Surprenant et intriguant, Pulsar,le nouveau film d'Alex Stockman, ne nous conte pas seulement fleurette via Internet et l'écran numérique qui nous y donnent accès. Que nenni. Mireille et Sam, l'une à New York, l'autre à Bruxelles, se retrouvent chaque jour, voire plusieurs fois par jour, via les méandres électroniques. Petit à petit, la communication vacille. Face à ces contacts brouillés par des interférences intempestives, Sam désire renouer le lien avec Mireille. Comment faire via des réseaux qui ne cessent de s'entremêler ? Internet et l'écrit papier (des images aux lettres) ou bien autre chose ? Mais quoi ?
Et si, face à l'espace virtuel, la nature reprenait le dessus ? Vous en prenez une dérouillée sur le disque rayé de vos certitudes. La renaissance démarre avec des images aux couleurs ténues.
Alex Stockman, Pulsar
Cinergie : Pourquoi préférer la couleur après ce noir et blanc, ta griffe picturale jusqu'à présent?
Alex Stockman : J'ai été très imprégné par le noir et blanc des premiers films que j'ai découverts (pas seulement les films muets, mais aussi les films sonores des années 60), mais aussi parce que mon père était photographe et travaillait en noir et blanc. Je me sentais proche de ces origines. Pour Le Pressentiment, j'avais besoin d'un côté intemporel dans différents lieux de Bruxelles. Pour Pulsar, j'ai voulu utiliser les couleurs dans un film autour d'un héros dont on découvre la vie quotidienne, celle que nous vivons tous les jours. Au début, Sam a un banal problème de communication informatique pour joindre Mireille sa copine. J'ai pensé qu'en utilisant la couleur, nous serions sur un terrain plus familier que celui du noir et blanc qui est plus abstrait. Je voulais que le spectateur soit proche de la situation des deux personnages, de leurs problèmes avec les réseaux informatiques, et surtout qu'ils ne puissent pas être dans une situation d'étrangeté, dès le début du film. Avec la couleur, on est dans un terrain plus familier, dans le connu davantage que dans l'inconnu.En plus, cela m'a permis de découvrir le monde merveilleux des couleurs avec Sébastien Koeppel, un chef op’ avec lequel j'avais déjà travaillé. Du coup, la couleur devient aussi fascinante que le noir et blanc. Pour Pulsar, cela s'y prêtait bien car cela nous permettait de glisser imperceptiblement vers quelque chose qui est à la limite du fantastique.
C. : Malgré tout, la couleur est assez ténue. Tu n'as pas voulu de couleurs tranchées.
A. S. : Tout à fait. C'est la devise de Jacques Tati : « Trop de couleurs distraient le spectateur ». J'aime travailler avec peu de couleurs. Nous n'avions pas besoin d'en utiliser beaucoup pour filmer la vie quotidienne dans un appartement très simple. Il fallait que le style du film évoque les zones d'ombre dans lesquelles se trouve Sam et qui vont le faire basculer. Lorsqu'une couleur forte surgit tout à coup dans un des plans, il y a un effet de surprise. Cela a plus de force que si on ne montre que ça.
C. : Ta caméra est très proche, tu fais des plans très rapprochés ?
A. S. : Oui, oui, dès le début il fallait être proche des personnages dans un petit appartement, un lieu exigu. Dans le choix des objectifs, j'ai évité d'utiliser ceux qui sont trop déformants, comme les grands angulaires. On a imaginé une sorte de témoin invisible qui rôde dans l'appartement, avec des mouvements de caméra qui ne soient pas trop voyants, qui n'isolent pas le personnage de Sam afin de ne pas en faire une sorte de paria ou de fou. Il fallait éviter de présenter l'étrangeté de façon spectaculaire. J'ai beaucoup travaillé sur le rythme des séquences, la durée de certains plans, sur les zones de la vie nocturne, sur le son et la musique. Il s'agit d'amener graduellement le spectateur vers l'évolution de l'état d'esprit de Sam.
