Ex-drummer de Koen Mortier
La nouvelle vague du cinéma flamand
Cinergie : Peux-tu nous expliquer ton parcours en quelques mots ?
Koen Mortier : J'ai trouvé ma vocation de réalisateur assez tard en fait. J'ai réalisé un premier court métrage quand j'avais 30 ans, en 1995, qui s'appelait Anatomij et qui était un film expérimental sur l'anatomie. Puis j'ai fait un deuxième court métrage l'année suivante, et ce film a gagné une dizaine de prix un peu partout, en Belgique mais aussi à l'étranger. Après ce court, je n'avais plus de boulot. Comme tous les gens qui font du cinéma, j'ai remarqué que dès que l'on a fait le pas en tant que réalisateur, les autres ne te prennent plus comme assistant. C'était un peu dur, et je ne voulais pas faire de la télé parce que ça ne m’intéressait pas du tout. Je ne voulais pas faire de séries non plus parce je trouve que c'est une industrie, où tu suis le même processus de création constamment, et il n'y avait pas assez de liberté, alors j'ai commencé dans la pub comme réalisateur. Pourquoi la pub ? Parce que d'une part ils étaient intéressés par ce que je faisais, alors que dans la fiction personne ne s'en souciait. J'ai réalisé des pubs très visuelles, avec de la 3D, des machineries, les soi-disant grandes pubs, qui sont basées sur le visuel et la poésie. J'ai travaillé en France et en Hollande, où j'ai décidé de créer une société avec des collègues, et qui est devenue une grande boîte en Europe pour la publicité. On a même gagné le Grand Prix à Cannes pour la pub, en tant que Meilleure Maison de production du monde : pour une firme hollandaise, c'était incroyable. Je suis alors venu en Belgique pour créer une nouvelle boîte de pub. J'ai pris deux partenaires belges et on a gagné 6 ou 7 Lions à Cannes, dont celui de la Meilleure Pub.
C. : Quand est apparue l'idée d'Ex-drummer ?
K.M. : J'ai fait un premier jet du scénario, il y a 8 ans déjà, avec Philippe Aubert, le propriétaire de Coproductions Office qui a travaillé avec Lars Von Trier. Ça lui a permis de recevoir le « Nip Koepp Program » à Berlin, un programme d'aide financière. Par conséquent, j'ai vécu quelques mois en Allemagne pour travailler sur mon projet. Hélas, Philipe Aubert avait trop de réalisateurs dans sa boîte, et, du coup, il ne passait pas assez de temps sur mon projet alors que j'en passais beaucoup sur les siens. Je suis parti avec mon projet, que j'ai un peu oublié, j'avoue. Puis, comme je réalisais beaucoup de pubs à l'époque, j'avais des voyages assez longs, ce qui m'a permis de reprendre l'écriture d'Ex-drummer et j'ai relancé le projet il y a trois ans parce que j'avais ouvert une nouvelle boîte. Cette dernière est destinée à faire découvrir le monde de la pub à de jeunes réalisateurs sans prendre trop de risques, surtout financiers, avec une grande liberté artistique, mais elle aide aussi à la production de longs et courts métrages documentaires. Avec cette boîte je me suis dit « Allez, je vais faire Ex-drummer ! ».
Le scénario a été refusé deux fois par le V.A.F. (Vlaams Audiovisueel Fonds) qui ne trouvait pas le film intéressant, estimant qu'il ne représentait pas le chemin que le cinéma flamand voulait suivre. Alors j'ai commencé à chercher des investisseurs, mais comme je n'avais pas eu l'argent du V.A.F., je ne pouvais pas avoir de subsides des Commissions de film dans d'autres pays. Le producteur hollandais qui voulait investir ne pouvait pas car je n'avais pas d'argent d'ici. J'avais un peu perdu espoir de le réaliser quand un producteur publicitaire français m'a demandé de le prévenir lorsque je ferai un long métrage. Il m'a prêté 150 000 €. Là, j'ai retrouvé mes partenaires en Belgique et en Hollande qui ont accepté d'investir à leur tour. J'avais aussi un producteur italien avec qui j'avais déjà tourné, et de la sorte, j'ai eu assez d'argent pour monter le film et le tourner. C'était assez dur avec un budget réduit, car le scénario d'Ex-drummer était complexe, avec beaucoup d'acteurs et de figurants, beaucoup de musique aussi...
