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Chantal Akerman - Les années 70

Publié le 07/06/2007 par Sarah Pialeprat / Catégorie: Sortie DVD

Cinéart édite un superbe coffret DVD de référence sur les années 70 de Chantal Akerman. Une sélection de ses films les plus importants de 1968 à 1978 avec cinq longs métrages dont le film culte en titre d'adresse Jeanne Dielman, 23 quai du commerce, 1080 Bruxelles, et en guise de bonus, deux courts, le tournage de Jeanne Dielman, ainsi que des interviews tournées en 2007 par la réalisatrice. Ce DVD permet enfin de pouvoir voir et revoir les films d’une période qui, jusqu’ici, était  largement privée de support de diffusion. A travers ces films et ces interviews se dessine en réalité un grand autoportrait qui nous permet d’entrer dans la personnalité d’une femme-cinéaste en quête de ses origines.

Chantal Akerman, une exégèse

Jaquette Chantal Akerman les années 70Depuis les années 70, Chantal Akerman poursuit son chemin dans la radicalité formelle entre documentaires, fictions et films expérimentaux... les frontières entre les genres restant toujours fragiles. Chantal Akerman naît au bon moment pourrait-on dire. Vingt ans en 1970 signifie beaucoup, l'après 68 donnant jour à un véritable besoin d'expression de la part des femmes qui souhaitent montrer une vision différente du monde. C’est en 68 justement, à dix-huit ans, que la post-adolescente réalise son premier court métrage, Saute ma ville, une sorte de manifeste poético-burlesque sur l’aliénation féminine qui se termine en apocalypse ménagère et annonce déjà les thèmes chers à la réalisatrice.
A l’âge de 20 ans, cette graine de révolutionnaire quitte Bruxelles pour s’installer à New York sans en parler à ses parents… Ah, le New York des années 70, la ville de tous les possibles, le foyer des artistes contestataires. C’est l’époque des galeries alternatives sous forme de coopératives, du militantisme contre la discrimination sexuelle dans les musées et les galeries, d’une nouvelle esthétique. Elle rencontre alors Babette Mangolte qui lui fait découvrir le cinéma expérimental. Elle comprend qu’il est possible de faire un film sans avoir besoin de raconter une histoire. C’est dans sa chambre de Spring street que Chantal Akerman tournera  La Chambre, un court métrage expérimental influencé par les artistes d’avant-garde qui la fascinent, tel Michael Snow. Ce film muet qui joue sur le temps propose déjà la déconstruction des mythes fondateurs créés par les hommes.

Chantal Akerman, réalisatriceAvec l’aide de Babette Mangolte, elle réalise son premier long métrage, Hotel Monterey. Elle a 22 ans. Toujours marquée par l’expérimental, elle choisit là encore un film sans dialogues. Cet hôtel, qui accueille des gens sans le sou et dans lequel Chantal Akerman a logé, est l’unique personnage du film. Financé par l’argent qu’elle parvient à détourner au petit cinéma pour lequel elle travaille comme caissière, elle tourne ce film d’une heure en une seule nuit et parvient à capter le rythme de cet étrange lieu.
De retour en Europe, elle passe au long métrage de fiction avec Je, tu, il, elle en 1975. Plus narratif cette fois, le film décrit la vie d’une jeune femme mais continue à se jouer des formes préétablies (plans fixes, lenteur, monologues intérieurs), passant du journal intime au faux documentaire. Au centre, une femme toujours, en l’occurrence la réalisatrice elle-même, se met en scène et à nu.
La même année, en 1975, c’est la rencontre avec l’égérie du cinéma de Truffaut et Resnais, Delphine Seyrig. L’actrice acceptera de se glisser dans le peau de la Jeanne Dielman d’Akerman, et d’habiter pendant trois heures et vingt minutes cet appartement devenu mythique, 23 Quai du Commerce - 1080 Bruxelles. Ce film,  véritable joyau du coffret, va confirmer toutes les tendances de la réalisatrice. Faire, à 25 ans, un film qui étire le temps et montre la répétition obsessionnelle des gestes insignifiants dans un huis clos quasiment sans dialogues était un pari audacieux. Cette expérience limite du cinéma est reconnue par la critique et le film se retrouve sélectionné à Cannes pour la Quinzaine des réalisateurs.

