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Entrevue avec Bouli Lanners

Publié le 01/11/2002 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Entrevue

Mon prénom c'est Philippe, mais il n'y a que ma mère qui m'appelle comme ça

Nous avons découvert Bouli Lanners dans Quelque chose, un court métrage de Cathy Mlakar et Jean-Paul De Zaetijd, et sa suite Autre chose sur le tournage duquel nous avions été invité. Cela se passait à la mer du nord, dans une villa et Bouli Lanners face à sa mère (Claudine Mlakar) installé devant une assiette, mutique, les bras croisés nous avait impressionné par sa présence physique. Un froncement de sourcils et c'est une tempête qui se déchaînait ! Ensuite ce fut un enchaînement de bonnes surprises : Travellinckx, le premier court métrage réalisé par Bouli Lanners s'inspire de l'incroyable évasion de Dutroux ! Traiter pareil sujet avec un humour sans failles n'est pas donné à tout le monde. Didier est tellement hypocondriaque et maladroit qu'en voulant protéger les Russo, il se trompe de maison. Ce petit bijou réalisé avec des bouts de pellicule et l'effort d'une centaine de souscripteurs a été suivi par Muno, un film que les spectateurs de la RTBF/Deux pourront découvrir à la fin du mois de novembre dans "Tout Court".

Entrevue avec Bouli Lanners

"Mon prénom c'est Philippe, mais il n'y a que ma mère qui m'appelle comme ça, nous dit en rigolant Bouli Lanners", revêtu d'un blouson gris en toile posé sur un sweat-shirt de même couleur. Né à la campagne, à Moresnet-Chapelle, aux trois frontières (Allemagne, Pays-Bas, Belgique). Son père était douanier d'où l'installation dans cet endroit aussi symbolique que le Four corner (territoire navajo où quatre états américains se rejoignent : L'Utah, Le Nouveau Mexique, Le Colorado et le Nouvea-Mexique).

 

"Enfant, je ne connaissais pas le cinéma. Il n'y en avait pas de cinéma dans les environs ; il fallait aller à Verviers, qui est tout de même à 30 bornes, ou alors à Aix-la-Chapelle, qui était plus près, 8 bornes, mais c'était en allemand et comme mes parents n'étaient pas germanophones, on n'y allait jamais. Mes parents nous ont emmenés au cinéma Patton, à Bastogne, pour voir Les Aritoschats, le premier film que j'ai vu de ma vie. J'ai un peu continué à fréquenter ce cinéma mais les films y sortaient avec un décalage de deux ans. Je n'ai d'ailleurs pas été obnubilé par Walt Disney d'autant qu'avant il y avait L'étoile du sud, un film qui m'a beaucoup plus marqué. J'ai donc surtout connu le cinéma par la télévision. Ensuite il y a eu les projections du collège : chez les pères où j'étais, une fois par an il y avait une projection de film, en général c'étaient les mêmes films qu'on voyaient à la TV. Mais une année, il y a eu une inversion de bobines, ils se sont gourés et ils ont projeté Mon oncle de Tati. J'ai eu une claque. Je découvrais à 13-14 ans un autre cinéma. Et puis il y a le ciné-club de la RTBF, le vendredi soir. Ils ont passé Monthy Python Sacré Graal. Deuxième claque. Il y a eu l'ouverture du ciné-club à la Calamine et j'ai pu commencer à voir d'autres films. Mais je n'ai jamais pu pousser loin la recherche. Mon envie du cinéma est venue petit à petit. Au début, j'ai fait les Beaux-Arts. Je voulais être peintre. J'ai un rapport très fort avec l'image, le cadre. Le week-end, on allait à Bastogne et je m'imprégnais des paysages. Ça se ressent d'ailleurs dans Travellinckx, cette espèce de travelling parallèle où on voit défiler du paysage. Moi, je ferais un film où il n'y a que ça : des travellings en voiture, et on roule, et on voit du paysage. C'est vraiment un truc d'enfance qui est resté très très fort. C'est à cause de ça que j'ai voulu faire de la peinture ; mais la peinture c'est fixe. Et puis je me suis rendu compte qu'il y avait le cinéma, mais je ne savais pas si je pouvais y avoir ma place. Alors j'ai d'abord fait tous les métiers avant de commencer à réaliser. J'ai fait un peu de BD, j'aime bien la narration. J'ai fait de la peinture sur chevalet, de la BD, des décors pour la TV, à Liège lorsque je m'y suis installé. en 1984. Je ne suis jamais retourné à la campagne.

