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Coffret : Exercices spirituels I d'Olivier Smolders

Publié le 01/12/2001 par Jean-Michel Vlaeminckx et Théo Salina / Catégorie: Sortie DVD

Dix films écrits et réalisés par Olivier Smolders, librement inspirés par Ignace de Loyola et Clovis Trouille,  viennent de ressortir en DVD complétés de scènes inédites tirées de Nuit Noire, un long métrage sorti en salles le mois dernier et dont nous vous avons parlé, et de deux court circuits.
Lors de sa sortie en K7 édité par BPC, nous avons parlé en détail de l’édition des dix films d’Olivier Smolders.
La nouveauté se niche dans trois bonus, mais également dans un somptueux livret qui accompagne cette  nouvelle édition et qui donne la parole au réalisateur. Son œuvre fascine de nombreux spectateurs par son art du contre-pied et de l’esprit de la lettre.
Le goût des ogres, un texte d’Emmanuel Autreppe, est suivi d’un long entretien avec Olivier Smolders : « Le cinéma qui m’intéresse, c’est celui qui met les auteurs comme les spectateurs dans une situation inconfortable. Sans risques, pas d’émotions.(…) J’aime les dispositifs susceptibles de troubler l’impunité. Le recours systématique au regard caméra en est un, car lorsque le spectateur est lui-même regardé, certains échanges mystérieux peuvent s’opérer entre l’écran et la salle. »

Tout d’abord, Exercices spirituels (2005), destiné à Court circuit, l´émission de Luc Lagier, est une sorte d’aveu sur la réalisation des dix courts métrages. Smolders y exprime son désir « du fragment, du flou narratif qui déborde de beaucoup la question du désir esthétique, politique, moral… Il y a un peu de différence entre le cinéma de fiction et celui du réel, l’un comme l’autre travaillent la part de l’ombre, les jeux de masques, le reflet des miroirs. »
Ensuite, Images amoureuses, images de mort (2003, toujours pour l’émission de Luc Lagier) est une réflexion sur la transformation du corps par l’image : « l’étrangeté d’un corps, son opacité et sa transparence autant que sa réserve, prennent une forme insoupçonnée. On oublie la rencontre et la prise de vues tant la présence à l’écran est plus troublante, plus immédiate, plus aboutie que la vie elle-même. La profondeur du regard, l’expression d’une bouche gourmande ou inquiète, la calligraphie des cheveux qui griffent la courbe d’une nuque ou monte en chignon… autant de blasons sur lesquels s’élaborent mille fables ».
En fin, Olivier Smolders nous offre la bande annonce de Nuit Noire.

Exercices Spirituels, d’Olivier Smolders, français, sous-titré anglais, Les films du Scarabée, asbl. www.smolderscarabee.be

Coffret : Exercices spirituels I d'Olivier Smolders

Exercices spirituels

Il faut ne pas s'être penché plus que cela sur le cinéma belge de ces quinze dernières années pour ne pas connaître le nom au moins d'Olivier Smolders, dont une vidéo - éditée par sa société Les Films du Scarabée et P.B.C. Pictures, déjà responsable de la série de cassettes de Court toujours... tu m'intéresses - propose dix courts métrages personnels, singuliers, des " Exercices spirituels " plutôt littéraires, réunis dans un ordre certain, sûrement concerté (?) pour mieux dégager quelques-unes des lignes de fuite d'une oeuvre de forme et de fond.

Le moins qu'on puisse dire, c'est que certains principes, religieux, imposés aux enfants, présentés comme de nobles et hautes vertus, sont restés en travers de la gorge de Smolders depuis l'enfance. Lui faudrait-il que quelqu'un lui pardonne ? De la Neuvaine (1984) et l'Art d'aimer (1985), où le cinéaste, au fond de l'atelier de l'Insas, ressasse et interroge son adolescence, à l'Amateur (1997) et Mort à Vignole (1998), ces réflexions discursives et tourmentées, sur la nature de l'homme et celle de l'image, sur la place de l'icône et celle du cinéma, peut-être l'essence même, pulsionnelle, du cinéma et sa place dans l'espace-temps de la vie et de la mort, sont autant d'approches des jeux de mots, de sons et lumières, sous prétexte de grandes histoires intimes, et nues, souvent. Les filles se succèdent, en gros plans parfois mais distantes quand même, statiques comme souvent la caméra, pour une réflexion obsessionnelle qui, à partir de l'érotisme et de la dictature de la jouissance, attaque Dieu bien plus que l'homme.

