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Un Pixar à la belge ? La saga du studio nWave, l’animation “Made in Belgium” racontée par Ben Stassen, co-fondateur et réalisateur.

Publié le 13/11/2024 par Kevin Giraud, Cyril Desmet et Vinnie Ky-Maka / Catégorie: Entrevue

C’est dans le cadre sympathique du café À la Bécasse – un petit établissement bien dissimulé, mais à la renommée internationale – que nous rencontrons Ben Stassen, co-fondateur de nWave il y a plusieurs décennies. Un studio qui, à l’image du café où nous nous trouvions, a su depuis ses discrets locaux de Forest, où l’on entre comme par un garage, acquérir une renommée planétaire avec des succès d’animation comme Fly Me to the Moon, Bigfoot Family ou récemment Chickenhare alias Hopper et le Hamster des Ténèbres. Mais un studio dont l’histoire s’est d’abord écrite sur les écrans IMAX et dans les parcs d’attractions, avec tout autant de succès internationaux.

Cette histoire rocambolesque, truffée d’anecdotes et de rebondissements parfois dignes d’un thriller hollywoodien, c’est celle que Stassen raconte dans sa biographie « Ben Stassen, un Pixar à la Belge », couchée sur papier par le journaliste Frédéric Vancasserie et publiée aux Éditions Altura. Un ouvrage croustillant, au travers duquel nous avons navigué avec Stassen au cours de cet entretien.

Cinergie : Pour commencer, pourriez-vous nous parler de votre tout premier souvenir de cinéma ?

Ben Stassen : Il est assez vague, mais je me souviens que dans mon village natal d’Aubel, on projetait une fois par mois des films avec des projecteurs qui devaient être du 16 millimètres. Grâce à ces séances, j’ai découvert Les Canons de Navarone. Il y en a peut-être de plus anciens, mais c’est ce souvenir qui m’est resté. Par la suite, quand j’étais en pensionnat, nous avions une projection de cinéma par semaine les mercredis. C’est là que j’ai vu Spartacus la première fois, puis Citizen Kane, que j’ai eu ensuite la chance de voir à Los Angeles en présence d’Orson Wells, qui est venu échanger avec nous à trois reprises lorsque j’étais à l’USC.

 

C. : Ces expériences vous ont-elles poussé vers une carrière cinématographique ?

B.S. : Pas du tout. Faire du cinéma n’était pas – contrairement à nombre de mes camarades à Los Angeles – un rêve d’enfant, c’est venu par les hasards de mon parcours. Après mes humanités, j’ai fait un an d’échange aux États-Unis, puis je suis rentré en Belgique et j’ai été étudier les sciences politiques et sociales à la KUL, fait rare pour un wallon à l’époque. Comme mon néerlandais écrit n’était pas encore au niveau, j’ai proposé au doyen de la faculté de traiter ces sujets au travers de vidéos. C’est ainsi que je me suis lancé dans l’audiovisuel et que j’y ai pris goût. Et de là, j’ai pu enchaîner – grâce au soutien de mes parents – avec un master en cinéma à la prestigieuse USC, d’où était sorti Georges Lucas. C’était une formation très prisée, j’ai la chance d’avoir été pris, et cela a déterminé toute ma trajectoire par la suite.

 

C. : Comment, après s’être formé à Los Angeles, devient-on réalisateur de films d’animation en Belgique ?

B.S. : Il faut savoir qu’avant mon retour, je suis tout de même resté dix ans aux États-Unis. Après mes études, j’ai tourné des magazines touristiques aux quatre coins du monde, puis j’ai eu l’opportunité de rencontrer Krsto Papić, un cinéaste croate qui m’a demandé de l’aider à produire son film. Nous étions à la fin des années 1980, et les communistes l’accusaient de faire un film anticommuniste. Collaborer avec lui, c’était lui donner le support d’un producteur étranger et lui garantir le déblocage de son projet. Et c’est ainsi que nous nous sommes associés pour Život sa stricem (My Uncle's Legacy) qui a été nommé aux Golden Globes, l’année ou Cinema Paradiso a remporté le trophée. Par la suite, alors que nous étions sur un second film avec Krsto, la guerre des Balkans a éclaté et je suis rentré en Belgique. C’est là que j’ai rencontré Jean-Pierre Dauzin, le patron de Little Big One, une compagnie belge spécialisée dans les effets spéciaux numériques, et que j’ai touché pour la première fois au  cinéma d’animation au travers de films destinés aux parcs d’attraction. Des expériences de cinéma courtes, entièrement en images de synthèse contrôlées par ordinateur. On a fait un premier film intitulé The Devil’s Mine, et c’est devenu un succès mondial. Malheureusement, il était trop tard pour sauver Little Big One de la faillite, mais en récupérant les talents, les éléments de cette société, nous avons fondé nWave studios avec mes associés Eric Dillens et Caroline van Iseghem.