 

J'ai commencé à être décorateur, puis on m'a appelé pour faire les Snuls sur Canal+. Et déjà dans les tous premiers trucs pour Rox Box, je jouais déjà, car il fallait un gros, tout simplement. J'ai fait la déco et la régie générale des Snuls pendant quatre ans. Là aussi, j'ai joué quelque fois, comme je suis un peu "cabot". Ensuite je me suis fait chier sur beaucoup de téléfilms. Et je me suis dit : « je vais faire un film moi, dans lequel je joue". J'ai fait Travellinckx, mais je n'ai pas joué dedans. Et je me suis rendu compte que c'était ça que je préférais". Tout en ne laissant pas tomber complètement le côté interprétation. "Disons que ça me rapproche plus des émotions de quand j'étais petit. Comme une sorte d'introspection dans mon propre univers. Quand je joue, ce n'est pas la même chose... Mais j'ai un agent à Paris, je vais sans doute jouer une grosse production vers février-mars. J'ai besoin de jouer, car uniquement réaliser, est une remise en question perpétuelle. Il faut pouvoir échapper à ça. On devient un peu trop soi-même lorsqu'on réalise ; le jeu permet d'être quelqu'un d'autre. Combiner les deux c'est parfait pour moi.
Revenons à Travellinckx. "On s'est lancé dans la réalisation du film sans budget. J'ai procédé par souscription : j'ai demandé à tous mes amis de mettre 1000 francs, on a fait des contrats, et on a récolté en tout 120.000 francs. Ce qui nous a permis de tourner en Super 8 noir et blanc et d'assumer régie, etc. Au début on voulait juste trouver un banc de montage de libre et faire une sortie digitale. Puis j'ai rencontré Bronckaert qui a remis un dosser à la finition et on a eu des fonds pour le gonfler en 35 mm. Et c'est devenu un vrai film.

 

J'aime bien le personnage. Il retourne à Bastogne comme moi quand j'étais petit. C'est une lettre à son père. Je voulais au début faire l'itinéraire d'un hypocondriaque qui faisais ça pour son père. Mais ça allait être long et chiant. J'étais sur le tournage d'un film américain, Dog of Flanders, à la mer, et lorsque Marc Dutroux s'est échappé. Je me suis rendu compte que tout le monde (l'équipe composée d'israéliens, de bulgares, d' américains) le connaissait. J'ai senti une sorte de frénésie sur le plateau qui a duré le temps qu'il soit repris. Après tout le monde était un peu triste. Je me suis dit : "ça, c'est la Belgique, il y a quelque chose là...". Il fallait alors que mon personnage fasse ce film pendant que Marc Dutroux s'échappe et qu'il s'y identifie et qu'à la fin tout retombe flop, comme un soufflé. j'ai écris très vite. Trois semaines après on tournait.

 

Pour Muno - qui n'a rien à voir avec la ville de Muno ! - le film est différent. Le racisme n'est pas un thème qu'on aborde de face, sinon on rentre dans des clichés et des partis pris, tellement pris qu'ils ne sont plus le reflet d'une réalité. Le racisme va au-delà des locomotives, il y a tout ce qui vient après, tout le racisme au quotidien qui est beaucoup plus dangereux, dilu et insidieux. Il fallait que les gens puissent se retrouver dans les personnages. Lorsqu'on fait le portrait de quelqu'un, si on le présente comme une grosse crapule, on ne s'identifie pas donc on porte un jugement. Mais lorsqu'on s'identifie au personnage, il renvoie une partie de nous-même, et ça touche beaucoup plus les gens. Le film a créé des débats. C'est ce que je voulais. Le fait qu'on n'ait pas de parti d'extrême droite en Wallonie fait partie d'une tradition politique. Mais il ne faut pas croire qu'on est à l'abri de tout ça. Si maintenant quelque chose basculait, ça pourrait virer très vite. Et c'est ça qui me fait peur. Stéfan Liberski joue un petit rôle. Je trouve que c'est un excellent comédien, il est très juste au niveau de son jeu. Dans le long métrage que je suis en train de préparer il y a un petit rôle pour lui. Tout ce que je peux te dire à ce propos, c'est que ça se passe dans le milieu de la construction des petites maisons "clé-sur-porte" et tout ça. C'est l'histoire d'un vendeur de maisons. Ça parle de l'engagement à travers ce personnage, citoyen, affectif".

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