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Axolotl de Olivier Smolders

Publié le 06/03/2023 par Benjamin Sablain / Catégorie: Critique

Avec Axolotl, issu du second volume des Exercices Spirituels, Olivier Smolders revisite Le Terrier, court-roman de Kafka qui suit un être mi-humain mi-animal qui s’est protégé du monde en se creusant une forteresse au cœur d’un labyrinthe.

Axolotl de Olivier Smolders

Bien loin d’en suivre sagement la symbolique (d’ailleurs clairement explicitée dans le livre), il la complexifie au point de donner vie à un court-métrage profondément énigmatique où courent plusieurs lignes interprétatives entre climat de guerre, deuil, inversion du regard et mystérieux axolotl en aquarium. De plus, non content de ces multiples strates thématiques, Smolders les redouble de multiples strates formelles. S’inspirant de La Jetée de Chris Marker, Axolotl se déroule à partir de splendides photographies en noir et blanc signées Jean-François Spricigo. Ce choix n’est toutefois pas constant. Lors d’occasions bien délimitées, Olivier Smolders décide de rompre avec ces choix esthétiques pour revenir à des prises de vue classiques (et simples photogrammes) en couleurs.

Tout se passe en effet comme s’il y a avait deux labyrinthes : le labyrinthe du personnage principal du récit et un labyrinthe dans lequel le malicieux réalisateur s’échine à embourber son public. Plus encore, c’est comme si le personnage principal ne se protégeait pas seulement du monde intradiégétique, mais également du public qui regarde son histoire se dérouler à l’écran ! Dans le premier cas : un labyrinthe composé de couloirs et abrité derrière de mystérieuses notes illisibles. Dans le second : un labyrinthe composé autant de plans qui se répondent que de plans hétérogènes dont il faut alors établir les connexions pour éviter de se retrouver dans une énième impasse.

Dans le premier cas, nous suivons un personnage désigné comme étant le gardien, dont le regard devrait assurer la pleine maîtrise des lieux qu’il est censé surveiller, comme dans Le Terrier de Kafka (et dans beaucoup d’autres récits de l’auteur) l’extériorité finit par prendre le pas sur cette assurance. Celui qui pensait s’être mis à l’abri de la violence se voit finalement assiégé plutôt que souverain sûr de ses moyens. Il y aura toujours quelque chose qui grattera du bout des ongles derrière les murs et des visiteurs impromptus susceptibles de remettre en cause l’ordre intérieur de fond en comble. Le gardien est visité par les visions de son amour défunt. Voilà donc ce qui le hante et ce qui justifie de se terrer au bout du monde visible ! Toutefois, au contraire de l’œuvre de Kafka, le gardien est aussi un axolotl chez Smolders. L’avantage du deuil sur la mélancolie, c’est qu’il est une préparation à ce qui suit, la construction d’une réalité sur les ruines de la précédente. L’avantage de l’axolotl-gardien, c’est d’avoir la capacité de se régénérer une fois amputé de ses membres les plus chers. L’axolotl est donc l’incarnation-même de l’endeuillé qui petit à petit s’ouvre sur les portes qu’il a refermé sur lui-même, accepte de franchir le labyrinthe pour retrouver ce qu’il refusait de voir de peur d’être transpercé par les images du passé.

Derrière l’obscurité du court-métrage de Smolders, il y a un aspect profondément lumineux qui se matérialise par l’espèce de sainte apparition finale de la défunte, finalement elle-même axolotl par sa capacité à se régénérer (mais cette fois sous une forme transcendée). Le terrier n’y est donc pas une fatalité, mais une forme infiniment ouverte qui prépare à l’éternel retour de l’humain, cet être larvaire en perpétuel inachèvement qui a constamment besoin de résoudre ses propres énigmes.

Dans le second cas, tout ce que je viens de dire n’est qu’un tissu d’interprétations posé sur le film qui pourrait glisser d’un souffle bref pour y substituer un autre. L’Axolotl est en effet un animal à la peau fragile. Agrippez-le et le voilà qu’un bout de peau se détache, voire qu’une patte reste entre vos doigts tandis que le reste du corps s’enfonce dans un dédale rocheux afin d’émerger revigoré quelques parsecs plus loin. De là vient peut-être ce choix des images fixes : elles permettent à la salamandre de se camoufler plus aisément entre les photographies afin d’éviter d’être figée dans la stase de l’emprise du regard.

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