Cinergie.be

Hopper - rencontre avec Ben Stassen et Benjamin Mousquet

Publié le 11/02/2022 par Kevin Giraud et Vinnie Ky-Maka / Catégorie: Entrevue

Créé en 1994, le studio nWave cache bien son jeu, au détour d’une rue de Forest. Passée la porte discrète de cet immeuble, c’est une véritable fourmilière qui se dévoile, employant - en présentiel quand c’est permis - plus d’une centaine de personnes. Il fait plus calme aujourd’hui, mais on sent une fébrilité et une énergie peu commune entre ces murs. Alors que la sortie de Hopper, le dernier né du studio, approche à grands bonds, rencontre avec les deux réalisateurs, Ben Stassen et Benjamin Mousquet.

Cinergie : Depuis notre dernière rencontre autour de Robinson Crusoe, nWave a bien grandi ! Comment se porte le studio aujourd’hui ?

Ben Stassen : Très bien. Depuis quelques années, nous nous concentrons sur les longs-métrages d’animation [après avoir travaillé sur des attractions et des expériences 3D, ndlr]. Notre dernier film en date, Bigfoot Family, a été l’un de nos plus gros succès, notamment grâce à une sortie Netflix mondiale en février qui a ramené plus de 30 millions de spectateurs en une quinzaine de jours. Aujourd’hui, nous avons la chance de pouvoir proposer Hopper, un superbe projet, on peut donc dire que les choses continuent à bien se dérouler pour nWave.

 

C. : Comment avez-vous réagi à la pandémie ?

Benjamin Mousquet : Nous avons réussi à bien gérer la situation, avec un faible impact sur le rendement et sur la qualité. Cela a été une grosse épreuve pour la société, mais tout le monde a pris ses responsabilités et s’est donné pour que le film [Bigfoot family ndlr] sorte. Avec beaucoup de sérieux et de professionnalisme, et avec l’apport de nouvelles techniques de communication fluides. La plupart de nos employés ont travaillé depuis chez eux, et cela s’est finalement bien dénoué.

 

C. : Pour parler de Hopper, qui sort mercredi prochain, comment êtes-vous arrivés sur le projet ?

B.S. : Cela s’est fait en 2016, par l’intermédiaire de notre partenaire de l’époque StudioCanal. Hopper ou Chickenhare en anglais appartenait à Sony Pictures, chez qui le projet n’a finalement pas été mis en production. C’est assez régulier pour un studio comme eux. Dans ce cas précis, Sony avait déjà travaillé un script, une bonne partie du scénario, mais le manque de succès de la bande dessinée Chickenhare aux Etats-Unis, dont est adaptée l’histoire de Hopper, les a finalement poussés à renoncer à la production et à mettre ce projet en vente. Et c’est là que nous avons pu obtenir ce récit.

 

C. : Benjamin, après ces nombreuses années chez nWave, qu’est-ce que ça vous fait de passer aux commandes d’un projet de cette envergure ?

B.M. : C’est une ambition que j’avais depuis des années. Aujourd’hui, c’est grâce à la confiance de Ben et Caroline [van Iseghem, productrice chez nWave ndlr] et mon expérience ici que j’ai pu accéder à la co-réalisation de ce film, avec une énergie et une fougue proportionnelle au challenge. D’autant plus que le script était parfait pour moi. La structure était déjà présente, les personnages étaient attachants, il ne me restait plus qu’à découvrir ce rapport à la réalisation, cette vision à mettre en place pour pouvoir emmener les équipes.

 

C. : Avec des méthodes de travail délocalisées, des coproductions ?

B.S. : De manière générale, nous privilégions toujours le travail en interne. Pas de dispatching à l’étranger, c’est l’équipe nWave permanente qui constitue le gros de nos forces vives. Cela peut se faire depuis leur domicile, ou depuis l’étranger même, avec une cheffe de production basée en Australie par exemple, cependant cela reste internalisé. Avec quelques freelance pour des postes plus spécifiques comme les storyboards, mais de manière sporadique.