C. : Tout avait-il été bien préparé et scénarisé avant le tournage ou avais-tu prévu d'autres possibilités ?
A. S. : On avait une petite équipe, ce qui permet plus de choses qu'une grande équipe. Les plans sur l'ordinateur étaient très découpés, mais il y a d'autres moments improvisés et des séquences imaginées pendant le tournage.
C. : Comment as-tu choisi Mathias Schoenaerts pour interpréter Sam ?
A. S. : Il a un côté imperturbable. Il ne perd jamais le contact avec le personnage qu'il accompagne dans toutes les scènes. Il est parfait pour être Sam qui lutte contre un adversaire invisible. Il a la force d'indiquer toute la vie intérieure de Sam à travers son regard avec le jeu du hors-cadre. J'aime bien ce côté-là chez les acteurs, comme ceux que l'on voit dans les films d'Hitchcock. Ils savent évoquer, faire deviner, faire sentir ce qui se passe par leur seule présence.
C. : Tu utilises des chansons de Paul Simon, de Brinda Lee et... les Concertos Brandebourgeois de Bach. Pas par n'importe quels interprètes, mais les baroques belges de La petite bande...
A. S. : Oui parce que je voulais des musiques très différentes et aussi parce que Bach me touche beaucoup. C'est très étrange cette façon de jouer, avec les instruments anciens que jouent Sigiswald Kuijken et ses frères, mais c'était aussi une manière de montrer dans un film tout ce que j'aime.
C. : Les frères Kuijken et La petite bande ont-ils joué pour toi ?
A. S. : Non, c'était une émission pour la VRT qui nous a autorisés à prendre un bref extrait.
C. : Pulsar nous montre que nous vivons dans une société de plus en plus contrôlée ou en définitive, les individus le sont tellement, qu'ils n'arrivent plus à se contrôler eux-mêmes. Est-ce un délire de notre part ?
A. S. : C'est vraiment ça aussi. Quelles sont les possibilités pour nous d'arriver à nous contrôler seuls. Le numérique et Internet sont des outils prodigieux, mais c'est aussi parfait pour mettre l'autre à distance, voire être proche du rêve de Big Brother : tout contrôler.. Nous sommes contents que tout soit exposé, publié, y compris notre vie privée de façon permanente. Sur le net, on découvre la vérité et le mensonge. Ensuite, ça devient très difficile de s'en débarrasser. Il faut y réfléchir Je reconnais que Wikileaks est une révolution, mais le problème est que personne ne sait où ça va, car la technologie est d'une telle intelligence que nous sommes, sans trop y réfléchir, tous fascinés par ce processus. Il faut savoir conserver une certaine distance par rapport à ces traces qui défilent de façon ininterrompue. C'est le grand problème dans un futur proche. À cause du climat d'insécurité dans lequel nous vivons, on nous demande d'être fichés partout en permanence. Je remarque qu'il y a de plus en plus de gens qui refusent d'être pris en photos. Via facebook, on peut utiliser des images contre nous-mêmes.
C. : À propos de l'écrit et de l'image, Sam essaie de repasser de l'un vers l'autre. Est-ce un clin d'œil vers l'Asie ou l'écrit et l'image vont de pair ? En même temps, dans la séquence où Sam repeint son appartement, c'est un geste de peintre qu'il accomplit.
A. S. : Je n'avais pas pensé à ces deux liens intuitivement. Il me semblait que retranscrire l'image par l'écrit était pour Sam une solution possible. L'ordinateur est un mixe intuitif entre l'écrit et l'image Pour la peinture, c'est un désir de Sam d'éviter la paranoïa. Bon, cela dit, j'avoue que je n'aimerais pas vivre dans un appartement pareil.
C. : N'est-ce pas l'origine de l'abstraction en peinture ?
En tout cas c'est complètement raccord avec ce qui se passe dans sa vie. Sam est dans la peinture abstraite.
C. : C'est une bonne conclusion (rires). Qu'en est-il du dernier plan, sur ce paysage lunaire ?
A. S. : Avec ce paysage étrange, un peu cauchemardesque, c'est la nature qui reprend le dessus. Elle est là dès le début du film avec une petite plante et la forêt. C'est aussi un hommage à la nature et à l'art que de se donner un rendez-vous dans un endroit insolite.