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Henri de Yolande Moreau

Publié le 15/06/2013 par Edith Mahieux / Catégorie: Critique

Très apprécié lors de sa présentation à la Quinzaine des réalisateurs, Henri risque de ravir aussi à sa sortie. Bien au-delà des pitchs qui le réduisent à l'histoire d'une rencontre entre un immigré italien désabusé et une jeune déficiente mentale, ce film est à l'image de sa réalisatrice, sensible et proche de nous.

Henri de Yolande Moreau

Il aura fallu presque dix ans à Yolande Moreau pour réaliser son second long métrage. L'idée initiale, elle l'avait déjà sur le tournage de Quand la Mer monte, en 2004, mais l'actrice ne chôme pas - ses premiers Césars lui ouvrent les portes de nombreuses collaborations fructueuses - et l'écriture du scénario prend du temps. Et puis, cette fois, Gilles Porte n'est plus là. Elle est seule à donner les ordres sur le plateau, seule à diriger les acteurs : elle sait où elle va. Et ce sera en Belgique encore une fois…
À première vue, l'histoire peut en rebuter plus d'un. Le sujet semble grave et le décor peu avenant - Yolande Moreau ancre une partie de son histoire dans le paysage minier de la région de Charleroi. Et pourtant, là est tout la force de ce film délicat. Il nous emmène dans des sentiers qu'on croyait battus pour nous faire ouvrir les yeux sur le quotidien. Ce quotidien qu'un brin de poésie peut rendre plus léger.
Il n'est pas anodin qu'Henri s'ouvre sur un bruissement d'ailes. C'est un chuchotement significatif pour un film dans lequel s'envoleront tout le long, pigeons et papillons. L'effet cinématographique est simple mais futé, et c'est ainsi que chaque scène, chaque plan du film sera construit : avec des images révélatrices du regard généreux que porte la réalisatrice sur la vie. Chez elle, l'ascension d'un terril éclairé par la lune prend l'allure d'un tableau de Magritte, et les champs de patates parsemés d’un soleil fuyant ne sont jamais loin de ceux de Millet.
Mais revenons au point de départ. Henri (Pippo Delbono) est un drôle d'oiseau colombophile que plus rien ne semble intéresser hormis sa passion pour les pigeons et ses retrouvailles au comptoir avec ses inconditionnels piliers de bar. Lorsque tout à coup sa femme meurt, le laissant seul avec leur restaurant, il est désemparé et plus seul que jamais. Sa fille, Laëtitia, l'empêche de sombrer en ayant l'idée d'embaucher, à moindres frais, un « Papillon blanc » de l'institut de la ville, Rosette (Candy Mingh). Ainsi naît une rencontre impromptue entre une jeune fille un peu « décalée » et un homme que les années ont usé. Grâce à son « Papillon », Henri apprend à ré-apprivoiser la vie, et Rosette, elle, la découvre autrement, en se rêvant loin de son foyer pour handicapés. Mais Henri est plus âgé que Rosette, et comme le lui rappellent ses amis de comptoir : « Avec une handicapée, y'a des choses qui ne se font pas ». La réalité va-t-elle rattraper les deux tourtereaux au vol ?
Au cours de cette histoire qui ne tient qu'à un fil, Yolande Moreau raconte avant tout le rapprochement de deux solitudes. L'histoire d'amour, elle, jamais déflorée, est à peine esquissée. L'important tient dans la réalité de l'attachement que l'on peut éprouver pour quelqu'un. Aussi inattendu, aussi fou soit-il, qu'importe ! Il nous redonne des ailes, l’envie de vivre. On pleure dans Henri, mais on chante et on danse aussi. Car plus que la parole - dont l'utilisation est détournée lors d'une apparition savoureuse de la réalisatrice en Tante Michèle babillarde ! - ce sont avant tout les corps qui s'expriment. La caméra de Yolande Moreau cadre les visages et les formes, le corps lourd de solitude de Pippo Delbono, le visage tantôt pétillant, tantôt évasif de Candy Mingh, sans cesse à l'affût de la moindre attention.
Parfois, peut-être, le film s'égare et retient un peu trop le temps, certains effets de mise-en-scène sont trop convenus (comme la grille de l'institut se refermant sur le visage de Rosette), mais les imperfections sont toutes effacées, car Yolande Moreau maîtrise le traitement poétique de l'image et du son et sait s'entourer : son vieil ami, Wim Willaert aux commandes de la bande-originale joue avec le kitsch et le populaire pour notre plus grand plaisir, et Fabrice Rouaud (déjà remarqué lors de sa collaboration avec Bonello dans L'Appollonide) signe un montage réussi qui permet souvent à l'humour de l'ancienne comédienne des Deschiens de s'infiltrer avec finesse entre les plans.
Au final, Henri touche son but : il nous met du baume au cœur, et fait fi des conventions. C'est cela qu'on aime. Inconditionnellement. 

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