Tout en poursuivant ses expériences dans des documentaires expérimentaux comme News from Home, qui superpose des images de New York à la lecture des lettres de sa mère inquiète, elle réalise un nouveau portrait de femme avec Les rendez-vous d'Anna en 1978. Aurore Clément y incarne une cinéaste, sorte de double de la réalisatrice elle-même. Ce film, jugé plus académique, provoquera pourtant des réactions d'une rare violence lors de sa première projection au Festival de Paris, mais n'en remportera pas moins le Prix de la Meilleure mise en scène. Cinéma polémique oui, et c'est tant mieux, car il ressort de cette sélection de films une oeuvre complexe et riche qui décloisonne le cinéma classique et propose une réflexion sur le temps et le corps.
Bonus 

Chantal Akerman, réalisatriceCe qui est remarquable et rare dans ce coffret DVD, c’est l’intérêt de la cinéaste pour ce nouveau support de diffusion. Car qui parle mieux de Chantal Akerman que Chantal Akerman ? La formule est loin de s’appliquer à tous les artistes mais il s’agit là d’un cas particulier : le travail de la cinéaste n’est-il pas justement d’entreprendre une introspection sans complaisance ? 
- Entretien avec Chantal Akerman (1996 - 17') : un extrait de Chantal Akerman par Chantal Akerman, un documentaire  tourné pour la collection Cinéastes de notre temps produite par Janine Bazin et André S. Labarthe. La réalisatrice s’adresse à nous, face caméra, de plus en plus  proche. Elle nous parle de ses doutes et de ce désir qui est toujours désir de l’autre, de son rapport au monde et au cinéma.
- Trois entretiens filmés en 2007 par Chantal Akerman : 
*  Entretien avec Babette Mangolte (31'), la chef opératrice d’Hotel Monterey, de La Chambre et de Jeanne Dielman. Elles évoquent ensemble ce New York des années 70 qu’elles ont partagé. Entre souvenirs et oublis, du temps a passé.
Entretien avec ma mère, Natalia Akerman (28').
Cet entretien dans la cuisine, (le détail n’est pas sans importance) se révèle un moment émouvant et explicite. Nous découvrons ici une mère entre toutes les mères, une mère et sa fille. Elles évoquent les choses du quotidien jusqu’à ce que la cinéaste la pousse à parler des camps. 

La fierté de Natalia s’adressant au cameraman en l’absence de sa fille dévoile une autre facette et cet entretien se termine sur la remise en ordre de la cuisine qui n’est pas sans rappeler Jeanne Dielman.
Entretien avec Aurore Clément (18'). Retour dans une autre cuisine avec Anna alias Aurore Clément. Les deux amies évoquent leur rencontre sous le signe du désir. Double hommage et admiration réciproque. Elles évoquent les moments difficiles et la joie qu’elles ont eu à travailler ensemble. 
- Un document inédit : Autour de Jeanne Dielman (1975-2004 - N&B - 78 mn)
Petit bijou de ces bonus, les images que Sami Frey a filmées durant le tournage de Jeanne Dielman. Près d’1h20 de conversations entre une petite fille obstinée et une femme fatale accomplie.
Delphine Seyrig, porte-cigarettes aux lèvres, pousse la cinéaste à donner des explications. Chantal, elle, répète, rougissante (les images sont en noir et blanc mais la comédienne le note) que c’est comme ça qu’elle le voit, qu’elle le sent, bref, que c’est comme ça qu’il faut faire. Soucieuses toutes deux du moindre  détail, elles répètent inlassablement chaque geste (prendre le café, s’asseoir, jeter le café, s’asseoir, reprendre du café, non prendre le lait dans le frigo) jusqu’à l’obsession. On ne dévoilera pas la grande leçon de Delphine Seyrig à l’équipe féminine des ingénieurs du son...un grand moment !

- Deux courts métrages : 
Saute ma ville (1968 - N&B - 13')- Chantal Akerman, insolente
“Il parait que ta fille va faire sauter Bruxelles” dit un ami à Natalia Akerman à la sortie de ce premier court métrage. Qu’on se rassure, la jeune fille ne fera sauter que la cuisine, lieu hautement symbolique. Les tâches quotidiennes et aliénantes deviennent joyeusement frénétiques et anarchiques. Pendant que la jeune fille mange des pâtes, flanque le chat par la fenêtre, cire ses jambes et inonde le sol, derrière elle, une petite voix chantonne, rit et scritche...
A noter, parce qu’elle ne fait rien comme les autres, un joli générique sonore.
La Chambre (1972 - Muet - 11')- Chantal Akerman, féministe
La Chambre est directement influencé par le travail des réalisateurs expérimentaux que la cinéaste a découvert à New York. Il s’agit d’un panoramique fixe balayant la chambre et le lit où elle est elle-même allongée. Toujours dans la veine féministe, elle joue avec les symboles (le rouet, la pomme qu’elle croque). 
Son regard planté dans ceux du spectateur, elle déconstruit l’idée de la femme comme objet iconique.


Le coffret de cinq DVD comprend les premiers films de la cinéaste tournés dans les années 70 : Hotel Monterey, Je, tu, il, elle, Jeanne Dielman, 23, quai du Commerce, 1080 Bruxelles, News from home et Les rendez-vous d'Anna - 457’- Belgique 2007 - Cinéart.

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