 

Adoration 

"C'était le jour béni de ton premier baiser..."

Le moteur d'une super-8 tourne du côté des souvenirs mais les silences étranges tiennent à l'écart un héros asiatique à l'oeil impénétrable, froid comme la lame, qui ajuste cadre et mise au point et peaufine sa dernière scène : tout est fin prêt quand entre la femme - son premier amour ? - qu'il a invitée à dîner. Dans ce silence de tableau, d'église, on a tout le temps de s'essuyer la bouche, mais à peine le jeune homme approche-t-il pour nettoyer l'objectif que le décor a changé : un instant prise à l'épaule, la caméra se rapproche de l'innocente qui se cache le visage, puis vrille vers le sol où gît finalement, dans une mare de sang, l'érotisme oriental, tout en finesse. Ainsi s'achève, une balle dans le dos, les membres arrachés, le poème romantique, petit exercice de lecture auquel s'était prêtée sans comprendre la demoiselle, soumise et statique comme une vierge de pitié, au-dessus du micro que lui tendait son glacial amant:
"Tu m'es en riant apparu et j'ai cru voir la fée au chapeau de clarté qui jadis sur mes beaux sommeils d'enfant gâté passait, laissant toujours de ses mains mal fermées neiger de blancs bouquets d'étoiles parfumées."
Quand le maître de cérémonie se fait hara-kiri, personne n'est vraiment surpris, et la caméra s'écrase, mais dans la logique du cauchemar qui obsède Olivier Smolders, le film tient debout.

 

Mort à Vignole 

"Nous avions décidé de passer en famille quelques jours de vacance sur Vignole, une petite île de pêcheurs au large de Venise. J'avais emporté une caméra 8 mm, celle qu'utilisait autrefois mon père, avec le sentiment que la vie, image après image, nous file entre les doigts. (...)
Qu'est-ce qu'un film de famille ? Un bout de vie arrachée à la mort ? Combien de temps se souvient-on de nous ? Quelles émotions, si puissantes, si terribles, se dégagent des années plus tard des images muettes de ces gens dont on connaît l'avenir qu'ils ignoraient alors ? Ces insondables sourires d'enfants ne seront-ils pas, dès la troisième génération, prisonniers de vagues et lointaines anecdotes ?"

Un nouveau très beau texte d'Olivier Smolders commente ces images d'archives particulières que sont les films de famille. Ballotté par une mémoire granuleuse, un film solitaire qui, dans les cendres de l'enfant mort-né, se perd sur les canaux de Venise et traverse l'Atlantique, de Léopoldville où il grimpait sur les genoux de Saint Nicolas, à Vancouver où celle qui deviendrait sa femme jouait encore à la marelle en faisant risette à papa.
Sur le pont d'un bateau ivre où les rires d'enfants restent techniquement muets, un Olivier Smolders très nostalgique, moins haineux, tente d'arracher au passage du temps l'horizon défendu dans leurs regards. Où que l'on se tourne, voit-on jamais derrière ?
"On a beaucoup répété que le cinéma filmait la mort au travail. C'est encore plus vrai avec ces images granuleuses, fourmillant à l'écran comme la vermine à l'assaut des corps et des visages."
Et comme le doute fait l'auteur :
"Il eût sans doute été préférable que ce film restât sans paroles. Il nous aurait alors laissés seuls, dans le silence si particulier qui traverse les images lorsqu'on les abandonne à leurs propres histoires. Car il arrive alors qu'elles nous parlent de la mort avec une tendresse que les mots n'atteindraient pas."

 

Point de fuite 

"Quels sont les outils indispensables des perspectivistes de la Renaissance ? "La lumière étincelle sur le carrelage immaculé où s'amoncellent les vêtements, verts et jaunes. Dans le plus simple appareil et un silence bien trop scolaire, toute la classe s'est levée pour accueillir madame la professeur. On se disait bien qu'ils cachaient quelque chose. Mais justement, ils - et elles - ne cachent rien... - "Quelqu'un peut-il me rappeler ce que c'est que la perspective ?" Pas un, bien sûr, ne pipe mot, et en dépit de bien jolies bouches, elles n'en font pas davantage.

Car une autre idée que le nu et l'effeuillage d'une plus profonde nature de l'homme poursuit Olivier Smolders : celle du choix du canon et de la décision de se taire, entendue déjà dans Neuvaine et ses premières prières. De la " contestation paisible des pierres "...
Face au silence, que faire ? Pour donner son cours sérieusement, sous pression, laisser tomber le tailleur sur les chevilles, et le temps d'un dessin au tableau, d'une antique géométrie, présenter aux élèves des fesses de madone de marbre, un peu serrées, mais superbes et fières ? Ah, l'enseignement ! Quel dur métier ! Même si la chute de la blague est plus prévisible que celle de ses reins, et même si aucun sourire ne fend jamais le visage des modèles, gageons qu'il reste possible d'apprendre en s'amusant - de siffler en travaillant, dans la lumière artificielle des couloirs célestes, cliniques de l'école. Unique mais trompeur Point de fuite...

 

L'Amateur 

"J'ai rencontré aussi une dame qui ressemblait à ta mère : elle a d'abord cru que je m'intéressais à son petit chien. Plus tard elle me raconta que lorsqu'elle sentirait la mort s'approcher, elle aurait soin de tordre le cou de son petit compagnon afin qu'il ne souffre pas de son départ. C'est ce qu'on devrait toujours faire avec les gens qu'on aime."

Une fois n'est pas coutume dans le chef d'Olivier Smolders : l'amour et la haine se mélangent, jusqu'à l'envie de meurtre, dans cette lettre ouverte à une femme qu'on aime et qui, peut-être, n'existe pas vraiment, qu'on rêve dans un train et qu'on perd entre deux gares... " Ne t'y trompe pas : j'ai complètement perdu le goût de séduire. Les intrigues sentimentales me paraissent dérisoires, je ne recherche même plus la fièvre des étreintes (...)

J'ai inventé une nouvelle méthode pour tenir à distance les femmes que je veux approcher."
Est-ce malgré tout dans l'espoir de la retrouver, cette femme aux mille visages, ou parce qu'il n'y a rien d'autre à faire que de la rechercher, que l'Amateur, l'âme à terre, presque éteinte et solitaire, débarque dans une ville où il semble déjà qu'il restera de passage ? Est-ce pour fuir ou pour réaliser son étrange rêve de singe qu'il invite toutes ces femmes, de tous âges et de tout poil, à se dévêtir sans un mot devant une caméra fixe, sur un granuleux 8 mm qui les condamne au silence ? L'une se montre timide mais espiègle, l'autre voisine plus à l'aise, et coquine. La quarantaine bourgeoise, plutôt triste que sévère, une autre encore aimerait d'abord demander la permission de son mari ! Et puis il y a Saïda, celle qui se moque presque de ma fragilité et le fait comme avec condescendance.
Mais quand elles montent l'escalier, toutes savent qu'on mate leur petite culotte. Et là-haut, au petit salon, si certaines hésitent pour avoir le sentiment de vivre, les visages se justifient et toutes relèvent la jupe comme on relève un défi. Comme on saisit l'occasion de répondre à une question qu'un inconnu, sous la forme d'un poète taiseux, frustré peut-être, en tout cas malade d'amour, leur pose enfin : n'a-t-on pas, sous nos vêtements, besoin d'oser ce plaisir trouble, d'arrêter de parler et de se placer, rien qu'une fois, à la merci du regard des autres ?

Non, Olivier Smolders n'a rien d'un pornographe, et sans doute est-ce parce que la vérité mise à nu ne se trouve simplement pas là, qu'un miroir cache le premier sexe féminin et nous lance d'aveuglants reflets, qu'un voile blanc frôle l'objectif et laisse, dans une cacophonie primitive de jungle faussement endormie, entrevoir un songe sauvage...

 

La Philosophie dans le boudoir 

"il y a deux façons de ne pas lire : prendre la littérature au pied de la lettre ou ne pas la prendre au sérieux." 
C'est par ce carton, un avertissement supplémentaire, qu'Olivier Smolders ouvre un film très fin de siècle, du XVIIIe exactement, dialogue entre l'austère cellule de prison hantée à jamais par le fantôme de Sade (Jean-Pierre Stévenin) et le salon cossu, étouffant de poussière, où se relaient sur le divan, les mains bien à plat sur les genoux serrés, de très jeunes pousses dans leur robe à froufrous. 
"Ce sont autant de tableaux délicieux que la lubricité enivre et qui finiront par la compléter elle-même. "
Mais derrière les fesses d'une vierge se dressent, statiques au fond du cadre fixe, cent générations de marâtres cintrées, vieilles filles d'une époque sûrement pas révolue pour tout le monde, où de religieux et compliqués corsages poussaient les femmes à l'évanouissement."

Dans quelque situation que se trouve une femme, Eugénie, elle ne doit jamais avoir d'autres buts, d'autres projets, d'autres désirs, que de se faire foutre du matin au soir. C'est pour cette unique fin que l'a créée la nature. C'est pourquoi j'exige d'elle de fouler aux pieds tous les préjugés de son enfance et je lui prescris la désobéissance la plus formelle..."
Signant d'ordinaire lui-même de très beaux textes, Olivier Smolders s'efface ici devant l'oeuvre d'un maître, lui laisse son titre, qu'il soit de comte ou de marquis - et avec une sensible délectation, l'écoute prodiguer ses précieux conseils aux jeunes filles sages, " trop longtemps contenues dans les vertus, liens absurdes d'une religion dégoûtante et les préceptes ridicules enseignés par d'imbéciles parents".
Ah, la littérature ! Si belle qu'on a envie de la recopier toute, quand elle s'envole à la recherche du plus beau cul du monde et éclaire ce "film posthume, réalisé aux dépens de la compagnie", dont la mère prescrira la vision à sa fille.

 

Ravissements 

Dans la foulée de Sade, c'est à Cioran qu'Olivier Smolders confie le soin d'enflammer ses tableaux suivants : "Pour le baiser coupable d'une sainte, j'accepterais la peste comme une bénédiction."
Dans le même boudoir, au fond du même cadre strict, d'innocentes jeunes filles et de pieuses dames se succèdent une fois encore, statiques, figées, dont on reconnaît certains visages, pour définir cette fois, mais comme un orgasme divin, l'oraison reproduite, sans savoir ce dont il s'agit, par les vierges de génération en génération. Ces âmes qui, bientôt mortes, goûteront dans le noir aux Ravissements et s'abandonneront tout entières aux mains de Dieu et aux caresses du Seigneur, qui pour les punir de leurs fautes les inondent de plaisirs...

C'est sainte Thérèse d'Avila qui en quelques fragments de mysticisme chrétien se confesse au Marquis dont on entend encore la respiration, comme s'il était assis au coin du lit.

 

Pensées et visions d'une tête coupée

"Je, soussigné Antoine Wiertz, artiste, philosophe et peintre, demande qu'après ma mort, mon corps soit embaumé selon la méthode dite égyptienne. Auparavant, on aura pris soin de prélever mon coeur, qui sera embaumé séparément, puis placé dans un petit sac de soie noué d'un ruban rose."

Présidée par une étrange petite fille, innocente diablesse impubère aux couettes rose pâle, tantôt un petit cochon dans les bras, tantôt le serpent de la Genèse autour du cou, une cérémonie qui nous introduit à la suite de quelques nains de David Lynch dans l'atelier du peintre, comme dans un temple isolé du monde, un univers parallèle, entre la folie des grandeurs et la réalité de l'horreur, à la recherche du Beau. Dans une composition ou des couleurs qui rappellent parfois quelques calvaires ou descentes de croix, ici une mère fait bouillir son enfant, là une confusion cyclopéenne de jambes et de bras...

Les injures fusent, les plus éminents critiques de l'époque (Baudelaire...) n'hésitent pas à traiter Wiertz de dément, dont les plaisanteries macabres franchissent le pas qui sépare le sublime du ridicule. Mais quelle leçon plus grande pouvait-il donner aux moralistes du siècle, qui ne s'étaient pas glissés comme lui sous l'échafaud et ignoraient que la tête, comme celle de la femme qu'un cauchemar agite, cherche avec désespoir à reprendre son souffle et rejoindre son corps avant de s'immobiliser enfin, tuméfiée par un rire insensé ?
Car si la faim, la folie, le crime sont des motifs édifiants, continue notre guide sur l'estrade, ces gigantesques tableaux d'apocalypse cannibale et de jugement dernier ne représentent rien d'autre que les souffrances éternelles de petits anges meurtris par d'authentiques drames populaires...

Film d'art un peu ambigu, Pensées et visions d'une tête coupée s'arrête là, rejoignant ensuite par quelques périlleux hasards de raisonnement l'idée déjà pressentie chez Smolders, selon laquelle l'art aurait été inventée par les hommes pour se passer des femmes : "Je ne sais pourquoi, je ne les veux que voilées, factices, muettes, hors d'atteinte comme mes tableaux eux-mêmes. Une froide distance toujours en-deçà de la luxure dont je rêve." On en pensera ce qu'on voudra, puisque de toute manière, " il faut que celui qui rêve dans les prés se résigne à entendre les ânes braire autour de lui."

