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Dark Rider d' Eva Küpper

Publié le 23/06/2021 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

Born to Be Wild

Après sa première mondiale au DOK.fest de Munich en mai 2021, Dark Rider était au festival DOCVILLE de Louvain en juin et fait sa sortie en salles ce 23 juin 2021. Eva Küpper y suit Ben Felten au Lake Gairdner, au sud de l’Australie. Une fois par an, des fanatiques de la vitesse se retrouvent pour la « Speed Week » afin de tenter de battre des records de vitesse sur une étendue désertique, un lac de sel de 19 kilomètres, chacun sur l’engin de son choix. Ben Felten, 50 ans, dont la particularité est d’être aveugle a pour objectif de  devenir l’aveugle le plus rapide au monde pour le Guinness Book des records en dépassant, sur sa moto Kawasaki ZX-10R, le record actuel de 265 km/h !

Dark Rider d' Eva Küpper

Son record personnel, pour l’instant, est de 251, 45 km/h. Avec son navigateur et meilleur ami, Kevin Magee (surnommé Magoo), ils foncent dans ce désert blanc, toujours en ligne droite, sur un parcours sans obstacles, à la recherche du grand frisson. Le rôle de Kevin, ancien champion de moto, détenteur du Grand Prix et célébrité nationale, rescapé d’un grave accident qui lui a presque coûté la vie, n’est pas moins important que celui de Ben puisque, lors de leurs courses, à quelques mètres derrière, par radioguidage (« plus à droite », « un peu plus à gauche », etc.), Kevin est entièrement responsable de la vie de son partenaire aveugle.

« Nous sommes trop vieux, nous ne rebondissons plus comme avant », plaisante Ben, soulignant la nécessité d’une confiance absolue dans leur « vieux couple ». Pour expliquer leur longue amitié et leur collaboration sportive, Kevin, modeste, répond juste qu’il ne « pouvait pas décemment laisser un aveugle sur le bord de la route ».

Si Ben, septième enfant d’une famille de huit, est pour ainsi dire né fan de moto et de vitesse, il n’est pas né aveugle. C’est à 15 ans qu’une condition dégénérative oculaire (une rétinite pigmentaire) lui a été diagnostiquée. Son rêve de devenir ingénieur et de rejoindre la marine australienne fut ainsi brutalement tué dans l’œuf. Par la suite, sa vue s’est graduellement détériorée pendant plus de 20 ans. À 22 ans, devenu dangereux sur la route, il prend la décision de déchirer son permis de conduire. Il perd bientôt son job, sa compagne d’alors, commence à boire. Il passe le plus clair de son temps à se bagarrer dans des bars et sombre dans une terrible dépression. Histoire connue…

 

À 37 ans, Ben s’est réveillé un matin dans le noir et c’est en ouvrant les rideaux et en entendant les oiseaux chanter qu’il a compris qu’il était désormais aveugle à 100%. Mais Ben ne se laissera pas sombrer très longtemps.

Son amitié avec Kevin, le soutien de son épouse ainsi qu’une passion inébranlable pour le sport lui feront vite remonter la pente. Au cours des ans, il accumulera les médailles en aviron et en cricket. Aujourd’hui, Ben est pratiquement autonome. Dans les limites de son quartier, il se débrouille seul (même si son épouse, sa mère et ses amis sont toujours là pour lui) : il tond la pelouse, bricole des motos dans son garage, sort promener le chien…

Parallèlement aux exploits de Ben et Kevin, le film suit le parcours d’un troisième larron passionné de moto, Jed Davis, 13 ans, presque aveugle lui aussi, et inquiet du manque de perspectives pour l’avenir, lui qui a toute sa vie devant lui. Une rencontre entre la famille de Jed et ses deux héros est organisée. « C’est facile pour les gens de te dire que tu ne pourras pas accomplir ce que tu veux accomplir pour x, y et z raisons », lui explique Kevin. « Mais il ne faut pas les écouter : tu as deux bras, deux jambes et un cerveau qui fonctionnent, il faut juste leur prouver ta détermination ! » Apeuré par la baisse de sa vue et par l’inévitable réalité qui s’approche (mais sans jamais le montrer), Jed décide néanmoins de se lancer dans le rodéo, sous le regard admiratif et bienveillant de ces deux « grands frères » de cœur qu’il écoute avec admiration.

« Devenir aveugle a été très difficile, mais être aveugle m’a offert des opportunités que je n’aurais jamais eues autrement », lui raconte Ben, lorsque Jed lui demande si il aimerait voir à nouveau. « Voir à nouveau ? C’est une chose à laquelle je ne pense pas, parce que je suis confortable dans ma peau, heureux d’être celui que je suis aujourd’hui. Etre aveugle fait partie de ma vie, ça me rend unique… Si aujourd’hui, quelqu’un me disait qu’il pouvait me rendre la vue d’un coup de baguette magique, j’hésiterais vraiment. Je ne sais pas. Etre aveugle a été une grande aventure pour moi ! », lui explique-t-il en l’encourageant, avec honnêteté, sans la moindre fausse modestie, et surtout, sans une once de condescendance. Ben et Kevin sont des personnages éminemment attachants et surtout, très cinématographiques, leur vie hors du commun se prêtant à merveille à un feel-good movie qui en inspirera plus d’un. L’amitié inébranlable entre ces deux australiens sympathiques (avec accent intégré) et toujours souriants, sans cesse en train de plaisanter, est le cœur du film.

L’adversité ne semble jamais les abattre. Ainsi, lorsque Ben n’atteint pas la vitesse désirée lors d’une course décisive en 2018, les deux hommes cachent leur déception par leurs habituelles plaisanteries. Cette bonne humeur naturelle, jamais forcée, n’empêche pas Ben de se montrer terriblement exigeant envers son équipe lors de ses tentatives de record. Illustration joyeuse d’une folle envie de mordre la vie à pleines dents, peuplée de personnages truculents (voir l’impayable directeur de l’évènement sportif, surnommé Animal, qui aime beaucoup montrer ses fesses),Dark Rider est une célébration de la force mentale et de la détermination à accomplir ses rêves sans se soucier du qu’en-dira-t-on.

Avec pudeur, la réalisatrice fait l’impasse sur les moments plus sombres que l’on peut aisément deviner, et on sort de la salle avec la conviction que rien n’est impossible pour ces trois héros ordinaires qui font (ou feront bientôt, dans le cas du jeune Jed) des choses extraordinaires. Qui plus est, avec son irrésistible happy end, ce beau documentaire démontre que, parfois, de bonnes choses arrivent aux bonnes personnes ! 

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