Après le montage, je l'ai renvoyé à la Commission, qui l'a à nouveau refusé mais à 3 voix contre 3. Des gens qui me soutenaient, comme Miel Van Hoogenbemt, m'ont proposé d'aller en appel et de demander une nouvelle Commission, car mon film représentait pour lui quelque chose de nouveau pour la Flandre. En même temps, j'avais un distributeur, A-Films, qui voulait distribuer le film en Belgique et en Hollande. Ma plainte a finalement abouti et j'ai obtenu l'argent pour la post-production. Ce n'était pas un gros montant, mais c'était assez pour le finir en 35mm, prêt à être projeté dans les salles de cinéma.
C. : On comprend facilement la stupeur de la Commission ! Ton film est en dehors de ce qu'on voit pour le moment dans le paysage du cinéma flamand ! De plus, venant de la pub, ce parcours est incroyable : on imagine la pub comme des images propres, nettes, léchées alors que ton film est tout sauf ça.
K.M. : La publicité en soi est quelque chose de léché d'un point de vue francophone, car la pub flamande n'a rien à voir avec ça. La pub flamande est plutôt inspirée par la pub anglaise ou américaine, un peu trash parfois. Je crois que le pas entre la pub et la fiction n'est pas immense : quand vous voyez Sofia Coppola, Spike Jonze, David Fincher, vous comprenez qu'il y a beaucoup de réalisateurs de pub qui font de belles choses en fiction. Même si, en Europe et en Belgique, on a un regard « dégradant » envers la publicité, il ne faut pas oublier que la moitié des producteurs et réalisateurs viennent de ce milieu.
C. : Ex-drummer est clairement une critique acerbe de la société flamande, qui enterre ses mentalités, sa culture, qui ne laisse aucune possibilité de se retourner...
K.M. : Je reconnais qu'Ex-drummer est une critique virulente, vue comme sans solution, parce que je n'en donne pas, parce que je ne voulais pas en donner. Ce que je voulais dire, c'était « regardez dans certains états, dans certaines classes sociales, dans certaines pensées, on est comme ça, on pense comme ça, on est vu comme ça ».
Comme le personnage Grosbit, qui est raciste, et dont je critique la pensée car je la trouve vulgaire. Je ne dis pas que tous les flamands sont comme ça, je dis juste comment je perçois ceux qui le sont. Et en même temps, je voulais montrer ces gens, car le problème du Vlaams Blok est de plus en plus grave.
Je ne voulais pas faire un film social et dire « il faudrait améliorer ça », c'est simplement mon point de vue, mais je ne veux pas changer les gens car on ne peut pas les changer, ils doivent changer d'eux-mêmes. Dris, qui est soi-disant l'intelligent, est pour moi aussi un mauvais, car c'est un criminel intellectuel qui manipule tout le monde. C'est pourquoi je voulais qu'il soit sympathique au début mais qu'on se rende compte que c'est lui le mauvais. Dans mon cas, j'ai basé mon travail sur un humour cynique, qui fait mal, mais je voulais aussi jouer avec ça : je ne voulais pas jouer avec une vraie réalité, et je ne voulais, ni copier les Dardenne, niC'est arrivé près de chez vous, je voulais quelque chose entre les deux. Est-ce que ce qu'on voit est réel ? Non ! Mais ce n'est pas éloigné de la réalité pour autant. Ne prenez pas ce film au sérieux, c'est de l'humour très noir, mais ne prenez pas tout comme de la fiction. Il y a une vérité sur notre société dont on devrait retenir certaines choses !
C. : C'est le paradoxe du film : les images sont insoutenables mais en les prenant au xème degré, on peut dépasser cette impression et comprendre ce qu'il y a derrière, et on n'a pas besoin d'aller très loin tant le fond est tangible.
K.M. : C'est un grand débat : certaines personnes disent de mon film qu'il est dangereux, agressif parce le personnage principal n'a pas de rédemption. Mais les gens malveillants n'ont pas de regrets, au contraire, et je voulais faire un film avec ça. Il n'y a pas les bons et les mauvais : il y a des mauvais et des moins mauvais. Les gens sont de plus en plus cyniques, et c'est ça que je trouve véritablement choquant. Ils sont de plus en plus avides de gloire aussi : je me souviens, lors du casting, pour plaisanter, nous demandions aux comédiens s'il étaient prêts à jouer de nombreuses scènes de nus pour avoir le rôle ; ils l'étaient !
C. : Un petit mot sur tes projets ?
K.M. : Ça va se partager entre la pub et la fiction. Je fais encore des projets de pub parce qu'elle est en train de changer, pas en Belgique mais au niveau mondial. Avec Internet et l'indivdualisme, ce sont des projets intéressants, comme mon projet sur le skateboarding, un film de 50 minutes diffusé dans les magasins spécialisés. En même temps, j'écris mon prochain long métrage et je vais produire ceux des gens que je trouve intéressants parce qu'ils ont quelque chose à dire d'une autre manière que celle du cinéma flamand « classique ».