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DVD Le Fils des frères Dardenne

Publié le 01/05/2003 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Sortie DVD

Qu'ajouter à un film qui a fait l'unanimité de la critique et qui, en ce début d'année, vient d'obtenir le Prix Joseph Plateau 2003 du meilleur film belge en plus des lauriers recueillis à Cannes par Olivier Gourmet pour son interprétation exceptionnelle du rôle du père.

Le Fils des frères Dardenne

 

Revoyant Le Fils sur support numérique nous ne pouvions nous empêcher de penser à la structure du western. Vengeance ? Rédemption du meurtrier ? Duels ? Ceux-ci ou mieux celui-ci occupe la quasi-totalité du film. C'est celui qu'affronte Olivier (Olivier Gourmet), confronté à Francis (Morgan Marinne). Mais où est la violence me direz-vous ? Elle est présente dans tous les plans où se joue la distance séparant les deux protagonistes. Violence d'autant plus sourde et ressentie que la parole est rare, le geste économe, quasiment clinique. Tout l'art - et c'est ce qui différencie Le Fils d'un western - est de laisser subsister l'irrésolution. Le gunfight final n'est pas pour le cinéma des Dardenne. La fin que nous vous laissons découvrir refusant de trancher le dilemme.

 

Tout d'abord il y a cette présence. Celle d'Olivier sanglé dans un bleu de travail, les reins ceints d'une large ceinture de force en cuir brun usagé. Celle d'un corps massif, d'une nuque opaque, d'un souffle ininterrompu. La caméra des Dardenne l'accompagne, au plus près, dans ses gestes, ses regards furtifs, ce langage du corps qui petit à petit prend sens. Olivier enseigne la menuiserie, plus précisément les gestes du menuisier c'est-à-dire la taille, le poids, la découpe du bois, dans un centre de formation et de réinsertion pour délinquants. Rien n'est dit, tout est montré. Olivier ne donne pas seulement de son temps, de son énergie, c'est un exemple. Il est l'homme qui transmet, même à son insu, ce qui le fait vivre.

 

Les Dardenne nous installent dans un espace clos, un atelier de menuiserie dans lequel Olivier apprend le métier du bois à des adolescents. Il refuse d'en accepter un de plus, se ravise et l'intègre au groupe. Le regard posé par Olivier sur Francis est lourd, donne l'idée d'une filiation réelle ou fantasmatique. On apprend assez vite qu'il ne s'agit pas du fils réel ou adoptif d'Olivier mais du meurtrier de son fils réel. D'où le stress, l'angoisse qui parcourt Olivier au début du film. Rien de plus terrible que de vivre la mort d'un enfant, sur lequel on a investit (consciemment et inconsciemment) et qui tel un fantôme s'évanouit et se nourrit de son absence. C'est une épreuve dont les affects s'inscrivent dans le corps, la vie du survivant. Comment supporter la disparition, comment éviter de s'effondrer. Olivier a choisi de transmettre son métier pour vivre plutôt que de survivre.

 

Francis seize ans, après des années d'enfermement, se trouve face au père de sa victime. Cette attraction répulsion de l'autre se noue à travers un duel qui aura lieu par deux fois entre deux êtres que tout sépare mais qui ne cessent de se côtoyer, de circuler ensemble comme prisonniers d'une géométrie circulaire. Le premier affrontement a lieu lors d'une séance de baby foot. Des balles qui circulent d'un coté à l'autre, le bruit violent de la balle entrant dans le goal. Le second sur un parking lorsque Olivier et Francis mesurent l'espace, à un centimètre près qui les séparent l'un de l'autre. Olivier dit : 4,11 mètres. Francis vérifie à l'aide de son mètre de menuisier.

 

"C'est lui ?" demande à Olivier son ex-femme qui, d'indignation, en pique une crise de nerfs lorsque Olivier lui répond affirmativement. "Calme-toi", lui dit-il en l'étreignant. "Pourquoi fais-tu ça ?" "Je ne sais pas" répond Olivier emmuré dans sa souffrance intérieure. Les personnages des Frères Dardenne sont complexes et riche de potentialité que ce soit dans La Promesse Rosetta, une part d'eux-mêmes reste inconsciente, effleurée plutôt qu'expliquée. Les Dardenne, cinéastes humanistes (dans le sens où il s'agit de faire exister la part d'humanité de l'autre) fuient les stéréotypes, les clichés en tout genre. Sur le fil du rasoir du regard de documentaristes dans la fiction, ils explorent le cinéma et lui offrent un style de plus. C'est ça le cinéma voir et éprouver le monde dans toute son opacité, aussi bien dans sa lumière que dans son obscurité, si l'on ose dire. On n'insistera jamais assez sur la sobriété (loin du spectaculaire des images consensuelles et clichées dont le quotidien nous abreuve) de la mise en scène de Jean-Pierre et Luc Dardenne. Les gestes justes des comédiens qui incarnent leur personnage plutôt qu'ils ne le jouent. Sans doute est-ce pour cela qu'un film des Dardenne ne s'oublie pas.

 

Les réalisateurs

Jean-Pierre est né le 21 avril 1951 à Engis et Luc Dardenne est né à Awirs le 10 mars 1954. De 1974 à 1977, ils réalisent des vidéos d'intervention dans différentes cités ouvrières de Wallonie sur les problèmes d'urbanisme et de vie collective (16 reportages à caractère social). De 1978 à 1985 ils réalisent une dizaine de documentaires allant de 5x 9 minutes à une durée de 50'. En 1986, ils réalisent leur premier long métrage de fiction : Falsh, suivi de Je pense à vous (1992), La Promesse (1996), Rosetta (1999), Palme d'Or au Festival International de Cannes). La Promesse et Rosetta sont disponibles sur un seul DVD. Edité par Boomerang Pictures.

 

Les bonus

Galerie de photos de tournage du film par Christine Plenus.
Entretien avec les frères Dardenne par Louis Danvers.
Entretien avec Olivier Gourmet par Louis Danvers.
Filmographies.
Bandes-annonces.

 

Le Fils, de Jean-Pierre et Luc Dardenne, DVD. Edition Boomerang Pictures (2 disques).

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