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Entrevue avec Frédéric Young à propos des buts de Pro-Spere

Publié le 01/11/2001 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Entrevue

Frédéric Young a réussi à fédérer autour de la SACD (rappelons que celle-ci à été fondée par Beaumarchais à la veille de la Révolution française), dont il est le délégué général pour la Belgique, toute une série d'associations qui défendent les auteurs et leurs droits ainsi que la création en Belgique. On ne va pas toutes vous les citer mais vous indiquer celles qui ont en commun les métiers de l'image : SCAM (auteurs multimédias), ASA (scénaristes), AIDAA (association internationale des auteurs de l'Audiovisuel),  FSE (Fédération européenne des scénaristes) et PRO SPERE (dont il est l'actuel président). C'est en tant que président de cette dernière association - qui elle-même regroupe : l'ABATF, ABITIS, ACSR, ARPF, ARTB, ASA, Cinéma Brévis, HOT DOC, SABAM, SACD, Union des artistes, et qui est à l'origine du collectif 2001 - que nous l'avons interrogé.

Noir

 

Frederic Young

 

Chemise noire, pantalon noir, ceinture noire, chaussures noires, mais cheveux gris coupe genre Philippe Sollers qui mettent en valeur des yeux bleus, Frédéric Young nous reçoit dans son bureau de la rue du Prince Royal, entre deux rendez-vous, deux coups de fil, tout en restant extrêmement décontracté et attentif au sujet abordé. Propos.
"Pro-Spere est un jeu de mots inventé par les frères Wajnberg, le véritable intitulé étant la Fédération des Associations professionnelles de la création et de la production audiovisuelle. Dés l'origine, l'ambition de Pro-Spere a été de rassembler, autour d'une plate-forme faisant consensus donc unanimité, l'ensemble des associations professionnelles représentatives en Communauté française. A l'époque l'UPFF n'avait pas souhaité en faire partie même s'il avait été partie prenante des discussions préparatoires. Peut-être à cause de cette culture du traitement individuel des dossiers qui existait en Communauté française. Dans le même temps, Pro Spere a répondu à une carence, née de l'effondrement de l'ABAFT, en devenant le relais des intérêts des auteurs et des réalisateurs. D'où l'initiative de fédérer des associations de manière plus dynamique à l'initiative de Luc Jabon, Jaco Van Dormael et moi-même, voire d'en créer d'autres comme l'ASA. Ces différents mouvements ont permis - avec ma position, qui est assez libre puisque je ne dépends pas de subventions de la Communauté française - d'affronter une série de dossiers où la liberté de parole était très importante. C'était le cas du cahier des charges des chaînes de télévision, de la politique suivie par la Communauté française elle-même, de la mise en place du Centre du Cinéma, de la contribution des câbleurs, de la mise en place de fonds régionaux et d'incitants fiscaux.
Si l'on relit la plate-forme de Pro-Spere des années 90, tout cela est déjà là. Cela fait maintenant une dizaine d'années que les associations regroupées entre elles sous l'impulsion d'une série de personnes extrêmement actives qu'il faut saluer : Hubert Toint, Kathleen de Bethune, Christine Pireaux, Arnaud Demuynck et bien d'autres encore, développent un modèle de démocratie et d'exigence professionnelles. Il y a eu un investissement associatif bénévole considérable qui a permis d'établir des plate-formes très élaborées dont les projets continuent à se faire sentir. 

 

Économie et culture

 "La Fédération (Pro-Spere) a permis, avec la complicité de l'administration de certains partis politiques, de mettre en place une structure extrêmement élaborée de soutien au secteur audiovisuel dans une période où aucun budget complémentaire significatif ne pouvait être mobilisé, en raison des besoins de l'Enseignement notamment. La faiblesse de l'Audiovisuel tient à ce qu'il est indépendant et extrêmement volatile dans son organisation. D'où la difficulté de justifier les augmentations budgétaires. "
Lorsque nous lui posons la question, devenue récurrente, du cinéma perçu aussi comme image d'une culture, d'un pays, Frédéric coince. Contrairement à Bouvard et Pécuchet, il a horreur des idées reçues. Cela lui paraît une remarque non pas injustifiée mais mal posée. Aussi, un nuage de mélancolie passe dans ses yeux. Un centième de seconde. Le temps de poursuivre avec une humeur égale retrouvée qu'il pense que les ministres-présidents de la Communauté ou de l'Audiovisuel sont convaincus de l'importance de la culture mais n'ont pas de moyens financiers. Euh... Mmouais. Oui-ouais. Nous sommes pris d'une quinte de toux. Votre serviteur en dessert son foulard hindou. "Ce qui me semble pertinent est de se demander comment se fait l'arbitrage budgétaire. Qu'est-ce qui fait que le secteur de la production et de la création cinématographique (fiction et doc) apparaît comme un secteur secondaire en termes de masse budgétaire par l'état belge. Première catastrophe : la loi de financement des communautés de 1989 où les francophones se sont complètements gourés dans leurs négociations. La communauté est en état de sous-financement par rapport à ses besoins. Ce qui explique beaucoup de choses. Deuxième élément, dans cette masse budgétaire, la création et la production constitue la deuxième ligne du poste audiovisuel (la première étant la RTBF. Le budget de la Communauté française s'élève à 240 milliards dont 217 vont à l'enseignement. On enlève la jeunesse, la santé, il reste la culture et l'audiovisuel et dans l'enveloppe culture il y a la RTBF. C'est comme ça que ça se passe. La première question à se poser est pourquoi se trouve-t-on dans la même enveloppe budgétaire que la RTBF ? On a réussi à la fois par pressions professionnelles et par conscience d'un certain nombre d'hommes politiques, vu l'importance de l'enjeu, à aller chercher des ressources complémentaires chez les câbleurs ou dans les chaînes de télés." 

 

À-venir ou avenir

 Il écoute nos arguments sur l'importance d'un secteur qui ne fait que se développer en regardant en silence vers nulle part. Puis il reprend la parole et le geste mesuré : " Je comprends tes arguments mais j'évite de dire que les hommes politiques n'ont pas compris l'importance de notre secteur. Si depuis dix ans qu'on n'a cessé de le leur dire ils n'ont pas compris, c'est soit que le message n'est pas pertinent soit que nous l'exprimons mal. " Frédéric qui aime décaper les certitudes ajoute : "N'oublie pas, non plus, que le secteur est privé et le revendique. Ce qui signifie qu'il y a socialisation des pertes et privatisation des profits. Ça a une limite. L'État investit davantage dans les structures publiques que privées. Le travail de revendication doit se faire mais dans une juste compréhension du contexte. Ce qui est fondamental, c'est qu'en une dizaine d'années on a pu mettre en place toute une série de dispositifs qui ont amené la cinématographie belge francophone à être l'une des premières du monde en termes de qualité. Les professionnels et les politiques n'ont pas été aussi débiles que ça. D'autant qu'au cours de cette décennie nous avons assisté à l'internationalisation, la mercantilisation, le regroupement des groupes audiovisuels (Bertelsmann, Vivendi, etc.). Donc la question que je pose est celle de l'existence d'une structure de production et de création sur un territoire aussi exigu avec un public restreint et un équilibrisme permanent entre production interne et internationale. C'est très difficile et je salue les gens qui le font au quotidien."

Le front plissé, un peu inquiet, il secoue la tête et reprend puisqu'il faut mettre les points sur les i. : "Il faut à tout prix maintenir cette notion d'artisanat de haute qualité. Soyons sérieux, dit-il en chassant une poussière imaginaire de la table, on est à 300 km de Paris, on est à 800 km de Munich et à 150km à vol d `oiseau de Londres. Je crois que depuis vingt-cinq ans avec les écoles, les ateliers, une politique intelligente de soutien continue dans le temps à des individus créateurs, a eu lieu, les Marion, les Van Dormael, les Dardenne, les Delvaux, les Berliner, etc. Tout doit être mené dans la durée. Harry Cleven, explore à toute allure - avec des insuccès commerciaux - un certain type d'expression, comme Boris Lehman dans le documentaire. Il faut poursuivre en maintenant la dimension d'entreprises à échelle humaine, dynamiques et créatives du métier avec tous les outils d'aides économiques et professionnelles possibles. Mais, je ne pense pas, en dehors de conjonctures économiques très particulières, que si l'on double nos longs métrages ou nos produits télévisuels on arrivera à créer une industrie. Tout cela ne met pas soixante mille personnes au travail.

Ce qui me paraît pertinent consiste à développer une structure d'artisanat ou de PME, si tu préfères, de haute technologie et de haute créativité. C'est le bon moment. Une maturité professionnelle s'est dégagée à travers le collectif 2001 (qui est un peu la synthèse de Pro-Spere et de l'UPFF). Une étape a été franchie. Et, curieusement, grâce à la RTBF en négociant les nouveaux contrats pour lesquels Eric Van Beuren a fait un travail remarquable et très difficile. Il a démarré individuellement puis il a compris qu'on pouvait faire le boulot ensemble et cela a déclenché plein de choses positives. Puis il y a eu l'arrivée de Patrick Quinet qui est quelqu'un de très pragmatique. L'un des enjeux, étant donné que le refinancement de la Communauté française ne prendra effet qu'en 2003-2004, c'est la mise en place, dès l'année prochaine, de structures et d'organisations plus professionnelles plus élaborées. Je rappelle que jusqu'ici on tout fait dans le bénévolat et dans la débrouille." 

L'avenir ? Il nous regarde interloqué, comme si nous étions une voyante extra-lucide, (est-ce à cause de notre foulard indigo ?) malgré la barbe qui me mange le visage. "Pour l'avenir, je voudrais travailler à la compréhension du champ européen et des outils qu'il permet de manier. Le reste, tu le connais : notre projet d'une maison d'édition internationale en ligne". Nous y reviendrons, en effet.

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