qu’il faut quand on tourne et quand on joue. Si c’est toi qui es là et qui joue, il n’y a que toi qui peux le faire. Il faut cette détermination et ensuite on voit ce qu’il faut améliorer quand c’est fait. Il faut se dire surtout que tout est là. J’ai des amis, mon frère également, qui ont fait des études et qui ont passé des années à apprendre, mais parfois tout est là et les interprétations sont naturelles, car on ne joue pas un rôle. Il ne faut pas tomber dans ce piège de croire qu’on doit faire un truc de fou quand on joue, car c’est là qu’on tombe dans quelque chose de pas naturel. Quand on est le plus réel, c’est là qu’on est le plus fort. Quand je vois mes anciens projets, je pense que je manquais un peu de naturel parfois.
C. : Quelles sont vos références cinématographiques ?
I.V.D. : Ma référence du plus grand film de tous les temps, c'est Il était une fois en Amérique (1984), de Sergio Léone. C’est un des plus gros réalisateurs, enfin pour moi, c’est un chef d’œuvre absolu. Mon film préféré, c’est Au revoir les enfants (1987), de Louis Malle. C’est un tout autre genre. Un réalisateur que je surkiffe, c’est Quentin Tarantino. Il y a également Martin Scorcese évidemment. Les Al Pacino et De Niro, j’adore. Daniel Day-Lewis est pour moi la référence de l’acteur ultime. Le mec se transforme à chaque film et pour chaque rôle. Le mec a un accent en fonction de l’époque, du lieu et du milieu social où il se trouve dans chaque film. C’est un fou furieux. C’est pour moi un monstre inégalable de cinéma et de jeu. Il y a également Christopher Waltz que j’adore.
C. : Quelle est votre actualité et vos projets en cours ?
I.V.D. : Il y a le projet en Corse, mais je ne sais pas en dire beaucoup plus à ce stade. Sinon aujourd’hui je me prépare pour la chanson devant le public du BIFFF!
Liens :
https://www.bifff.net/fr/jury-emerging-raven/
https://www.instagram.com/igorvandesseloficial/
Paul & Virginie de Paul Cartron (accès libre) : https://vimeo.com/99128451#_=_
Plein Soleil de Fred Castadot (trailer): https://originefilms.fr/cinema/distribution/catalogue/article/blazing-sun
Le rire de ma mère (2016) : https://www.youtube.com/watch?v=VvxmzGhp6u0
L’échange des princesses (2017) : https://www.youtube.com/watch?v=Y0a9K5YA99U