 

C. : Est-ce qu’avec ces productions, et d’autres gros projets belges comme Les Schtroumpfs par exemple chez Dreamwall, vous voyez un nouvel essor de l’animation en Belgique ?

B.S. : C’est une évolution en tout cas. En dehors des Etats-Unis, il faut savoir que nous sommes aujourd’hui le studio d’animation le plus prolifique au monde, avec neuf films d’animation en dix ans. Il y a un certain momentum pourrait-on dire, une progression qui se met en place grâce à du travail, des investissements, mais il ne faut pas oublier que la clé de tout ceci reste le Tax Shelter. Le jour où cet outil disparaît, l’animation belge disparaîtra avec lui. C’est un dispositif essentiel de l’écosystème de production de notre industrie, à notre niveau en tout cas.

 

C. : Comment faites-vous pour rivaliser avec vos concurrents, les grands studios américains ?

B.S. : Aujourd’hui, nous devons avoir un rayonnement international pour exister. Nous n’avons pas les mêmes budgets, mais le travail que nos équipes produisent avec ce que nous engageons est exceptionnel. Aux Etats-Unis, il y a une inertie, une lourdeur décisionnaire qui impacte les budgets de manière significative. Chez nous, le processus est plus fluide, plus “to the point”. On met un layout en place, la première version animée du film intégrant les angles de caméra, les mouvements, donc le squelette complet du récit. Et une fois que ceci est déterminé, on s’y tient, et on va de l’avant.


B.M. : Cela implique d’être très flexible. Nous sommes un studio de taille moyenne, voire petit vis-à-vis des américains. Mais cela nous permet une réactivité, laisse libre cours à des énergies. Nous sommes des outsiders, c’est évident, néanmoins cela donne l’envie à tous de ne pas se reposer sur ses lauriers. Pour Hopper, nous avons beaucoup travaillé les scènes de foule par exemple, un défi que nous n’avions pas encore relevé à cette échelle, et qui a été l’occasion de belles progressions techniques au sein de l’équipe.

 

C. : La recette, c’est donc une méthode de travail différente ?

B.S. : Chez nWave, la grosse différence réside dans le fait que nous ne fragmentons pas autant les projets. Aux Etats-Unis, il y a un côté Fordiste dans l’animation, tandis qu’ici chaque personne de l’équipe connaît le film, gèrent plusieurs casquettes. C’est une approche différente.

B.M. : C’est un aspect que j’aime beaucoup avec ce studio. Quand nous nous lançons un défi, comme avec les foules par exemple, l’essai est toujours transformé. Grâce à une cohésion globale qui nous pousse à casser les murs, à nous dépasser.

 

C. : Qu’est-ce qui fait l’ADN des films nWave ?

B.S. : Jusqu’à ce film-ci, nous avions la particularité d’être très réalistes. Autant au niveau des décors qu’au niveau des personnages, nous tentions de coller un maximum à la réalité. Un chat était un chat, un lapin était un lapin, etc. Hopper est peut-être donc l'œuvre qui s’écarte le plus de cet ADN initial, mais cela fait aussi partie de notre évolution, de notre progression vers un style plus ouvert.

 

C. : Quels sont vos projets pour la suite ?

B.S. : Aucun pour ma part, j’ai décidé de terminer avec ce film après une belle carrière !

B.M. : Et de mon côté, c’est le premier ! Un passage de relais d’une certaine manière. De quoi demain sera fait est encore un peu flou, mais nous avons pas mal de choses en route.

B.S. : Pour le studio, le travail continue bien évidemment. Il faut savoir que pendant qu’un projet se termine, le prochain est déjà en cours car certaines équipes sont déjà disponibles. Après Hopper, nos équipes travaillent actuellement sur Don, un Don Quichotte au cœur de Central Park ! Ainsi, nous avons toujours deux films en chantier en même temps, avec une partie de nos effectifs sur les modélisations et l’animation du prochain projet. Benjamin, de son côté, va pouvoir bientôt démarrer la suite, et partir en développement du projet suivant.

Tout à propos de: