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50/50 - Mort à Vignole d'Olivier Smolders

Publié le 05/04/2021 par Anne Feuillère et Sarah Pialeprat / Catégorie: Dossier

En juin 2017,  la Fédération Wallonie-Bruxelles organisait l'Opération "50/50, Cinquante ans de cinéma belge, Cinquante ans de découvertes" qui mettait à l’honneur 50 films marquants de l’histoire du cinéma belge francophone. Ces films sont ressortis en salle pendant toute une année et de nombreux entretiens ont été réalisés avec leurs auteurs. Le site internet qui se consacrait à cette grande opération n'étant plus en activité, Cinergie.be a la joie de pouvoir aujourd'hui proposer et conserver tous ces entretiens passionnants où une grande partie de la mémoire du cinéma belge se donne à lire.

 

Né le 4 janvier 1956 à Léopoldville, Olivier Smolders a obtenu une licence en philologie romane à l'UCL et en réalisation film radio télévision à l'INSAS. Il est le fondateur des Films du Scarabée, mais aussi producteur, scénariste et réalisateur de films. Il est également professeur à l'INSAS et à l'ISV, maître de conférence à l'Université de Liège. Fildefériste, Olivier Smolders est également pêcheur à la mouche, agnostique dissident, auteur d'essais sur la littérature et le cinéma, membre de l'amicale des zutistes.

50/50 - Mort à Vignole d'Olivier Smolders

Anne Feuillère et Sarah Pialeprat : Que représente Mort à Vignole dans votre travail de cinéaste ?

Olivier Smolders : Il occupe une place particulière dans ma filmographie parce que c'est celui qui a eu le plus d’écho, qui a rassemblé le plus de public. En même temps, il n'est pas le plus représentatif de mon travail, car c'est un film assez mélancolique, plutôt doux, alors que j'ai souvent tendance à faire des films âpres, qui prennent le spectateur à rebrousse-poil. J’aime le cinéma qui dérange le spectateur, qui le mette dans une situation d’inconfort. Mort à Vignole est davantage un film d'empathie, de partage d’humanité.

A.F. et S.P. : Est-ce, à votre avis, cette empathie qui a marqué les esprits ?

O.S. : Parlant à la première personne d’un événement douloureux, il touche sans doute par sa sincérité. Personnellement, je me méfie un peu de la sincérité revendiquée, car c’est souvent aussi, à corps défendant, une forme de posture, une mise en scène de soi. Je préfère généralement le détour par la fiction pour atteindre d’une façon plus complexe et donc peut-être plus incisive le récit intime. Cela dit, Mort à Vignole tourne autour d’un thème universel : la mort de ceux qu’on aime. À ce titre, on peut comprendre qu’il ait trouvé écho chez de nombreux spectateurs.

 

A.F. et S.P. : Ce film est sorti il y a presque 20 ans. Comment le percevez-vous aujourd'hui ?

O.S. : Je le revois chaque année dans le cadre d’un cours que je donne aux étudiants à l'Insas et qui porte sur le cinéma à la première personne, le cinéma du « je ». Mon regard sur ce film n'a pas changé, c'est à la fois le sentiment d'avoir mis le doigt sur quelque chose de juste et, à la fois, d'avoir entrepris quelque chose d'un peu convenu. C'est en tout cas un film qui permet d'avoir des échanges assez riches, car il renvoie chacun à son histoire personnelle. Dans le cadre de ce cours, je demande aux étudiants d'imaginer un projet de film à la première personne, ce qui entraîne des questionnements proches de ceux que l'on trouve dans le film.

 

A.F. et S.P. : Le film continue-t-il de toucher toujours autant ?

O.S. : Il continue à être projeté relativement régulièrement dans des cinémathèques ou des festivals. Il a ses spectateurs inconditionnels. L'année dernière, il a été présenté lors d'une soirée hommage à Marc Ripoll, un des fondateurs du festival d'Aix-en-Provence qui venait de décéder. C’était un de ses films de référence, m’a-t-on dit. J'ai des échos comme celui-là de temps en temps. Et puis, le film a une vie indépendante dont j'ignore tout, sur Internet, sur des DVD pirates... jusqu'en Chine, paraît-il ! Par ailleurs, des spectateurs que je ne connais pas m’ont envoyé des images qu’ils avaient filmées en pensant à mon film. C’est plutôt bien : le cinéma qui pousse au cinéma. Et puis, comme le film pose la question : « Oserait-on filmer nos enfants, nos parents sur leur lit de mort ? », quelques spectateurs m'ont aussi envoyé des images de leurs proches décédés, en m'expliquant qu'ils avaient osé les tourner grâce à Mort à Vignole." 

 

A.F. et S.P. : Un film comme celui-ci pourrait-il aujourd'hui rencontrer un public ?

O.S. : Le public ne me semble pas avoir beaucoup changé depuis cette époque. Par contre, les modes de diffusion sont très différents. Mort à Vignole est un film qui tient beaucoup mieux en projection sur grand écran que sur un ordinateur. Il y a une sorte de magie dans le fourmillement du grain du super 8 sur grand écran qui est émouvante du point de vue presque sensoriel, archaïque, au-delà des mots. Sur Internet, le film perd une partie de sa sensibilité. Je suis curieux de le voir un jour sur l’écran d’une montre.

 

A.F. et S.P. : Ce succès a-t-il facilité votre vie de cinéaste ? 

O.S. : Difficile à dire... Je tourne peu et fais des courts-métrages à petits budgets. Je n'ai donc pas été très gourmand auprès des différentes aides ou des chaînes de télévision que j'ai pu solliciter. Même si j’ai parfois essuyé des refus, j’arrive en général à mener mes projets à bien. C'était le cas avant Mort à Vignole et cela a été le cas après. Touchons du bois…

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