 

C. : Et en 2009, vous sortez votre premier long métrage d’animation, Fly Me to the Moon.

B.S. : Après avoir produit de nombreux films pour parcs d’attraction, et de nombreux films IMAX, nous avions un véritable trésor de guerre à disposition à la fin des années 2000, sans jamais s’être payés de dividendes. Alors avec mes deux associés, nous avons alors pris la décision – un peu folle – de financer notre propre long métrage, entièrement en 3D. Un pari, car à l’époque il n’y a avait que peu de salles complètement équipées. Mais Disney venait d’annoncer la sortie d’Avatar de James Cameron, également en 3D, et l’élan était donné. Lorsque Fly Me to the Moon est sorti, en février 2009, il y avait 2000 salles équipées dans le monde. À la sortie d’Avatar en décembre, ce nombre avait triplé. Le succès de Fly Me to the Moon nous a permis d’enchaîner sur un autre film, Le Voyage extraordinaire de Samy, dont nous avions déjà produit les dix premières minutes à la sortie du film précédent, avec nos dernières cartouches. C’était à nouveau un pari, mais qui s’est révélé gagnant. C’est après ce film que nous nous sommes associés à StudioCanal, un mariage qui a duré pendant de nombreuses années.

 

C. : Et tout ça, depuis votre discret studio de Forest. Comment vous expliquez-vous votre manque de renommée en Belgique ?

B.S. : Il faut savoir que, pour nos films de parcs d’attraction, il n’y a pas de génériques. Ce qui fait que, même si nous étions reconnus des professionnels du monde entier et que, selon nos calculs, près de 250.000 personnes par jour voyaient nos films, nWave était un nom inconnu du grand public. Cela a changé petit à petit avec les films IMAX, mais là encore le nombre de salles était assez restreint. Plus tard, le succès et la renommée sont venus, mais il ne faut pas oublier que malgré tout, le marché belge est trop étroit pour développer de l’animation commerciale d’un niveau international, avec les budgets de 15 à 20 millions qui étaient ceux de nos films. À l’origine, nous avons été soutenus par le VAF sur certains de nos projets, mais c’est vrai que nos budgets ont toujours effrayé les professionnels de la Commission. Cela dit, chaque soutien reçu et un signe positif, et le mécanisme qui a réellement changé notre vie, c’est le Tax Shelter. Une aide basée uniquement sur des critères économiques, qui collait parfaitement à nos budgets très élevés, mais à des productions très rentables aussi. Dès que l’on annonçait un nouveau film, on pouvait lever le maximum auprès du Tax Shelter, et cela a été le cas sur toutes nos productions. Selon moi, le gros problème du  cinéma en Belgique, c’est la liquidité. On peut faire des films qui ont du succès et sont rentables par eux-mêmes, mais la difficulté, c’est trouver le financement. Grâce à ces soutiens économiques, non seulement via le Tax Shelter, mais aussi via Wallimage et – dans une moindre mesure – Screen.Brussels, nous avons pu passer de 30 employés à plus d’une centaine, toujours à Forest.

 

C. : Après Chickenhare, vous avez quitté nWave et le monde du cinéma, un repos bien mérité. Comment voyez-vous l’avenir du cinéma d’animation en Belgique, après ces années de pandémie ?

B.S. : Je suis anxieux. La pandémie a eu deux effets très violents sur notre studio. D’une part, la disparition quasi totale de nos revenus IMAX et films de parcs d’attraction, fermés à cause du Covid. De l’autre, le développement des plateformes, qui coïncidait avec la fin de l’accord entre Disney et Netflix, qui a laissé ce dernier en recherche de contenu animé. Et c’est là que nous avons pu collaborer, ce qui s’est révélé salvateur pour nWave. En février 2020, Bigfoot Family arrive sur Netflix, et un mois plus tard le streaming explose. Cela a eu un impact énorme, Bigfoot Family est devenu le film européen le plus regardé sur toutes les plateformes Netflix confondues. Depuis ce succès, les choses ont à nouveau évolué. Les streamers ferment leur porte-monnaie, et les familles ne réinvestissent pas autant les salles que l’on pouvait l’espérer. Il y a des exceptions, et des grosses productions américaines qui tirent leur épingle du jeu, mais le contexte est difficile. Il ne faut pas oublier que notre marché belge est petit. Et même si nos films ont pu remporter de grands succès en Belgique, en cumulant près de 5 millions d’entrées sur nos dix premiers longs métrages, c’est au travers d’un rayonnement international que nos productions sont finançables, avec toujours le risque d’un échec ou deux qui peuvent faire capoter les projets suivants. Chez nWave, la clé de notre succès a toujours été de faire des films qui ont plu au public, grâce au soutien de distributeurs indépendants et à des stratégies de diffusion bien réfléchies. Cette aventure n’a pas toujours linéaire, mais ces collaborations ont été essentielles.

 

Pour découvrir l’ouvrage, rendez-vous sur https://www.alturaedition.com/accueil/editions/ben-stassen

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