 

La Neuvaine

Neuvaine : nom féminin, série de prières accompagnées d'actes de dévotion et de pratiques de pénitence que l'on continue durant neuf jours dans l'intention d'une grâce particulière. Olivier Smolders est-il fils de curé ? Ou a-t-il goûté aux internats de Jésuites ? Ou à l'amour éperdu d'une Jeanne d'Arc ? Dès sa Neuvaine, film de fin d'études et première prière trouble et enragée, s'enroule et se contorsionne, rougi, étouffé de culpabilité mais assoiffé de pénitence, le sexe de la religion.

Sur un ton de confession qui finit d'en faire le double de l'auteur, un homme " encore jeune ", revient sur les traces de son adolescence, dans la chambre du collège strict où vingt ans plus tôt on l'avait enfermé seul, neuf jours durant, puni d'on ne sait quelle faute, avec pour seul jouet un crucifix dont les ombres, chinoises, sur les murs, ne pouvait que devenir un graffiti obscène et obsédant. Nourri de haine confuse, de peur et de fascination à l'égard de ce voeu de silence qui sent l'urine, il revient aujourd'hui dans l'intention d'écrire son film au calme et peut-être de retrouver sa sainte Véronique, une " déjà vieille " dont les fruits n'auront à jamais été que des idées interdites, et de la pousser dans l'escalier...
Bref, d'embêter les chaises !
"Le mutisme est une forme d'hygiène morale, de propreté de l'esprit. Mais moi, je parlerai !"

 

L'Art d'aimer

"Nous habitions à la campagne. Dans le jardin, il y avait un grand chien noir, en plâtre, dont la queue était cassée. Comme j'en avais peur, ma mère finit par le vendre à des amis qui étaient passés prendre du thé et des biscuits. Moi, je devais rester dans ma chambre jusqu'à ce qu'ils soient partis. " Quand apparaît au fond du jardin, comme un traîneau abandonné dans la neige, un voiture à pédales envahie par les herbes hautes, Olivier Smolders se remet à parler à la première personne, sur le ton naïf de l'enfant laissé de côté un beau jour par un père mort, divorcé, jamais évoqué, et chaque jour par une mère absente, malade, sans doute dépressive. Un enfant culpabilisé de tout, bientôt simplet, à qui quelque gentille nourrice, entre deux bottes de poireaux, apprit l'Art d'aimer avant la prière du soir.
D'abord, la vie se découpe bien : se succèdent comme des tableaux la chambre verte de madame Claude, puis celle rouge de Béatrice, trop maigre et qui voulait qu'ils se marient, enfin la chambre bleue d'Annie, dont les seins ressemblaient un peu à ceux de la première et qui était plus contente que la seconde. Mais un jour ou l'autre, tout se mélange, la fiction, la réalité : " Maman disait que c'était une putain et qu'elle ne donnerait plus d'argent si je continuais à la voir. Un jour, j'ai ouvert la fenêtre et je voulais tout casser. Il y avait des morceaux de verre dans le lit et par terre. Annie m'a dit que je ne pouvais plus venir et qu'elle ne m'aimait plus. On a été fâchés. Je suis allé voir ma mère pour avoir de l'argent pour réparer mais elle ne voulait pas. Alors je l'ai frappée et je voulais la faire mourir (...) C'était noir ! Je me demandais si j'avais tué ma mère et j'ai su que c'était vrai quand la voisine est venue me chercher : ma mère était dans un placard et ça, je ne m'en souvenais pas."
Eh oui, la Mère est dans le placard, et les notes frêles, décousues, de la comptine qu'elle jouait au piano résonnent à jamais dans la mémoire brouillée d'un fou comme dans les pièces trop grandes de la maison d'enfance.

 

Seuls

Comment ne pas se taire devant les portraits serrés, durs, qui isolent des enfants en douleur, abandonnés dans La Petite Maison, institut psychiatrique sans prairie au-dessus duquel passent des avions de chasse ? Les regards sont impénétrables, perdus au-delà des lits-cages, et seule une berceuse Fisher Price ose interrompre un instant les cris dissonants et balancements autistes des petites têtes jetées contre les murs, maintenant la cadence de ce dernier opus, sublime signature des " Exercices spirituels " d'Olivier Smolders, jusque-là plutôt littéraire et bavard. Magnifique film de montage musical ! Seuls laisse sans voix !


Exercices spritituels I. Dix films écrits et réalisés par Olivier Smolders trop librement inspirés de l'oeuvre d'Ignace de Loyola, Le Scarabée, PBC Pictures et Tout est Possible asbl. 

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