Cinéaste passionnante, Fien Troch s'intéresse depuis longtemps aux structures et relations familiales dysfonctionnelles. Avec Home, elle signe une œuvre mature et sans concessions et réussit un troublant portrait de l'adolescence. Rencontre avec une artiste positive et enthousiaste.
Interview Fien Troch Home
Cinergie : Après Kid, vous changez radicalement et vous optez pour un cinéma du corps. Aviez-vous envie d'aller au plus près des comédiens ?
Fien Troch : Oui, je voulais vraiment clôturer un chapitre. Je ne voulais plus répéter ce que j'avais fait, et je souhaitais quelque chose de plus vivant, de moins fermé. Surtout, je voulais raconter une histoire et m'éloigner du terrain de l'atmosphère, de l'émotion. Du coup, c'était assez difficile au début, car je devais m'empêcher de penser au décor, à la musique, à qui allait jouer les rôles, et me mettre entièrement au service du récit. Pour moi, l'adolescence représente l'énergie, et je n'imaginais pas pouvoir rendre cette énergie de la façon dont j'avais fait mes films précédents.
C. : Il s'agit aussi d'une histoire de groupe. Quel est le premier personnage qui est né et a entraîné les autres et comment s'est fait l'équilibre ?
F.T. : Le premier personnage est Kevin. L'une des idées était de filmer un délinquant qui allait habiter chez une femme plus âgée dans une maison dans la forêt. J'avais aussi été frappée par un documentaire américain sur des adolescents condamnés à la prison à perpétuité pour meurtre. Moi, je ne voulais pas raconter l'histoire d'un personnage, mais celle d'une génération, d'un groupe de gens. Il s'agissait clairement d'un film-mosaïque. Après, l'équilibre entre les personnages a été très difficile à trouver. D'abord, dans le scénario, même si le tournage et le montage apportent beaucoup de changements.
C. : Est-ce que les comédiens ont pris une part active soit à l'histoire, soit à la mise en scène ?
F.T. : Le scénario était là et je savais que les comédiens n'allaient pas l'influencer. Mais en même temps, je voulais la garantie de pouvoir mettre en place des improvisations. Par exemple, si une scène était prévue dans un salon, on pouvait très bien aller la tourner dans un parc, en fonction de ce qui se passait. Parfois, j'écrivais une scène le soir pour la filmer le lendemain. Le scénario a donc bougé sans cesse. Par rapport à l'adolescence, je pense que les ados d'aujourd'hui ont la même « base » que ceux d'hier. Donc, je suis partie de mon adolescence. Bien sûr, il n'y avaient ni GSM, ni réseaux sociaux, etc. J'ai dû m'adapter peu à peu lors de l'écriture. Je n'avais pas envie d'aller au skate park et interviewer des jeunes qui n'allaient pas jouer dans mon film. Je voulais vraiment parler avec les jeunes qui allaient faire le film. Dès que nous avons commencé le casting, j'ai beaucoup appris sur leur manière de parler, de se comporter.
Le casting a débuté par une série d'interviews de 20 minutes où je n'étais pas présente mais où on leur a posé des questions comme « Comment te vois-tu dans dix ans ? », des questions sur leur position dans la vie, ou on enregistrait leur réaction face à un film sur Youtube. Je savais que nous allions utiliser tout cela pour nourrir les personnages. À partir de ces interviews, j'ai choisi ceux qui devaient revenir pour un vrai casting. J'ai pris ceux qui étaient les meilleurs comédiens, qui avait le visage que j'aimais et surtout ceux qui étaient intéressants comme adolescents. Je connaissais très bien leurs limites, leurs points forts pour sortir d'eux ce dont j'avais besoin. Je me suis également beaucoup adaptée à eux.
C. : Est-ce eux qui ont filmé avec les téléphones ?
F.T. : Oui, c'est entièrement eux. Chacun avait reçu un smartphone de la production qu'ils devaient rendre le soir même. On leur avait suggéré de filmer pendant leur temps libre. Parfois, on les laissait libre de filmer la scène sans personne sur le plateau et le résultat était incroyable, beau, triste, dur. J'étais surtout émue qu'ils comprennent si bien ce que je voulais dire et également leur personnage. J'aurais bien aimé avoir écrit certaines des scènes qu'ils ont réalisées. C'était donc une réelle collaboration. C'était aussi un plateau sans lumière, sans maquillage, donc très libre.
C.: Certaines scènes sont difficiles, violentes ou sexuelles et la pudeur, la place de votre caméra paraît essentielle. Comment se sont déroulées ces scènes intimes avec ces adolescents ?
F.T.: La base est la très grande confiance entre nous. Je pouvais tout leur dire et eux pouvaient venir tout me raconter, comme des copains. J'ai bien expliqué comment on allait faire, mais à un moment donné, il faut arrêter d'expliquer, il faut faire. Il faut dire aussi qu'ils avaient 18 ans, ce qui est très différent par rapport à des ados de 16 ans. L'idée n'était pas de choquer, mais de ne pas sortir de la « chambre » pour ces scènes explicites. Je le montre, car je suis là tout le film et malheureusement, je suis aussi là quand ça se passe. Pour moi, c'était très organique, très naturel. Tout le monde était nerveux mais au final, ça a été beaucoup moins stressant que toutes les conversations sur le sujet auparavant.
C. : Home aborde aussi le fossé entre générations, avec des parents démissionnaires et où les relations adolescents-adultes sont très difficiles..
F.T. : Oui même si quelqu'un m'a fait remarquer qu'aujourd'hui, ce n'était plus aussi fort. Les adultes du film ne sont peut-être pas exemplaires, mais j'ai essayé de trouver une zone grise, qu'il n'y ait pas d'un côté les méchants, de l'autre les gentils. La scène du bus où les jeunes se moquent de la femme obèse montre aussi que les normes et valeurs des adolescents ne sont pas en équilibre. Même si je suis clairement du côté des jeunes, je ne voulais pas aller vers trop de simplification. Les adultes ne savent pas trop ce qu'ils doivent faire, ils ont aussi peur que l'adolescent ne devienne pas l'adulte dont ils ont rêvé.
C. : Le film interroge, via le personnage de Kevin, l'éthique personnelle dans le rapport avec la morale collective. Kevin s'est forgé une éthique forte et qu'il tient alors qu'il est jugé par la morale sociale qui s'avère pétrie de lâcheté.
F.T. : Oui, Kevin est celui qui a pris le « mauvais chemin », mais c'est lui le moins compliqué. Il n'a pas deux visages. Pour moi, il est le plus pur. Et les autres adolescents ont senti cette loyauté de sa part et du coup s'interrogent sur leur propres valeurs.
C. : La scène finale est très belle, très positive malgré le côté sombre du film. La décision de Kevin est, à cet instant, très émouvante.
F.T. : Je suis contente d'entendre ça, car pour moi, c'était de l'espoir. Je ne parle pas de l'espoir du genre « il a appris qu'il ne devait plus être violent », mais le fait que tout n'est pas si pourri et que malgré ce qu'ils ont fait, ils ont peut-être encore une chance.