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Zeria de Harry Cleven

Publié le 19/01/2022 par Kevin Giraud / Catégorie: Critique

L’impression d’être englouti, avalé par un univers déstabilisant, où les échelles d'espace et de temps n'ont désormais de sens que celui que ce récit impressionnant voudra leur donner.
Telle est la sensation qui frappe aux premiers instants de
Zeria, premier long-métrage d’animation de Harry Cleven. Un changement de médium pour cet acteur, scénariste et réalisateur belge en activité depuis plus de trente ans, qu’il réussit de manière époustouflante.

Zeria de Harry Cleven

Noyés dans une atmosphère laiteuse, tournoyant comme un bouillon primordial, nous pénétrons dans un autre monde par l’image et par le son. Un espace fait de matières et de bruits, de mélopées lancinantes et de plans dantesques. Deux destinées s’y rejoignent. Celle de Zeria, le premier homme né sur Mars ; celle de Gaspard, son grand-père, dernier homme vivant sur Terre. Au crépuscule de son existence, le second relate sa vie au premier, dans l’espoir d’une ultime rencontre. D’un retour à la Terre.

Une planète-mère en déliquescence, dont les lieux ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes, et où se côtoient les fantômes du passé de Gaspard. Contraste avec l’espace dans lequel voyage Zeria avec ses semblables, survivants de l’exode martien en route pour redécouvrir le berceau de leur humanité. Jouant des dimensions et des proportions, le réalisateur et son équipe donnent corps à une ville spectrale, matrice d’interprétation du parcours du protagoniste, passant de l’enfance à l’âge adulte en dépit d’une existence criblée de traumatismes. Alors que l’état mental de Gaspard se dégrade et que s’écrivent dans son corps les affres de l’existence, la ville pourrit et se dépeuple, métaphore d’une fin du monde lente mais inéluctable, Sodome des temps modernes.

Pour nous emporter dans ce tourbillon, nous n’avons que la voix de Gaspard qui nous accompagne, régurgitant ces morceaux poisseux de vie qu’il nous force à ranimer avec lui. De ces douleurs et traumatismes d’enfance qui forgent une existence gorgée de non-dits, et que seul le trépas imminent fait ressurgir. Les êtres qu’il rencontre ne sont d’ailleurs que des ombres, sans capacité de s’exprimer autrement que par des sons déformés, inhumains. “Toute ma vie, j’ai eu peur”, raconte l’homme, alors que s'enchaînent les séquences aussi terrifiantes que brillamment réalisées, accompagnées par le travail sonore d’un orfèvre macabre.

La technique d’animation et de cadrage utilisée brouille les lignes entre stop-motion et film de marionnettes, se rapprochant du second tout en ayant la puissance évocatrice du premier. La matière, que l’on avait découverte comme primordiale dans les séquences “martiennes”, devient ici encore plus tactile par les textures choisies, par les matériaux utilisés. Ces marionnettes véhiculent par leur être toute la détresse des personnages et les tourments qui les habitent, autant dans leur statisme que dans les passages pétris de mouvements. Une œuvre magnifique, empreinte de gigantisme comme d’intimité, qui laisse pantois.

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