La Flandre n'en est pas a un paradoxe près. Elle valorise - à juste titre - son patrimoine culturel ancien : la peinture et la musique polyphonique de la Renaissance, l'âge d'or des XVe et XVIe siècle, et ses expressions culturelles contemporaines : le théâtre, la danse, la musique et l'art pictural, sauf l'art majeur du XXe siècle, le cinématographe. Ce dernier, qui présente et représente, l'identité d'une culture est plus que négligé, il est oublié. Alors que du côté de la Communauté française on a compris que le cinéma est le meilleur ambassadeur de l'image d'une culture et d'une communauté, à l'instar du cinéma hollywoodien qui ne véhicule pas seulement un mode de vie que des millions de gens rêvent d'adopter à l'aide de films destinés à les distraire, mais également le désir de consommer ses produits dérivés.
Autrement dit que la culture de masse des images sert de cheval de Troie dans la conquête des marchés économiques. L'Affaire d'Iedereen Beroemd ! le film de Deruddere, nommé aux Oscars d'Hollywood dans l'indifférence générale, illustre, côté flamand, la méconnaissance de la Flandre vis-à-vis de son cinéma. Ça coûte cher, certes. Ce n'est pas du prêt-à-porter mais de la haute couture. Mais Armani ne symbolise-t-il pas l'Italie dans le monde entier ?
Iedereen Beroemd! nommé pour les Oscars étranger
Cinergie : Pourquoi t'es-tu fait enlever par le front de Libération du cinéma flamand ?
Dominique Deruddere : C'était une action ludique parce qu'il y a beaucoup de problèmes coté cinéma en Flandre. Vous les francophones avez, en ce moment, le vent en poupe. Pas nous. Deux semaines après avoir été sélectionné pour l'Oscar du meilleur film étranger, je n'avais eu droit à aucun réaction de notre ministre de tutelle Donc, le front m'a kidnappé pour exiger que le Ministre me félicite pour cette distinction qu'il n'avait semble-t-il pas remarqué (5 films sont sélectionnés parmi 48). Suite à l'émission de la RTBF dont j'étais l'invité, le ministre Demotte m'a invité - le film représente la Belgique, pas seulement la Flandre - pour me proposer une nuit de l'Oscar à Namur, organisée avec Canal+, et des projections dans différentes villes de Wallonie, chaque soir de cette semaine-là, puisque Iedereen Beroemd ! n'est pas distribué en Walloni
C . : Et en Flandre, on va faire quelque chose ?
D. D. : Non, je ne pense pas (rires). Peut-être attendent-ils qu'on obtienne l'Oscar !
C. : Luc Pien, Marc Didden et toi-même avez été reçus par monsieur Van Mechelen, le ministre de l'Économie et des Médias. Que lui avez-vous demandé ?
D.D. : Nous lui avons présenté une série de revendications que nous avons rendues publiques. 1. L'obligation pour les chaînes télévisées qui sont sur le câble de consacrer un budget au cinéma, comme partout ailleurs en Europe, en Allemagne, en Italie, en France, en Communauté française, etc. 2. Le respect de l'intégrité artistique du cinéaste par rapport à une tendance qui voudrait qu'un film doive rapporter de l'argent comme n'importe quel produit manufacturé. S'il rapporte de l'argent, tant mieux, sinon, tant pis. La culture n'est pas faite pour faire gagner de l'argent ! 3. La création d'un système de tax shelter comme en Hollande. 4. La réorganisation de la commission de sélection sur le modèle hollandais, un modèle avec un " film manager " qui a deux fonctions : trouver de l'argent dans le privé et gérer l'argent de la Communauté flamande mais avec quelques spécialistes autour de lui de façon à développer l'aide non pas en fonction de chaque projet mais à plus long terme. De la même manière qu' une troupe de théâtre qui reçoit un subside annuel et gère sa programmation comme elle l'entend. Sinon, on doit chaque fois passer un examen parce que c'est fatigant. J'ai fait cinq longs métrages, ce ne sont pas tous des chefs-d'oeuvre, mais j'en ai fait suffisamment de bons pour qu'on me fasse confiance. Je ne vais pas faire un mauvais film volontairement ! Il faut savoir qu'Iedereen Beroemd ! a été refusé trois fois par la commission de sélection et n'a finalement été accepté que parce que le scénario a fait partie des dix scripts sélectionnés sur un millier de projets par Équinoxe, l'atelier créé en France par Jeanne Moreau ! On ne sait jamais ce qu'un film va devenir. Même Steven Spielberg a connu, avec 1941, un échec commercial. Tout le monde peut se tromper. Moi aussi. Mais il faut faire confiance.
C. : Tu ne crois pas que c'est parce que tu te moques de l'impact de la télévision ?
D.D. : Oui, c'est possible. On ne sait jamais.
C. : Que penses-tu de la création des fonds régionaux, que ce soit sur le modèle américain (les gens vont en pèlerinage à San Francisco pour voir les lieux qu'Hitchcock a montrés dans Vertigo) ou sur le modèle de Wallimage (développer une infrastructure économique de l'audiovisuel tout en aidant des films à se monter) ?
D.D. : On pourrait le faire en Flandre également puisqu'on a Bruges, on a Gand, on a Anvers. Si on avait un " film manager ", c'est lui qui pourrait développer une initiative de ce genre.
C. : Vous dépendez - ce qui est surprenant pour les francophones - du Ministère de l'Économie et des Médias et non pas du Ministère de la Culture ?
D.D. : On a changé cela à une certaine époque parce que certains producteurs pensaient qu'ils allaient devenir Berlusconi. Mais ça n'a pas été le cas. Pour l'instant, un film flamand n'est pas rentable. Déjà en Flandre, c'est impossible à cause de la langue. Trop peu de gens peuvent le voir pour qu'il rapporte l'argent qu'il a coûté. Mais il faut continuer, sinon on peut fermer les opéras, les théâtres et les musées parce qu'ils ne rapportent pas non plus de sous.
C. : Tu ne crois pas que le cinéma est un bon ambassadeur culturel ? Bergman a fait connaître la Suède, Lars Von Trier le Danemark ?
D.D. Naturellement. Et le théâtre peut le faire aussi mais dans des proportions moindres. Et Anna de Térésa De Keesmaeker ou Wim Vandekeybus aussi avec la danse. Avec Iedereen Beroemd !, beaucoup de gens risquent de connaître la Belgique et de manger son chocolat. Pour les Oscars, il vont organiser une fête où l'on pourra manger du chocolat belge. Il y a donc deux niveaux : culturel et économique.
C . : Tu es un peu déçu qu'il ne soit pas distribué en Wallonie ?
D.D. : Oui. D'autant qu'il sera distribué dans une vingtaine de pays. Miramax va le sortir le 13 juillet aux États-Unis. Il est plus difficile en Flandre de se faire connaître internationalement, à cause de la langue. Nous n'avons pas Cannes. Et si tu n'as pas Cannes, tu n'as rien. Moi, j'ai eu la chance d'avoir les Oscars parce que le film était en train d'être oublié.
C. : Les Américains veulent faire un remake du film ?
D.D. : Iedereen Beroemd ! est tourné en flamand parce qu'il trouve sa réalité dans les racines sociales de personnages qui sont vrais. Les Américains vont, j'en suis sûr, l'installer dans l'Amérique profonde. Cinq compagnies se disputent les droits. Moi, je ne m'en occupe plus. Je veux faire un autre film.
C. : Ce n'est pas toi qui va réaliser le remake ?
D. D. : J'ai clairement dit que je ne voulais pas réaliser le remake.