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Yvan Le Moine, le Nain rouge

Publié le 01/10/1998 par Marceau Verhaeghe / Catégorie: Entrevue

Sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs, le co-réalisateur des Sept péchés capitaux arpentera la croisette pendant le 51ème Festival International de Cannes. Il y présentera le Nain rouge, un long métrage qu'il a tourné dans notre pays pendant l'été 1997. Inspiré d'un récit de Michel Tournier (que vous pouvez lire dans Le Vent Paraclet), le film conte l'histoire de Lucien Lhotte, un nain que sa taille handicape et qui découvre le pouvoir et la sexualité grâce à Paola Bandoni, une cantatrice interprétée par la voluptueuse Anita Ekberg. "Après avoir exploré le monde des adultes et usé de leurs armes pour conquérir le pouvoir, nous confie Yvan Lemoine, Lucien décide d'être lui-même et comme c'est un petit homme il choisit d'être le prince des enfants."

Yvan Le Moine, le Nain rouge

Cinergie : Vous êtes devenu réalisateur passé la trentaine après avoir exercé de nombreux petits métiers. C'est une vocation tardive ou vous avez toujours voulu en arriver là ?
Yvan Le Moine : Je pense que tous ceux qui exercent ce métier en rêvaient déjà à quinze ans, même si 90% d'entre eux n'avaient pas la moindre idée de comment ils allaient y arriver. Le fait que j'aie réalisé ce rêve tardivement n'a en soi rien de bizarre. Au contraire, je pense qu'il faut une certaine expérience pour pouvoir mettre la vie en scène, et que se lancer trop jeune, c'est courir au casse-pipe. En Hongrie, on n'admettait pas dans les écoles de cinéma des gens de moins de trente ans qui n'avaient pas un peu roulé leur bosse. C'était une saine politique.

 

C. : Pourquoi ce thème du Nain Rouge, vous qui n'êtes ni spécialement petit, ni difforme ?
Y.L. : J'y tenais beaucoup. Pour s'accrocher à une histoire pendant plus de cinq ans, en franchissant tous les obstacles qui se mettent sur votre route lorsque vous réalisez votre premier long métrage, il faut qu'elle vous ronge. Ce que je voulais, c'était aller à la rencontre du petit homme que nous portons tous en nous, cette part blessée de nous même qui refuse de grandir, de prendre sa place dans le monde. Et le prix à payer pour le faire.

 

C. : Une histoire que vous avez parsemée de personnages singuliers : le nain, la cantatrice, la petite fille, Bob le gigolo... Comment s'organise un casting dans ses conditions ?
Y.L. : On peut travailler avec un comédien pour des contraintes de production, mais finalement, on le choisit pour une seule raison: c'est qu'il EST le rôle. Jean-Yves Thual s'est imposé comme une évidence. Je n'ai pas songé d'emblée à Anita Ekberg mais lorsqu'on le lui a demandé, elle a accepté sans hésiter et s'est fondue dans le personnage avec une aisance parfaite. Je vous assure que rien n'a été réécrit pour elle. Pour Dyna Gauzy (la petite Isis), le choix était plus difficile. Je voulais un archétype : la petite fille de toutes les petites filles, mélange d'audace et d'innocence. Et nous l'avons trouvé chez elle au naturel.

 

C. : Ce personnage, qui constitue un élément de rédemption, est un point d'équilibre essentiel au récit ?
Y.L. : C'est l'amour que le nain éprouve pour elle, son innocence, qui est rédempteur. Je dirais plutôt qu'elle l'aide à s'assumer. J'ai très fort développé ce personnage par rapport à la nouvelle de Tournier parce que je voulais comme un reflet en creux pour contrebalancer le côté horrifiant du nain sanguinaire. Mais un danger qui m'a terrifié, surtout dans ce pays à cette époque, c'est qu'on puisse voir dans la relation qui les unit un quelconque élément de pédophilie. J'ai été très attentif à éliminer tout ce qui pouvait suggérer cela. Je montre la contamination du vice par la grâce, cela n'a rien à voir.

 

C. : Votre film semble dégager un parfum de nostalgie, par l'emploi du noir et blanc, le côté hétéroclite des décors...
Y.L. : Le noir et blanc c'est un choix essentiellement esthétique. L'emploi de la couleur est très délicat et trop galvaudé à mon goût. Les décors sont le résultat d'une implication maniaque de Philippe Graff. Je voulais donner au film un côté intemporel pour que l'histoire n'ait ni lieu, ni temps. Je voulais aussi plusieurs lieux d'atmosphère : le bureau, la villa, le cirque. J'étais enfin intéressé à montrer le monde à travers les yeux d'un petit homme qui grandit. D'où le passage de la plongée à la contre-plongée au fur et à mesure que le film avance.

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