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De leur vivant de Géraldine Doignon

Publié le 10/10/2011 par Anne Feuillère / Catégorie: Critique

Ces lieux qui nous habitent…

Géraldine Doignon qui a déjà réalisé trois courts métrages, s’attaque bientôt à un quatrième tout en préparant un projet de long, Un homme à la mer. De leur vivant, que l’on découvrait à Namur dans la compétition Emile Cantillon, procède ainsi d’un désir urgent de cinéma, l’envie de tourner, de s’attaquer à la matière entre plusieurs projets. Réalisé dans un esprit léger et une économie low budget, produit par Hélicotronc, ce premier long métrage a certainement les défauts de ces contraintes logistiques et économiques, mais il a d’autres qualités, plus profondes.

Si la famille, ses limites et ses situations de conflit, est la thématique que Doignon explore dans la plupart de ses films, De leur vivant s’amorce sur une situation devenue presque un genre du cinéma, et Christian Crahay dans De leur vivant, un film de Géraldine Doignonparticulièrement français, le film familial noué sur le deuil de l’un de ses membres. Pas facile de s’y coller donc. Mais la jeune réalisatrice s’en sort vraiment bien, malgré quelques franches faiblesses, notamment de ses comédiens, pas toujours au summum de leurs talents (exception faite de Christian Crahay et surtout de Yoann Blanc qui impressionne), et celles de son scénario pas toujours très équilibré, qui avance parfois à coup de rebondissement un peu artificielsÀ la mort de leur mère, deux frères et une sœur se retrouvent auprès de leur père, dans la maison de leurs parents. Ce père, que la douleur du deuil rend mutique, ne parle plus qu’au répondeur muet de sa femme et à une étrangère enceinte qui va débarquer là, de nulle part. La maison en question est en effet un hôtel au cœur de la campagne que le couple a tenu de longues années. Alors que deux des enfants restent quelques jours après l’enterrement aux côtés de leur père pour tenter de le convaincre de vendre l’hôtel, De leur vivant met en place les tensions et les situations qui vont permettre à la parole de se renouer, au deuil de se faire, aux vies malheureuses de s’avouer, et de chercher leur nouveau chemin. Et la parole, qu’elle permette le conflit ou la réconciliation, a toujours lieu par l’intermédiaire des étrangers ou des pièces rapportés qui font exploser les situations et les ré-aiguillent. Mais ces péripéties sonnent parfois un peu faux (comme cette séquence de bataille entre le frère et le beau-frère). Sans doute parce que les contraintes de légèreté imposent au film une sorte d’économie d’action qui doit aller à l’essentiel. Sans doute aussi parce que De leur vivant prend le parti du silence et se refuse par là même au cinéma psychologique bourré de monologues et autres règlements de compte familiaux (… à la française, encore une fois). Il en vient alors à lorgner peu à peu du côté de ces maisons hantées très bergmaniennes où le tic tac des horloges fait résonner les anciennes vies de l’enfance que la vie d’adulte recouvre de masques mortuaires.
De leur vivant se développe entièrement dans ce lieu magnifiquement filmé (par Manu Dacosse), espace réel de tous les cheminements intérieurs, que la photographie et les couleurs douces, chaudes, naturelles, magnifient au gré des émotions. C’est dans cet hôtel un peu suranné, aux décors très fin de siècle, que s’amorce la présence de l’absente, fantomatique, aperçue plus nostalgiquement encore à travers des films super 8 retrouvés au grenier. Cet espace clos, en dehors du monde, est chargé d’épaisseurs et de mémoires, celles des lieux de l’enfance, dans les détails d’un décor très féminin, dans les souvenirs qui se racontent, dans ce petit film de famille qui vient à plusieurs reprises recoudre la mémoire, ou encore dans la découverte d’un vieux papier De leur vivant de Géraldine Doignonpeint…

Les personnages évoluent sur des profondeurs de champ souvent floues que les lumières traversent et irradient. La caméra, proche et jetée dans leurs mouvements, les saisit sur ce décor doux, comme fondu en eux. Dehors, le paysage extérieur est tantôt saisit dans les mouvements des corps qui le traversent, tantôt s’immobilise, par exemple, aux détails d’une branche dans un très beau plan fixe. Ces allers et retours, les croisements, les chuchotements et les bousculades, construisent doucement la géographie d’un univers à la fois proche et lointain, un lieu qui peu à peu vient faire monde. Alors, au-delà de ses faiblesses principalement narratives, De leur vivant séduit surtout en ce qu’il réussit à filmer, la façon dont chacun de ses personnages se découvre profondément enraciné dans ce lieu qui fait lien et grâce auquel l’enfance persiste à transpirer en chacun d’entre eux, qu’elle sauve, sans doute, d’eux-mêmes.

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